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même ne pense qu'à lui. Par exemple, des enfants veulent être sans cesse accrochés à leurs parents et se rendent par là incominodes et ennuyeux. Quand ils les demandent à grands cris au bout d'un moment, c'est pour le plaisir qu'ils en veulent tirer. Si, en les aimant ils voulaient réellement leur bien, ils consulteraient plutôt les goûts et les désirs de ces personnes aimées.

Un enfant montrera qu'il aime ses parents selon la justice en faisant attent ion à ne rien exiger d'eux qui les contrarie et les contraigne à manquer à leurs propres devoirs ou à quitter les occupations qui leur plaisent.

L'amour lui-même, quand il est épuré, cesse d'être exigeant et absorbant comme il l'est chez les personnes violentes et irréfléchies. L'enfant qui aimera ses parents pour eux-mêmes, et non pas pour soi seulement, mettra leur satisfaction avant la sienne. Il sacrifiera à leur contentement, sans hésiter, ses goûts propres et son agrément. Bien plus, il supportera l'injustice et la dureté, s'il est vrai qu'il aime. L'amour triomphe de tout.

Il y a des enfants qui n'aiment pas leurs parents. Il y a aussi des parents qui ne sont pas aimables, et il y en a même qui n'aiment par leurs enfants, ou qui se conduisent envers eux comme s'ils ne les aimaient pas. Mais quelle que soit la conduite de ces parents et quels que soient les sentiments de ces enfants, les devoirs dont on a parlé dicteront toujours à ceux-ci ce qu'ils ont à faire.

On voit des enfants ne pas se contenter de n'aimer point leurs parents, mais encore les maltraiter quand ils en ont la force, ou que la faiblesse de ceux-ci les encourage. Il n'y a plus là ni justice ni amour, on dirait les effets de la haine, et c'est un renversement de la nature aussi bien que de la raison. Les enfants dénaturés sont des espèces de monstres.

Il y en a qui ne croient pas leur ressembler et qui pourtant font autant de mal qu'eux. Il y en a même qui croient aimer leurs parents et qui leur causent par la manière dont ils se conduisent de tels chagrins, qu'ils ne pourraient pas leur en causer de plus grands s'ils les haïssaient. Des parents succombent quelquefois avant l'heure, minés et détruits par la peine et la douleur qui leur viennent des vices de leurs enfants. Ces derniers sont alors des criminels qui tuent sans instruments de mort. Ils doivent savoir qu'ils sont des parricides. Celui qui est pour ses parents un enfant indigne, qui leur cause cette douleur, qui leur fait cette offense et abrége ainsi leurs jours, n'éprouvera plus dans tout le cours de sa vie aucun vrai contentement. Le souvenir seul de sa mauvaise action pèsera sur lui comme une malédiction. Il pourra plus tard se repentir, mais il portera ce lourd fardeau jusqu'à la fin, et en sentira le poids d'autant plus qu'il aura changé de vie.

confus n'ouvrent pas l'intelligence. 2o L'élève qui ne comprend pas dans le moment peut comprendre plus tard. Un vrai bon livre est écrit pour tous les âges. 3° Si l'élève ne comprend pas, l'instituteur peut prendre la leçon pour lui-même et la mettre à profit dans son enseignement oral.

(A suivre.)

Le rédacteur-gérant: F. PILLON.

FAR:S.-MPRIMERIE DE E. MARTINET, RUE MIGNON, 2

LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE

POLITIQUE, SCIENTIFIQUE, LITTÉRAIRE

QU'EST-CE QUE LE DÉTERMINISME?

Entre le déterminisme et la doctrine du libre arbitre, dans les débats si mal réglés, si mal définis, qui s'élèvent souvent et de tous côtés, on a l'habitude de déplacer les rôles et de s'exprimer comme si, le système de la nécessité se trouvant en possession, et il l'est, en effet, de beaucoup de vérités acquises, incontestables, la croyance en la liberté humaine avait à les lui disputer. On s'imagine que le libre arbitre implique une revendication absolue du domaine moral, tandis que le déterminisme maintient contre lui l'existence de tant de relations nécessaires sur lesquelles l'expérience ne laisse pas de doutes. Il s'en faut bien qu'il en soit ainsi; au contraire, la liberté morale peut se réduire au domaine le plus étroit et cependant subsister en son intégrité, soit en elle-même, soit pour l'immensité des conséquences qu'entraîne son exercice dans la sphère matériellement la moins étendue, si seulement on lui en concède une propre. Mais le plein déterminisme, ou doctrine nécessitaire, ne peut être satisfait à moins de supprimer totalement le for réservé de la libre conscience. Autrement, nul ne lui faisant opposition, cette doctrine n'aurait rien à défendre ni à conquérir, et devrait perdre son nom en philosophie.

Il ne sert donc de rien à ceux qui veulent attaquer le libre arbitre. d'énumérer toutes les espèces et tous les cas de dépendance de la volonté humaine à l'égard de la nature, de la société et des milieux moraux et de tout ce qu'il y a de faits acquis pouvant créer des antécédents et des circonstances d'infaillible détermination pour l'activité de chaque personne. Ce serait même aux partisans de la liberté-ils ne le font pas assez, mais ils le feraient certes sans inconvénient et pour le plus grand avantage de la thèse qu'ils ont à soutenir, ce serait à eux d'exposer avec force, en l'estimant au maximum, l'ensemble de ce qu'on pourrait nommer le système des prédéterminations à agir sous des conditions données, dans tout individu organique, mental et social. On y trouverait les actions réflexes, l'ordre entier des instincts, quelle qu'en soit l'origine, celui des habitudes, quand elles parviennent au point où la réflexion et la délibé

CRIT. PHILOS.

IV.

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ration disparaissent des actes, et enfin les effets de la loi de solidarité humaine, pour autant que les traditions, l'éducation, l'exemple et toutes les sanctions des préceptes ou maximes reçus, causent une pente invincible des opinions et des résolutions chez chacun. Si diminué que se trouvât le domaine d'un libre arbitre à la suite de ces grandes vérités admises auxquelles il serait ridicule et maladroit de donner le caractère de concessions, il resterait toujours à savoir si un tel domaine existe, et la question, pour qui la comprend, demeurerait entière.

Qu'est-ce maintenant que nier l'existence d'une sphère quelconque d'imprédétermination ou libre arbitre, et pousser le déterminisme à l'absolu? C'est, en usant de l'énoncé nouveau qu'on adopte du vieux principe de la « raison suffisante », embrasser la loi de l'« invariable séquence», affirmer que tout fait ou acte sans ex ception est ce qu'il est, exclusivement, à raison de ce que sont les faits ou actes antécédents ou ambiants de toute nature, et ne peut être autre qu'il est sous les mêmes conditions. Et si, par exemple, il s'agit de faits psychiques et d'actes humains délibérés, c'est assurer que jamais la délibération n'introduit d'éléments modificateurs des résultantes, outre ceux qui dépendent rigoureusement et en entier d'éléments antérieurement donnés dont ils sont les conséquents invariables.

De ce point de vue, l'homme, la personne en tous ses états et actes successifs, à partir de l'embryon et avant, est quelque chose qui se fait en résultant perpétuellement, dc moment en moment, d'une manière spontanée sans doute et non pas forcée, mais sans pouvoir être en aucun temps différente de ce qu'elle est et résulte. L'opinion qu'ont les hommes de la possibilité d'avoir voulu et fait en quelques cas ce qu'ils n'ont pas voulu et ce qu'ils n'ont pas fait est une illusion de l'esprit humain. L'opinion qu'il existe quelques futurs ambigus, c'est-à-dire quelques futurs également déterminés ou indéterminés, en un sens comme en l'autre de l'imagination qui les envisage, et réels dans leur genre qui implique ce double sens, est une illusion.

Ce sont donc aussi des illusions par voie de conséquence, tous ces sen. timents humains qui supposent l'égale possibilité des déterminations contraires au cours de nos délibérations, et qu'on observe dans la multitude des cas pratiques où se montrent le regret, le blâme, la louange, le conseil, etc. Non que les déterministes dussent logiquement vaincre ces affections et s'en corriger, s'ils le pouvaient, ou qu'il n'y eût pas moyen pour eux d'en rendre compte: les défenseurs du libre arbitre ont eu tort de présenter l'objection sous cette forme, et n'ont pas bien servi leur cause; ce qui est vrai, c'est que ces affections invincibles sont accompagnées de la croyance naturelle en l'existence d'une sphère d'imprédétermination ouverte au libre arbitre, et cette croyance est ce que le déterminisme est obligé de traiter d'illusion, quoique incorrigible.

Mais pourquoi serait-ce une illusion? Pour une raison très-forte, on doit en convenir, quand le déterminisme a pour adversaires les partisans d'une certaine faculté humaine appelée liberté d'indifférence, en vertu de laquelle il serait donné à l'agent d'avoir des volitions indépendantes de ses propres jugements et de ses passions dominantes, aux moments où il se détermine à ses actes. Cette faculté chimérique, et qui d'ailleurs serait dénuée de toute valeur morale, est insoutenable dès l'antiquité, et l'on peut dire qu'elle a contre elle aujourd'hui tout ce qu'il y a d'analyses psychologiques solides portant sur les mobiles des actions humaines. Mais la thèse du libre arbitre n'exige rien de ces fictions de facultés séparées, de jugements nécessaires opposés à des volontés pures. Elle sera d'autant plus forte et d'autant plus sincère qu'on en fera porter immédiatement l'affirmation sur les états psychiques et sur les mobiles eux-mêmes, et sur tous, pourvu, bien entendu, qu'il s'agisse de l'une des séries de ces états ou actes internes où il peut être question de libre arbitre, — et qu'on soutiendra sans hésiter qu'ils renferment des éléments, entre autres, dont la prédétermination n'est point entière au moment où ils se réalisent; que ces éléments ne doivent pas dès lors se nommer de simples conséquents, fonctions invariables de leurs antécédents et des circonstances; qu'en un mot, le devenir humain mental a des parties créées, imprévoyables en toute rigueur, ou quelque extension idéale que puisse prendre la prévision fondée sur la science, et n'est nullement un composé successif de faits d'« invariable séquence».

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Quand la question est posée avec cette simplicité et cette franchise, le déterministe absolu cesse de pouvoir arguer de l'existence d'un mobile soit passionnel soit rationnel, dont la représentation est liée à toute détermination mentale dont nous ayons conscience on lui accorde la pleine vérité sans exception de ce principe psychologique. Mais c'est à lui de faire la preuve de l'« invariable séquence », qu'on lui dénie en invoquant simplement la croyance naturelle, à lui de démontrer qu'il ne saurait y avoir de place au libre arbitre.

L'idéal absolu de la science est le principal appui de la thèse déterministe. Mais c'est un appui mal entendu. Si l'on voulait dire que les investigations scientifiques, dont le déterminisme des phénomènes est la condition même, ne doivent se reconnaître a priori aucune limite, on dirait vrai. Une bonne méthode et le propre esprit de la science exigent liberté entière du terrain ouvert à la recherche, et l'histoire des sciences montre clairement quels inconvénients il y aurait eu à le borner d'avance et à s'en interdire des parties. Mais si l'on veut soi-même affirmer a priori que la science n'a naturellement point de bornes et que tous les faits possibles sont du domaine scientifique au fond, c'est-à-dire tous prédéterminés de leur nature, tous prévisibles en eux-mêmes, on ne fait

en cela que reproduire la thèse qu'il s'agissait d'appuyer par d'autres raisons, et c'est une affirmation gratuite (1).

Dans l'espèce, il s'agirait d'assurer qu'encore qu'on ne puisse raisonnablement espérer de pousser les progrès de la psychologie appliquée et la connaissance empirique de tous les éléments si complexes des caractères humains et des résolutions individuelles au point de prévoir les actes et les événements qui doivent résulter d'un système de conditions données, cependant la prévisibilité idéale existe et la science de tout l'avenir est réelle en soi quoique irréalisable pour nous. Ce dogme, car c'en est un, et qui rappelle, à la divinité près dont on ne parle plus, celui de la prescience universelle, n'est pas réclamé par l'idéal sérieux de la science, puisqu'on avoue qu'en toute hypothèse il est interdit à l'esprit humain d'imaginer la science portée à ce point; on ne peut donc y voir qu'une espèce de définition métaphysique de cet idéal, qui n'apporte aucune preuve à l'appui du déterminisme, mais qui plutôt tire lui-même du déterminisme toute la force qu'il peut avoir.

Reste en faveur du déterminisme, et pour l'opposer à la croyance naturelle de l'indétermination de quelques futurs, la notion du lien de causalité entre les états psychiques successifs, l'induction de l'universalité et intégralité de ce lien dans les cas où il y a des éléments de détermination latents. Mais voici le point faible et, disons tout de suite, le point absurde de l'induction, transportée comme elle doit l'être et comme elle l'est toujours à l'ensemble du développement du monde. Ce qu'on a vu plus haut sous cette formule que la personne humaine, selon le déterminisme, est une résultante perpétuelle d'antécédents, qui résultent eux-mêmes de leurs antécédents, et ainsi de suite sans que jamais rien puisse commencer à proprement parler, c'est aussi ce que le déterminisme admet à l'égard de l'évolution universelle. «Ce qui arrive suppose, dit-on, un état antérieur auquel il succède inévitablement suivant une règle. Or cet état antérieur doit être lui-même quelque chose qui soit arrivé qui soit devenu dans le temps ce qu'il n'était pas auparavant puisque, s'il avait toujours été, sa conséquence n'aurait pas commencé d'être, mais qu'elle aurait aussi toujours été. La causalité de la cause par laquelle quelque chose arrive est donc toujours ellemême quelque chose d'arrivé, qui suppose à son tour, suivant la loi de la nature, un état antérieur et la causalité de cet état, celui-ci un autre plus ancien, et ainsi de suite. Il y a donc toujours un commencement subalterne, mais il n'y a jamais un premier commencement, et par conséquent la série des causes dérivant les unes des autres n'est jamais

(1) Voyez, au sujet de l'idéal de la science, des articles déjà anciens de la Critique philosophique, nos 15, 40 et 49, 2e année.

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