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l'image réduite de l'être nouveau, nourri au moyen du sperme, ou bien développé sous l'impulsion de la vapeur (aura seminalis) émanée de ce liquide. Les spermatistes, au contraire, considéraient l'animalcule spermatique comme l'ébauche et la miniature de l'embryon.

» Les partisans du premier système, refusant à aucun des éléments de l'organisme le pouvoir de la création du germe, furent naturellement entraînés à le refuser à l'organisme lui-même. Ils admirent la préformation non-seulement à partir de l'œuf ou du spermatozoïde, mais la préformation de ces éléments eux-mêmes, la préformation indéfinie de tout temps. Tel est le système célèbre de l'emboîtement des germes ou de l'involution, dont l'origine se trouve dans les idées philosophiques de Leibniz, dont la formule a été donnée par le naturaliste Charles Bonnet, de Genève, et que le célèbre Haller n'avait pas hésité à adopter.

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>> Leibniz considérait tous les phénomènes de l'univers comme la simple conséquence d'un acte primordial, la création. La puissance créatrice qui était intervenue une première fois n'avait pas eu besoin de répéter son effort, et l'ordre naturel était réglé pour la série des temps. C'est là ce que Leibniz entendait exprimer par l'aphorisme célèbre Semel jussit semper paret. Il n'y a donc point pour lui de génération proprement dite, de création nouvelle; le premier être contenait en puissance et en substance toutes les générations qui lui ont succédé, et l'observateur ne fait qu'assister au développement de ces germes du premier jour inclus les uns dans les autres. Le philosophe genevois Bonnet adopta cette vue. Il considérait qu'un animal ne créait pas véritablement les êtres dont il devenait la souche, qu'il en contenait simplement les germes, enveloppés pour ainsi dire les uns par les autres, et se dépouillant successivement de leurs enveloppes. D'après cette façon de voir, si considérable que soit le nombre des générations dont les germes sont ainsi superposés, ce nombre est pourtant limité; si reculé que soit le terme assigné à chaque espèce, ce terme n'en est pas moins irrévocablement déterminé.

» Cuvier, dont le génie précis s'accommodait mal des hypothèses, a pourtant accueilli celle-ci avec faveur. Il la regardait comme la plus satisfaisante de toutes celles qui se proposent d'expliquer la multiplication des êtres vivants. Nous n'aurions point rappelé ces souvenirs si des travaux récents ne semblaient tirer l'hypothèse de l'involution de l'oubli dans lequel elle est tombée. Les auteurs contemporains Pflüger, etc., ont établi la dérivation de l'œuf de l'épithélium ovarien; M. Balbiani complète l'histoire de l'oeuf en faisant provenir cet épithélium d'un élément (le globule polaire) sorti directement de l'oeuf; par là il donne un fondement scientifique à la théorie précédente; surtout si l'on considère comme prouvée la distinction d'origine que le même auteur établit entre la vésicule germinative, qui traduit l'influence atavique, et la cellule embryogène qui traduit l'influence particulière de l'individu.» (Extrait de la Revue scientifique, numéro du 10 octobre 1874.)

Le rédacteur-gérant: F. PILLON.

FARIS. IMPRIMERIE DE E. MARTINET, RUE MIGNON, 2

LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE

POLITIQUE, SCIENTIFIQUE, LITTÉRAIRE

LA MORALE CRITICISTE DANS L'HISTOIRE D'UNE ANCIENNE RÉPUBLIQUE

L'application systématique de la morale criticiste à tous les rapports politiques, intérieurs et extérieurs, serait dans le monde une grande nouveauté. Tandis que les crimes de la raison d'État remplissent l'histoire, les exemples y sont malheureusement rares qui montrent l'impératif catégorique sincèrement embrassé et résolument suivi, malgré de fortes tentations utilitaires. Il y en a cependant quelques-uns à citer, et Plutarque, dans la vie de Thémistocle, en rapporte un mémorable qui fait singulièrement honneur à la démocratie athénienne.

« Encore s'advisa Themistocles d'une autre chose bien plus grande pour rendre la ville d'Athènes puissante par mer, car, après la retraite de Xerxès, s'estant toute la flotte de l'armée navale des Grecs retirée pour hyverner au port de Pagases, il dit un jour en publique assemblée du peuple, qu'il avoit imaginé une chose qui leur estoit très-utile et très-salutaire, mais qu'il n'estoit pas expedient de la déclarer publiquement: le peuple lui ordonna qu'il la communiquast à Aristides, et que si celuy-là la trouvoit bonne, qu'elle s'executast promptement. Themistocles luy déclara que ce qu'il avoit en pensée estoit de mettre le feu dedans l'arcenal, ou estoyent retirez les vaisseaux des Grecs, et les brusler tous ensemble. Aristides ce conseil ouy, retourna devers le peuple, et dit, qu'il n'y avoit rien ne plus utile, ne plus injuste que ce que Themistocles avoit imaginé. Et adonc luy commanderent les Atheniens qu'il s'en deportast entierement. ».

Y a-t-il jamais eu un spectacle plus admirable que ce peuple assemblé, repoussant, sans le connaître, un projet qu'il croit utile, par cette unique raison qu'il le croit injuste, et déclarant tout d'une voix que lorsque la justice parle il n'y a pas à délibérer sur l'utilité ? Quelle protestation contre ces maximes: La force prime le droit; La fin justifie les moyens!

M. Louis Ménard remarque à ce sujet qu'un peuple qui donne au

CRIT. PHILOS.

IV.

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monde l'exemple d'un si profond respect pour la justice, mérite bien. de se gouverner lui-même. Nous ajouterons que si le peuple athénien a donné cet exemple au monde, c'est précisément, on peut le croire, parce qu'il se gouvernait lui-même. Un gouvernement monarchique ne l'eût pas donné. C'est l'observation que fait Machiavel: «Je suis sûr, dit-il, que Philippe de Macédoine n'aurait pas fait cela, non plus que les autres princes, qui ont préféré chercher l'utile, et qui ont trouvé dans la violation de la foi jurée le meilleur moyen de s'agrandir. » Et Machiavel conclut de ce beau trait de l'histoire d'Athènes que «les républiques observent bien plus fidèlement les conventions que les princes.» (Le republiche sono di lunga più osservanti degli accordi che i principi). Mais l'auteur des Discours sur Tite-Live constate, sans l'expliquer, cette différence de conduite entre les républiques et les princes. L'explication nous en paraît assez claire. La vie politique généralisée, c'est-à-dire remplie pour tous de droits à exercer et de devoirs à remplir, est pour tous une éducation, un développement de la conscience morale et juridique. Une république est une association de consciences. Elle suppose des règles de justice qui peuvent être plus ou moins bien comprises, mais qui sont reconnues de tous et que chacun sent la nécessité et prend l'habitude de mettre au-dessus de ses passions personnelles et de ses intérêts particuliers. Or, si la conscience, plus ou moins éclairée, règne dans les rapports de citoyens à citoyens, de gouvernants à gouvernés, il est bien naturel, en vertu de la logique et même simplement de l'habitude, qu'elle tende également à se faire sentir dans les rapports d'État à État. En un mot, l'identité de principe de la morale criticiste et de la politique républicaine rend parfaitement compte de ce fait reconnu par Machiavel, que les républiques offrent des alliances plus sûres que les princes (che si possa fidare più del popolo che del principe).

On nous objectera peut-être qu'il faut voir dans l'anecdote de Plutarque une légende et non un fait historique : c'est un point sur lequel nous nous expliquerons.

LA CONSPIRATION BONAPARTISTE

« Loin de restreindre, a dit Auguste Comte, l'influence nécessaire que la raison humaine attribua, de tout temps, à l'histoire dans les combinaisons politiques, la philosophie positive l'augmente radicalement et à un haut degré ce ne sont plus seulement des conseils ou des leçons que la politique demande à l'histoire pour perfectionner ou rectifier des inspirations qui n'en sont point émanées; c'est sa direction générale qu'elle va désormais exclusivement chercher dans l'ensemble des dé

terminations historiques. » C'est bien en effet l'esprit du positivisme et de toutes les dynamiques et physiologies sociales de demander exclusivement à l'ensemble des faits passés la direction de la politique. Mais Auguste Comte n'a pas fait attention qu'en cela même l'esprit positiviste, ou, plus généralement évolutionniste, progressiste, ôte toute espèce de valeur aux conseils et aux leçons que la politique tirait autrefois de l'histoire. Il est clair que l'efficacité de ces conseils et de ces leçons suppose une nature passionnelle, morale et sociale de l'homme dont le fond ne change pas à travers les temps et qui reste toujours, sous des formes diverses, le théâtre de la même lutte entre le bien et le mal, c'est-à-dire, d'une part, des intérêts égoïstes et des passions basses qui toujours s'opposent à l'établissement ou travaillent au renversement du droit, de l'autre une conscience, soutenue de passions nobles, qui constamment s'efforce d'en amener le triomphe ou d'en assurer le règne.

C'est d'après cette vue dominante que, dans les siècles précédents, ceux qui ont écrit sur la politique, depuis Machiavel jusqu'à Montesquieu, ont trouvé des enseignements précieux chez les historiens de la Grèce et de Rome. Ils considéraient avec raison qu'ils avaient là, dans sa sincérité et comme dans sa fleur, la première expérience de la vie politique, des passions qu'elle met en mouvement, des caractères qu'elle pousse à se déployer. L'influence que les philosophes du progrès attribuent aujourd'hui à l'histoire est d'une tout autre nature; elle est nouvelle et mauvaise et fait tort à l'ancienne qui était bonne. Il serait vivement à désirer que, laissant là les lois historiques, dont on a fait tant de bruit à notre époque, la curiosité revînt aux sources classiques où puisaient nos pères, à l'étude de l'histoire, telle qu'ils la comprenaient, c'est-à-dire psychologique et morale. J'estime et j'ose dire qu'à lire Thucydide, Tite-Live, etc., il y a plus de profit qu'à méditer la sociologie dynamique d'Auguste Comte. J'ajoute, précisant ma pensée par un exemple, que le récit fait par Tite-Live de la conspiration tramée à Rome sous les premiers consuls en faveur des Tarquins expulsés peut certainement, dans la situation présente, suggérer aux citoyens de la troisième république française de plus salutaires réflexions que les articles où M. Littré exprime ses prévisions optimistes.

L'exemple est instructif et vaut la peine qu'on s'y arrête. J'ouvre l'Histoire de Rome de Tite-Live, livre II, et je lis:

La trahison et la perfidie, qu'on ne redoutait point, faillirent perdre la liberté récemment conquise. Parmi la jeunesse romaine se trouvaient quelques membres des familles les plus distinguées, dont la licence n'avait pas connu de frein sous les rois; c'étaient les compagnons d'âge et de plaisir des jeunes Tarquins, accoutumés à la pompe des cours. Depuis que l'égalité devant la loi était fondée, ils regrettaient leur privilége et se plaignaient entre eux que la liberté de tous les eût réduits eux-mêmes à la servitude. « Un roi, disaient-ils, c'est, après tout, un homme dont

on peut tout obtenir, soit qu'on invoque le droit, soit qu'il faille le méconnaître ; il y a place avec lui à la faveur, au bienfait ; et comme il lui convient, il s'irrite ou pardonne; il sait faire une distinction entre un ami et un ennemi. Les lois sont quelque chose de sourd et d'inexorable; elles offrent plus de protection et d'avantage au pauvre qu'au puissant; elles n'ont ni relâchement, ni clémence pour celui qui les a une fois enfreintes. Il est dangereux, au milieu des erreurs auxquelles l'humanité est sujette, de n'avoir à compter que sur son inncence. » Les esprits étaient dans ces dispositions quand arrivent les députés des Tarquins : sans parler de leur retour, ils venaient réclamer leurs biens. Le sénat leur donne audience, et la délibération se prolonge pendant quelques jours. Un refus allumait la guerre : la restitution donnait les moyens de l'entretenir. Cependant les députés, conduisant de front diverses intrigues, revendiquent les biens de leur maître, et s'occupent sourdement des moyens de le replacer sur le trône. Sous prétexte de solliciter pour l'affaire qu'ils mettent en avant, ils sondent les dispositions de la jeune noblesse. Trouvent-ils des oreilles disposées à les entendre, ils montrent alors les lettres des Tarquins et concertent les moyens de leur ouvrir secrètement les portes de Rome.

Le projet fut confié d'abord aux frères Vitellius et Aquillius. La sœur de Vitellius était femme de Brutus et lui avait donné deux fils déjà dans l'adolescence, Titus et Tibérius. Leurs oncles les associent au complot, et trouvent encore, parmi les jeunes nobles, quelques complices dont le temps nous a dérobé les noms. Cependant la restitution des biens du roi avait obtenu la majorité dans le sénat. C'était pour les députés une raison de prolonger leur séjour : ils avaient demandé aux consuls le temps de rassembler des moyens de transport pour enlever les biens des princes. Tout ce délai, ils l'emploient à se concerter avec les conjurés, et en obtiennent, à force d'instances, une lettre pour les Tarquias; car, sans cette preuve, pourraient-ils, sur le témoignage de leurs députés, ajouter foi à des nouvelles d'une si haute importance? Cette lettre, gage de sincérité, servit à prouver le crime. La conspiration fut découverte grâce à un esclave qui surprit leur conversation et courut tout révéler aux consuls...

La restitution des biens du roi, accordée d'abord, est de nouveau soumise au sénat, qui cédant à son ressentiment, la refusa, refusa même de les déclarer propriétés de l'État. On les abandonna au peuple, pour que la participation à ce pillage lui fit perdre l'espérance de traiter jamais avec les anciens possesseurs... Au pillage des biens du roi succéda la condamnation et le châtiment des traîtres. Il fut d'autant plus éclatant que les devoirs du consulat imposèrent à un père l'obligation de punir lui-même ses fils. Ces jeunes gens, tous de la plus haute naissance, étaient attachés au fatal poteau; mais il semblait que les autres fussent sortis de la classe la plus obscure, et les fils seuls du consul attiraient tous les regards. On était moins touché encore de leur supplice que du crime qui l'avait mérité. C'étaient eux qui, cette année même, avaient formé le projet de livrer leur patrie devenue libre; leur père, son libérateur; le consulat, né dans la maison Junia; les patriciens et le peuple; les dieux de Rome et ses enfants aux fureurs d'un prince qui joignait à l'ancien orgueil d'un despote l'implacable ressentiment de son exil.

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