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signal et à la voix de l'archange, au son de la trompette de Dieu, descendra du ciel, et les morts en Christ ressusciteront d'abord. Puis nous qui serons vivants, qui aurons été laissés, nous serons enlevés avec eux dans les nuées, à la rencontre du Seigneur dans l'air; et ainsi nous serons toujours avec le Seigneur. Consolez-vous les uns les autres dans ces paroles (1). >>

Il ne faudrait pas croire, sur quelques expressions de ce passage, que Paul n'admettait la résurrection que pour les morts en Christ. La vérité est qu'il ne veut parler que de ces derniers qu'attend la béatitude, et qu'il ne s'occupe pas autrement du sort des autres qui ne laissent pas de devoir être jugés selon la constante tradition qu'il suit et ne peut éviter de suivre. Mais l'universalité du fait et de la loi de la résurrection, suivant lui, résulte clairement des termes d'un argumentation célèbre dans laquelle il conclut de la résurrection de Jésus, admise par hypothèse et sur ce qu'il croit être un témoignage indubitable des disciples et de ses propres sens (on xάuo), à la résurrection des hommes en général; car, dit-il en propres termes, « s'il n'y a pas de résurrection des morts, alors Christ non plus n'est pas ressuscité, et si Christ n'est pas ressuscité, ma prédication et votre foi sont vaines. Nous serions même de faux témoins contre Dieu en disant qu'il a ressuscité Christ, puisqu'il ne l'a pas ressuscité, s'il est vrai que les morts ne ressuscitent pas. Si les morts ne ressuscitent pas, Christ non plus n'est pas ressuscité» (2). Un peu après ce passage se trouve l'intéressante théorie de la vie future et des deux espèces de corps, qu'il nous reste à éclaircir pour achever ce que nous avons à dire de la doctrine physico-religieuse de l'immortalité dans la primitive Église. Nous sommes obligés de traduire un morceau de quelque étendue:

« Quelqu'un dira: comment les morts ressuscitent-ils? avec quel corps reviennent-ils? Insensé ! ce que tu sèmes n'est pas vivifié, qu'auparavant il ne meure, et ce que tu sèmes n'est pas le corps qui viendra, mais le grain nu, de froment ou tout autre. Dieu lui donne un corps comme il l'entend, et à chaque semence son corps propre. Toute chair n'est pas même chair; autre est celle des hommes, autre du bétail, autre des oiseaux, autre des poissons. Et il y a des corps célestes et des corps terrestres, mais autre est la gloire des corps célestes, autre celle des terrestres. Autre est la gloire du soleil, autre la gloire de la lune, autre la gloire des étoiles. Ainsi de la résurrection des morts. On est semé dans la corruption, on ressuscite dans l'incorruption. On est semé dans la bassesse, on

(1) Ep. Thessal., IV, 13-18.

(2) Epist. Cor., XV, 13-16. Ce passage nous semble d'une clarté sans pareille. Tout ce qui en fait la difficulté, même pour un commentateur aussi sincère et aussi profond que M. Reuss, selon qui Paul a fait de la résurrection un privilége des fidèles chrétiens, c'est que, pour le comprendre, il faut établir une entière parité vis-à-vis de la nature et de la mort entre le Christ et les autres hommes. Et il en coûte peut-être de supposer ce point de vue à l'apôtre.

ressuscite dans la gloire; on est semé dans la faiblesse, on ressuscite dans la force. Un corps animé est semé, un corps spirituel ressuscite. S'il existe un corps animé, il existe aussi un corps spirituel. Comme il est écrit: le premier homme, Adam, est venu en âme vivante; ainsi le dernier Adam en esprit vivifiant. Mais ce n'est pas le spirituel qui est le premier, c'est l'animé ; ensuite le spirituel. Le premier homme, venu de la terre est terrestre; le second homme vient du ciel. Tel le terrestre, tels aussi les terrestres ; et tel le céleste, tels les célestes. Or de même que nous avons porté l'image du terrestre, nous porterons aussi l'image du céleste.

» Je vous dis ceci, frères: que la chair et le sang ne peuvent entrer en possession du royaume du ciel; la corruption ne possédera pas l'incorruption. Voici que je vous dis un mystère : Nous ne dormirons pas tous (1), mais tous nous serons changés, dans l'instant, en un clin d'œil, au son de la trompette finale. Car elle sonnera et les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, nons serons changés, car il faut que ce corruptible qui est là revête l'incorruption et que ce qui est mortel revête l'immortalité. Et lorsque ce corruptible revêtira l'incorruption et ce mortel l'immortalité, alors s'accomplira ce qui est écrit: La mort est engloutie dans la victoire. Où est, ô mort, ton aiguillon? où est, ô Hadès. ta victoire ? Mais l'aiguillon de la mort, c'est le péché, et la force du péché, c'est la loi. Remercions Dieu qui nous a donné la victoire par notre seigneur Jésus-Christ » (2).

Voltaire s'est bien des fois moqué du grain de blé qui meurt pour renaître, ou se corrompt pour. se régénérer, mais sa critique a été ici moins intelligente qu'on l'eût désiré. S'il s'agissait, en effet, d'une corruption et d'une mort à proprement parler, elles ne répondraient pas mieux à l'intention du mystère grec ou chrétien et à la leçon qu'on veut y donner, qu'à la vérité physiologique rappelée par Voltaire: à savoir que le grain ne meurt pas, ne se corrompt pas. Mais il s'agit de l'anéantissement apparent d'une forme donnée, lequel est un moyen d'une formation nouvelle, un terme nécessaire d'une évolution dont la fin est une série d'individus semblables à l'individu détruit. C'est donc une loi de la nature qu'on allègue, une loi connue qui peut parfaitement servir de symbole à une autre loi inconnue que la foi suppose en vue de reconstituer pour une même conscience donnée une même forme physique humaine à l'issue de certaines transformations non pas plus étranges à penser, mais cette fois soustraites au témoignage des scns. Qu'ensuite l'hiérophante ait recours à l'action brusque du miracle pour l'exposition complète du mystère, et que l'homme religieux, surtout de ce temps, voie dans la nature la main et l'opération directe de Dieu plutôt que la loi, cela est certain, mais c'est ce qui rend encore plus frappant le premier essai d'une théorie dont le fond est destiné à se retrouver plus

(1) Sous-entendu quand viendra la parousie. grec; celui de la Vulgate est fort différent. On en (2) Epist. Cor., XV, 35-57.

On suit ici comme partout le texte parlera plus loin,

tard dans les spéculations de la monadologie physiologique de l'école de Letbniz.

La distinction du corps spirituel (paτixv) et du corps animé ou animal (xx), dans la doctrine paulinienne, éclaire, à notre avis, loin de l'obscurcir, l'idée fondamentale de la conservation des âmes matérielles. Le corps psychique venu en Adam est celui qui renferme l'« âme vivante», et cette âme est l'âme conservée en son existence matérielle invisible, l'âme qui se rend dans l'Hadès après la décomposition du corps, l'âme qui peut de nouveau, sous certaines circonstances, reprendre le sentiment et la pensée, revêtir des corps, et en particulier le corps qu'elle a perdu, mais dont cette espèce d'immortalité ne satisfait point, vu sa nature trop basse, aux conditions de la vie divine. De là chez Paul, et sans doute aussi suivant l'enseignement de mystères plus anciens, le concept d'un corps pneumatique ou spirituel, destiné à la gloire des initiés, des élus, de ceux qui seront semblables au second homme, au dernier Adam venu du ciel « en esprit vivifiant » (par opposition au premier Adam venu de la terre «en âme vivante ») et qui << porteront l'image » de l'homme céleste, après avoir porté l'image de l'homme terrestre.

Dans le tableau miraculeux du changement instantané des fidèles qui vivront au moment de la parousie et qui dépouilleront leurs corps psychiques pour prendre des corps pneumatiques, Paul, nous l'avons déjà remarqué, n'a pensé qu'à lui-même et à ses frères. En même temps que les vivants seront ainsi changés « les morts ressusciteront incorruptibles», dit-il (oi vexpoi iyepОńσovτa: 䟤aptor). Il est donc clair qu'il ne parle pas des morts infidèles. Ceux-ci ressusciteront-ils dans leurs corps psychiques et corruptibles pour subir le jugement de la tradition pharisaïque, ou seront-ils jugés par là même qu'ils ne ressusciteront que de cette manière? Mourront-ils une seconde fois? Rentreront-ils dans leur deminéant de l'Hadès, ou l'anéantissement total les menace-t-il à la fin, ou d'autres destinées les attendent-elles, ou, enfin, sont-ils promis, dans ces corps psychiques, à de longs tourments? L'apôtre n'en révèle rien. Dans l'Église latine, qui adopta l'opinion du jugement formel de tous les morts et de la damnation qualifiée d'éternelle des méchants, avec certains tourments appropriés, on s'étonna évidemment de ce que Paul n'avait parlé que de la résurrection des élus. Il s'introduisit alors dans le texte. de l'Épitre aux Corinthiens une variante qu'on trouve dans la Vulgate et qui prête à Paul, au lieu de ces mots : « Nous ne dormirons par tous, mais tous nous serons changés », ceux-ci : « Nous ressusciterons tous, mais tous nous ne serons pas changés (Omnes quidam resurgimus, sed non omnes immutabimur)» ; c'est-à-dire : il n'y aura parmi les ressuscités que les seuls élus qui revêtiront des corps spirituels. Cette dernière formule qui n'est pas de Paul, à notre avis, ne contredit point la pensée qu'on

peut lui supposer touchant la résurrection; mais lui ne songe qu'à ceux qui renaissent en Christ après être morts en Adam, qui ressuscitent après Christ et comme Christ pour être « vivifiés en lui », et il appelle ces élus tous, tous les morts, tous les hommes, comme s'il n'y en avait pas d'autres en effet, ou qu'on n'eût qu'à les oublier comme étrangers désormais aux véritables espérances de la vie.

<«< Christ est ressuscité des morts, lui, prémices de ceux qui dorment. Car de même que la mort est par un homme, ainsi par un homme la résurrection des morts. Et de même que tous meurent en Adam, ainsi tous seront vivifiés en Christ. Chacun au rang qui lui convient : comme prémices, Christ; ensuite ceux qui sont de Christ, lors de sa parousie ; ensuite la fin, lorsqu'il remettra le royaume au Dieu et Père et qu'il anéantira tout principat, toute autorité, toute puissance. Il doit régner jusqu'à ce qu'il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds. Le dernier ennemi qui sera anéanti, c'est la mort... Et quand il aura soumis tout à soi, le Fils lui-même sera soumis à celui qui lui soumet tout, afin que Dieu soit toutes choses en toutes (1). »

Il n'est pas de mon sujet de rechercher ce que Paul entendait par l'anéantissement de la mort, et quelle destinée il imaginait en ce cas pour les incrédules. La question paraît difficile, ou plutôt insoluble faute de documents. Mais il faut que je revienne aux philosophes, après avoir tiré de tout ce qui précède une conclusion qui suffira pour aujourd'hui. C'est que les auteurs du christianisme primitif ont nié la spiritualité pure, mais non l'immortalité naturelle, qui se présente, au contraire, d'elle-même à des penseurs pénétrés à la fois de l'idée de la matérialité universelle et pleins de l'espérance religieuse du retour des personnes à la mémoire. Si la doctrine de la résurrection se présente chez ceux-ci sous la forme de mystère et de miracle, elle ne laisse pas d'avoir dans leur pensée un fondement physique. Ils le montrent clairement dans plusieurs passages, et l'on s'en apercevrait encore mieux, si, en s'arrêtant à ce qu'ils disent de l'état ou du séjour des morts et des phénomènes naturels de conservation, de développement et de transformation physiologique des germes, on oubliait un moment l'habitude qu'ils ne peuvent manquer d'avoir, en leur qualité d'hommes religieux, de confondre les lois réelles ou supposées de la nature avec des effets directs d'une volonté supramondaine. RENOUVIER.

(1) Epist. Cor., XV, 20-28.

Le rédacteur-gérant: F. PILLON.

JARIS.MPRIMERIE DE E. MARTINET, RUE MIGNON, ទ

LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE

POLITIQUE, SCIENTIFIQUE, LITTÉRAIRE

LES DOCTRINES PHYSICO-RELIGIEUSES DE L'IMMORTALITÉ PERSONNELLE

(Voy. le n° 32 et 35 de la Critique philosophique.)

On a eu d'assez fréquentes occasions de parler de la monadologie, dans la Critique philosophique, et d'indiquer les ressources que des philosophes ont trouvées dans cette doctrine, pour donner à l'immortalité personnelle un fondement bien différent de celui que lui prêtent la métaphysique des esprits purs et les démonstrations prétendues de la psychologie cartésienne. Ce n'est pas que Leibniz n'ait regardé ses monades comme des sortes d'essences toutes spirituelles, mais en même temps, ne l'oublions pas, il déclarait formellement ne pas admettre d'âmes entièrement séparées, et il admettait la conservation d'un certain organisme indestructible après la mort des êtres animés. Il changeait donc du tout au tout la manière de considérer la psychologie et les questions relatives à l'avenir de tout ce qu'on appelle des âmes, et qu'il ne faudrait plus nommer que des consciences ou des personnes (ensembles de phénomènes psychiques liés à des phénomènes d'ordre corporel). C'est ce qu'on n'a jamais assez remarqué, et à quoi devraient bien réfléchir tous ceux qui combattent aujourd'hui l'hypothèse de « l'immortalité de l'âme » comme s'il ne s'agissait toujours que des esprits purs. Il est vrai que notre philosophie universitaire est très-arriérée et que les critiques doivent suivre naturellement dans leurs errements les apologistes de l'ancienne méthode.

Nous ne voulons nous occuper aujourd'hui ni de la monadologie proprement dite, ou de sa transformation en un certain atomisme dont nous avons cité ailleurs des échantillons, ni enfin du principe premier des corps, organisés ou non. Mais laissant de côté le problème fondamental, dit métaphysique, nous parlerons des systèmes intéressants et trop peu étudiés des philosophes qui ont cherché pour les espérances d'immortalité une base physique, sans porter la spéculation au delà des propriétés des corps dont il est possible de connaitre ou de supposer l'exis

CRIT. PHILOS.

IV.

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