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Les esprits rebelles donneront leur démission; les autres deviendront amis du curé. Vous sentez que cette fonction n'est qu'une suite de l'autre; l'instituteur est un vicaire extérieur. Si l'État enseigne d'un côté pendant que l'Église enseigne de l'autre, à quoi bon combattre l'anarchie?

» Je sais d'avance tous vos cris! Il n'est pas ici question d'opérer régulièrement, mais exceptionnellement comme la Révolution. Préférezvous mourir? Il s'agit de sauver le peuple! ce qui est la suprême justice... >> Un homme d'honneur déclarera qu'on doit immédiatement prendre, vis-à-vis des instituteurs et des libraires la mesure précédente; et, à l'avenir, la mesure qui suit:

» Pour les instituteurs. D'abord, d'exiger un stage ou assistance de trois années au cours de théologie fait dans le séminaire. Il n'est besoin de tout le temps passé dans les écoles normales pour connaître l'écriture, le calcul et la langue. Ensuite offrir le plus possible ces écoles aux frères. Recueillir dans les séminaires ces pieux élèves dont les idées modestes s'adressent moins aux hautes sciences, et les placer au poste d'honneur dans l'institution primaire; au chef-lieu, par exemple, où ils seraient supérieurs du canton. Ce serait un moyen fructueux, et de profiter précieusement des sujets que n'emploient pas les séminaires, et d'ouvrir dès ce jour une nouvelle carrière à tous ceux qui entreprendraient pour la pédagogie les mêmes études que pour la prêtrise. Rappelezvous-le, la théologie est la première des sciences politiques.

» Pour les libraires. D'abord, exiger une réception et des garanties morales de la nature de celle qu'on réclame des notaires, par exemple, des administrateurs et autres officiers publics. Tout homme a-t-il plus de droit pour transmettre des livres, d'où dépendent les intérêts de l'âme, que pour passer des actes, d'où dépendent les intérêts du temps? Ensuite, prendre note de leurs spécialités, afin de régler ceux qui doivent rester sous la surveillance de l'État, comme le sont les pharmaciens pour les drogues qu'on ne remct qu'à bon escient. Vous craignez le poi'son qui descend des lèvres de l'orateur du club ou de la plume du journaliste, et vous oubliez celui qui se délivre étiqueté sur un comptoir ! N'est-il donc d'interdiction pour cause de salubrité qu'à l'égard des usines empestées?

» C'est donc inutilément que l'Église condamne chaque année les livres nuisibles! A quoi aboutit cette haute protection, si ce que l'on arrête d'un côté vous le laissez passer de l'autre. Le peuple vous appartient-il pour le livrer? » (Ibid., ch. XLIII et XLIV.)

PETIT TRAITÉ DE MORALE

A L'USAGE DES ÉCOLES PRIMAIRES LAÏQUES

-SUITE

4. L'amour pour les parents.

Nous avons parlé jusqu'à présent du devoir et de ce qui est dù. L'obéissance, la reconnaissance, le respect filial, sont des devoirs des enfants vis-à-vis de leurs parents parce que ce sont de justes retours pour les biens que les enfants reçoivent et ont reçus et des obligations liées à leur état d'enfance. Aussi dit-on que la raison les dicte et qu'ils sont justice.

Il n'en est pas de même de l'amour que nous avons pour nos parents. Cet amour est un sentiment naturel, comme l'amour encore plus grand des parents pour leurs enfants est un sentiment de nature, et il est un retour également, puisque c'est l'amour des parents qui commence. Les enfants bien nés et bien doués aiment donc leurs parents, et toutefois s'ils n'avaient pas cet amour ils ne pourraient pas se le donner, parce que cela ne dépend pas de la raison et qu'on ne peut pas s'obliger soi-même à aimer, ni encore moins y être obligé par les autres (1).

Mais s'il ne dépend pas de nous que nous aimions, et si nous avons ce malheur que nous ne sentions pas ce que sentent les enfants bien nés dont le cœur est tendre, nous pouvons du moins toujours connaître nos devoirs et les remplir. Ces devoirs exigent de nous le plus souvent les mêmes actions et les mêmes paroles que nous dicterait cet amour que nous serions impuissants à nous donner si nous ne l'avions pas. Ils apportent de plus avec eux la raison et la mesure et nous empêchent de nous contenter des mignardises et enfantillages qui nous charment et avec lesquels nous charmons quelquefois nos parents, mais avec lesquels. nous ne payons pas notre dette.

Il faut premièrement payer notre dette ; c'est-à-dire qu'il faut être justes. Ensuite l'amour consiste à souhaiter et à vouloir le bien de ceux que nous aimons et à faire pour eux tout ce que nous pouvons, sans y être obligés.

Que les enfants se complaisent dans leur parents ou les parents dans leurs enfants, c'est bien naturel. Mais se complaire n'est pas toujours aimer en observant la justice. Celui qui se complaît se donne une satisfaction personnelle et souvent

(1) On ne se dissimule pas ce que ces définitions et ces distinctions ont quelque chose qui dépasse la portée des enfants, mais il y a trois raisons pour les mettre ici : 1° Étant plus justes et plus solides que celles qu'on met à leur place dans les manuels et les catéchismes, elles ont plus de chances d'être comprises, au moins en partie. Le faux et le

même ne pense qu'à lui. Par exemple, des enfants veulent être sans cesse accrochés à leurs parents et se rendent par là incominodes et ennuyeux. Quand ils les demandent à grands cris au bout d'un moment, c'est pour le plaisir qu'ils en veulent tirer. Si, en les aimant ils voulaient réellement leur bien, ils consulteraient plutôt les goûts et les désirs de ces personnes aimées.,

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Un enfant montrera qu'il aime ses parents selon la justice en faisant attention à ne rien exiger d'eux qui les contrarie et les contraigne à manquer à leurs propres devoirs ou à quitter les occupations qui leur plaisent.

L'amour lui-même, quand il est épuré, cesse d'être exigeant et absorbant comme il l'est chez les personnes violentes et irréfléchies. L'enfant qui aimera ses parents pour eux-mêmes, et non pas pour soi seulement, mettra leur satisfaction avant la sienne. Il sacrifiera à leur contentement, sans hésiter, ses goûts propres et son agrément. Bien plus, il supportera l'injustice et la dureté, s'il est vrai qu'il aime. L'amour triomphe de tout.

Il y a des enfants qui n'aiment pas leurs parents. Il y a aussi des parents qui ne sont pas aimables, et il y en a même qui n'aiment par leurs enfants, ou qui se conduisent envers eux comme s'ils ne les aimaient pas. Mais quelle que soit la conduite de ces parents et quels que soient les sentiments de ces enfants, les devoirs dont on a parlé dicteront toujours à ceux-ci ce qu'ils ont à faire.

On voit des enfants ne pas se contenter de n'aimer point leurs parents, mais encore les maltraiter quand ils en ont la force, ou que la faiblesse de ceux-ci les encourage. Il n'y a plus là ni justice ni amour, on dirait les effets de la haine, et c'est un renversement de la nature aussi bien que de la raison. Les enfants dénaturés sont des espèces de monstres.

Il y en a qui ne croient pas leur ressembler et qui pourtant font autant de mal qu'eux. Il y en a même qui croient aimer leurs parents et qui leur causent par la manière dont ils se conduisent de tels chagrins, qu'ils ne pourraient pas leur en causer de plus grands s'ils les haïssaient. Des parents succombent quelquefois avant l'heure, minés et détruits par la peine et la douleur qui leur viennent des vices de leurs enfants. Ces derniers sont alors des criminels qui tuent sans instruments de mort. Ils doivent savoir qu'ils sont des parricides. Celui qui est pour ses parents un enfant indigne, qui leur cause cette douleur, qui leur fait cette offense et abrége ainsi leurs jours, n'éprouvera plus dans tout le cours de sa vie aucun vrai contentement. Le souvenir seul de sa mauvaise action pèsera sur lui comme une malédiction. Il pourra plus tard se repentir, mais il portera ce lourd fardeau jusqu'à la fin, et en sentira le poids d'autant plus qu'il aura changé de vie.

confus n'ouvrent pas l'intelligence. 2o L'élève qui ne comprend pas dans le moment peut comprendre plus tard. Un vrai bon livre est écrit pour tous les âges. 3° Si l'élève ne comprend pas, l'instituteur peut prendre la leçon pour lui-même et la mettre à profit dans son enseignement oral.

(A suivre.)

Le rédacteur-gérant: F. PILLON.

FARIS.MPRIMERIE DE E. MARTINET, RUE MIGNON, 2

LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE

POLITIQUE, SCIENTIFIQUE, LITTÉRAIRE

QU'EST-CE QUE LE DÉTERMINISME?

Entre le déterminisme et la doctrine du libre arbitre, dans les débats si mal réglés, si mal définis, qui s'élèvent souvent et de tous côtés, on a l'habitude de déplacer les rôles et de s'exprimer comme si, le système de la nécessité se trouvant en possession, et il l'est, en effet, de beaucoup de vérités acquises, incontestables, la croyance en la liberté humaine avait à les lui disputer. On s'imagine que le libre arbitre implique une revendication absolue du domaine moral, tandis que le déterminisme maintient contre lui l'existence de tant de relations nécessaires sur lesquelles l'expérience ne laisse pas de doutes. Il s'en faut bien qu'il en soit ainsi; au contraire, la liberté morale peut se réduire au domaine le plus étroit et cependant subsister en son intégrité, soit en elle-même, soit pour l'immensité des conséquences qu'entraîne son exercice dans la sphère matériellement la moins étendue, si seulement on lui en concède une propre. Mais le plein déterminisme, ou doctrine nécessitaire, ne peut être satisfait à moins de supprimer totalement le for réservé de la libre conscience. Autrement, nul ne lui faisant opposition, cette doctrine n'aurait rien à défendre ni à conquérir, et devrait perdre son nom en philosophie.

Il ne sert donc de rien à ceux qui veulent attaquer le libre arbitre d'énumérer toutes les espèces et tous les cas de dépendance de la volonté humaine à l'égard de la nature, de la société et des milieux moraux et de tout ce qu'il y a de faits acquis pouvant créer des antécédents et des circonstances d'infaillible détermination pour l'activité de chaque personne. Ce serait même aux partisans de la liberté-ils ne le font pas assez, mais ils le feraient certes sans inconvénient et pour le plus grand avantage de la thèse qu'ils ont à soutenir, ce serait à eux d'exposer avec force, en l'estimant au maximum, l'ensemble de ce qu'on pourrait nommer le système des prédéterminations à agir sous des conditions données, dans tout individu organique, mental et social. On y trouverait les actions réflexes, l'ordre entier des instincts, quelle qu'en soit l'origine, celui des habitudes, quand elles parviennent au point où la réflexion et la délibé

CRIT. PHILOS.

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IV. - 35

ration disparaissent des actes, et enfin les effets de la loi de solidarité humaine, pour autant que les traditions, l'éducation, l'exemple et toutes les sanctions des préceptes ou maximes reçus, causent une pente invincible des opinions et des résolutions chez chacun. Si diminué que se trouvât le domaine d'un libre arbitre à la suite de ces grandes vérités admises auxquelles il serait ridicule et maladroit de donner le caractère de concessions, il resterait toujours à savoir si un tel domaine existe, et la question, pour qui la comprend, demeurerait entière.

Qu'est-ce maintenant que nier l'existence d'une sphère quelconque d'imprédétermination ou libre arbitre, et pousser le déterminisme à l'absolu? C'est, en usant de l'énoncé nouveau qu'on adopte du vieux principe de la « raison suffisante », embrasser la loi de l'« invariable séquence», affirmer que tout fait ou acte sans exception est ce qu'il est, exclusivement, à raison de ce que sont les faits ou actes antécédents ou ambiants de toute nature, et ne peut être autre qu'il est sous les mêmes conditions. Et si, par exemple, il s'agit de faits psychiques et d'actes humains délibérés, c'est assurer que jamais la délibération n'introduit d'éléments modificateurs des résultantes, outre ceux qui dépendent rigoureusement et en entier d'éléments antérieurement donnés dont ils sont les conséquents invariables.

De ce point de vue, l'homme, la personne en tous ses états et actes successifs, à partir de l'embryon et avant, est quelque chose qui se fait en résultant perpétuellement, dc moment en moment, d'une manière spontanée sans doute et non pas forcée, mais sans pouvoir être en aucun temps différente de ce qu'elle est et résulte. L'opinion qu'ont les hommes de la possibilité d'avoir voulu et fait en quelques cas ce qu'ils n'ont pas voulu et ce qu'ils n'ont pas fait est une illusion de l'esprit humain. L'opinion qu'il existe quelques futurs ambigus, c'est-à-dire quelques futurs également déterminés ou indéterminés, en un sens comme en l'autre de l'imagination qui les envisage, et réels dans leur genre qui implique ce double sens, est une illusion.

Ce sont donc aussi des illusions par voie de conséquence, tous ces sentiments humains qui supposent l'égale possibilité des déterminations contraires au cours de nos délibérations, et qu'on observe dans la multitude des cas pratiques où se montrent le regret, le blâme, la louange, le conseil, etc. Non que les déterministes dussent logiquement vaincre ces affections et s'en corriger, s'ils le pouvaient, ou qu'il n'y eût pas moyen pour eux d'en rendre compte: les défenseurs du libre arbitre ont eu tort de présenter l'objection sous cette forme, et n'ont pas bien servi leur cause; ce qui est vrai, c'est que ces affections invincibles sont accompagnées de la cro, ance naturelle en l'existence d'une sphère d'imprédétermination ouverte au libre arbitre, et cette croyance est ce que le déterminisme est obligé de traiter d'illusion, quoique incorrigible.

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