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formellement l'église papiste, et l'autre de s'unir à l'une des églises qui se renferment dans le cercle de la tradition chrétienne. On ne saurait douter que leur avertissement n'ait été entendu. Mais la première obligation fut mieux sentie que la seconde. A dater de l'époque ou Quinet, du lieu de son exil, avait lancé l'appel si ardemment motivé (Bruxelles, 1856), le parti pris des enterrements civils, qui s'était d'abord établi en Belgique parmi les adversaires les plus logiques et les plus résolus de la domination cléricale, a gagné du terrain en France: assez même pour causer un changement dans la tactique de l'Église en matière d'enrégimentement des morts; car autrefois elle marquait sa force en se fermant aux cadavres de ses ennemis avérés, en dépit des sollicitations et du scandale; et aujourd'hui elle voudrait triompher d'eux en priant pour eux malgré eux, et leur faire part forcée du monopole de sa terre bénite. Malheureusement, les libres penseurs qui ont adopté ce mode de renoncement et de protestation vis-à-vis de la «vieille religion » ont choisi le moins incommode pour eux encore qu'il ait ses difficultés pour les survivants, et le plus fàcheux de tous eu égard aux habitudes publiques et à l'idée que le vulgaire se fait des convenances. Ils se retirent de l'Église au moment où la mort les retire du monde, et ils laissent en général dans ce monde des enfants baptisés catholiquement, fruits d'un mariage que l'église catholique a bénit. Vit-on jamais acte plus ineffectif que celui qui n'étant ni précédé ni suivi d'aucun autre de même nature constate l'impuissance de l'agent in extremis, sa vie qui n'a puêtre conforme à sa mort, sa mort qui bannissant le prêtre n'affranchit pas pour cela du prêtre un seul être vivant! Et une résolution de si peu de portée, qu'on peut prendre sans avoir fait le moindre effort et le moindre sacrifice pour régler sa propre famille en accord avec les sentiments et les devoirs auxquels on donne cette consécration posthume, une résolution ainsi réduite aux proportions d'une protestation vaine ne laisse pas de dépasser beaucoup la mesure du juste et de l'utile. Le sens qu'elle a vis-à-vis du grand public est celui d'une répudiation de toute foi religieuse ct, par suite, au jugement de la plupart des hommes, tels que l'éducation chrétienne les a faits, d'une assimilation honteuse de la destinée humaine à la carrière de la bête. La police des conservateurs profite de cette méprise- qui n'en est pas tout à fait une toujours pour soumettre les enterrements civils à des conditions avilissantes, ainsi qu'on l'a fait à l'égard des hérétiques à d'autres époques. Or la police n'aurait aucun intérêt à prendre de telles mesures si elle ne savait très-bien qu'il y a là pour elle un sentiment réel à exploiter dans les populations.

Ainsi les partisans des enterrements civils dépassent le but sans le toucher; ils ne sortent pas de l'église catholique et n'en font sortir personne, et, en protestant de fait, qu'ils l'entendent ou non de cette ma

nière, contre toute religion et toute cérémonie religieuse, ils font tout le contraire de ce que Sue et Quinet avaient conseillé. Ils ne se rattachent à aucune communion existante, et, de cela seul qu'ils les repoussent toutes, ils rivent les liens qui les enchaînent à la romaine.

III. Le vice de la proposition de Quinet consistait en ce que la démarche conseillée pour servir à l'abjuration réelle et efficace du papisme devait porter le caractère d'une concession faite par des rationalistes à la nécessité, temporaire suivant eux, de se ranger sous quelque rubrique de culte aux yeux du monde, et pour cela de choisir la religion en quelque sorte la moins religieuse possible, en subissant le double inconvénient et d'avoir encore à forcer sa conscience pour en être, et de trouver difficilement les moyens de donner au culte qu'on adopterait l'existence civile et l'établissement sérieux, incontestable et reconnu sans lesquels l'entreprise manquait par la base. Nous avons vu comment Quinet, porté par un vif sentiment des réalités, allait dans sa conclusion au delà des prémisses que Sue avait posées. C'est chez ce dernier, moins fin, moins délicat de beaucoup, plus capable de certains partis pris d'une justification difficile, qu'il faut se rendre compte des inconvénients de la mesure telle qu'il la comprenait. « Certes, disait-il, en termes absolus et méprisants, les libres penseurs-et je m'honore de compter parmi euxn'accordent pas plus de croyance et de fiance au protestantisme qu'au paganisme, qu'au catholicisme, qu'au mahométisme, qu'au bouddhisme, qu'à toute autre invention des hommes imaginée par les castes sacerdotales à seule et unique fin de subtiliser plus ou moins de prépotence ou de pécule. » Est-ce ainsi qu'il est permis de parler d'une croyance respectable, autant que considérable dans le monde, à laquelle on va nous conseiller d'apporter notre adhésion apparente? «L'idéal, très-réalisable d'ailleurs, mais avec le temps, doit être à mon avis le rationalisme pur, grâce auquel nous tous qui le pratiquons nous pouvons défier hautement les hommes religieux, à quelque église qu'ils appartiennent, de remplir mieux que nous les devoirs d'honnête homme, de bon citoyen, et de se montrer en paroles et en actions plus pénétrés que nous du sentiment de fraternelle solidarité qui doit relier tous les membres de la grande famille humaine. Je suis intimement convaincu qu'un jour, et par suite d'évolutions successives vers la vérité, les classes actuellement déshéritées en viendront aussi à trouver dans leur raison, dans le sentiment naturel du juste et de l'injuste, du bien et du mal, les principes suffisants à l'accomplissement des devoirs de l'homme de bien. » Si le rationalisme pur peut tenir lieu de tout autre idéal pour les hommes, c'est une question que l'intime conviction d'Eugène Sue ne suffisait pas pour résoudre, mais incontestablement cette conviction est un mauvais point de départ pour qui veut en venir à professer publiquement le christia

nisme sous le nom de n'importe quelle communion; et, d'un autre côté, est-on sûr que les masses, comme on se les peint soi-même, « les masses telles que l'ignorance les a faites, plongées dans les obscurs bas-fonds du catholicisme », soient disposées à passer à l'unitarisme qu'on dit si proche du rationalisme - plus facilement qu'au rationalisme même ? Ne vaudrait-il pas mieux les amener, si l'on pouvait, à changer n'importe comment de bannière, puisqu'il n'y en a qu'une, on l'avoue, qui leur soit fatale, et c'est celle qu'elles suivent. Ce libre penseur croit stipuler pour les masses, mais il ne tient compte que de l'état de son propre esprit. Encore ne se donne-t-il pas satisfaction à lui-même.

C'est bien vainement qu'on parle de la nécessité des transitions, qu'on oppose le désirable au possible, que l'on combat la formule: Tout ou rien, qu'on déclare un culte indispensable pour longtemps, et qu'on fait toucher du doigt les mérites comparatifs du protestantisme, sans distinction de dénominations; du moment qu'on veut ensuite réduire ce protestantisme à sa plus simple expression, et même à une expression simplifiée au delà de ce qu'autorisent les faits religieux réels; du moment qu'après l'avoir ainsi réduit on l'appelle encore un demi-mal, et ce demimal un pont pour arriver plus tard à quelque chose de mieux, on détruit par avance, de ses propres mains, ce qu'on veut édifier, et l'on ôte toute valeur à ses conseils, toute possibilité à ses propositions.

Au surplus, les lettres d'Eugène Sue renferment de bons principes, toujours valables, toujours applicables, si on le voulait bien, sur l'instruction morale et civique, et sur la nécessité de la fonder en la séparant de l'instruction religieuse, ce qui serait le mode le plus efficace de lutter contre le papisme. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici, il s'agit de religion, et d'un changement de religion à rendre effectif et légal pour ceux qui renoncent de cœur à l'ancienne. Eugène Sue conclut donc à la fondation d'une société qui se proposerait ce but, mais moins comme société religieuse à proprement parler que comme société démocratique. Il engage les démocrates à se procurer « un instrument de lutte, un ferment d'opposition, un moyen de se compter, en embrassant l'une des sectes protestantes, et notamment l'unitarisme, manifestation légale que plusieurs gouvernements absolus, celui de la France particulièrement, ne pourraient que très-difficilement empêcher. » Il leur prête enfin cette formule d'association : « Les soussignés déclarent leur résolution de répudier le catholicisme, d'embrasser l'unitarisme, et prennent l'engagement formel de s'efforcer d'étendre, par toutes les mesures possibles et légales, l'Association pour la propagande de l'unitarisme. »

Remarquons d'abord une confusion bien singulière et dans laquelle Eugène Sue ne serait jamais tombé s'il se fût proposé simplement et franchement ce que je voudrais appeler le changement d'immatriculation religieuse des Français qui renoncent à l'Église romaine. Il est très-vrai

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que les gouvernements, même en France, n'empêcheraient que trèsdifficilement un tel changement, s'il s'opérait par des actes individuels et formels d'inscription des familles aux rôles de telles ou telles communions protestantes en possession d'une existence légale. Au contraire, rien ne serait plus aisé pour un gouvernement protecteur de la religion officielle de la majorité et tous infailliblement le sont plus ou moins dans notre pays -que de s'opposer à une association qui aurait pour objet non-seulement de travailler aux abjurations du papisme et aux inscriptions protestantes, mais encore de «servir d'instrument de lutte et de ferment d'opposition » chose que nulle administration ne peut voir sans se sentir elle-même menacée. Voilà donc un bien grave empêchement pratique aux vues d'Eugène Sue. Et par malheur cet empêchement ne se révèle ici dans les résultats que parce qu'il naît et ressort de l'esprit même dans lequel est conçu le projet.

Il y a quelque chose d'étrange et qui marque l'embarras d'une fausse position, dans la résolution qu'on prête aux associés d'embrasser l'unitarisme, alors qu'il serait si simple de leur faire déclarer qu'ils l'embrassent. Quand nous voyons qu'aussitôt après cette formule d'une résolution. imparfaite, ou que du moins nous supposerons devoir demeurer sans effet, pour peu que nous connaissions l'humeur dont est le monde on place une autre promesse plus facile à remplir et plus vague de sa nature, la promesse d'une propagande pour l'association, nous sommes naturellement portés à penser que nous avons affaire à des gens moins enclins à donner l'exemple de l'évolution qu'ils nous conseillent que désireux de voir les autres en prendre le goût et en accepter les charges. Et ceci ne nous étonnera pas, si nous songeons qu'il s'agit d'une proposition que son auteur met en avant comme un pis-aller, et dans un cas où il est si facile de ne rien faire et de rester où l'on est.

C'est un reproche qu'il serait très-injuste d'adresser à M. Fauvely et aux autres personnes de bonne volonté qui donnent leur adhésion à la profession de foi unitarienne que nous avons mise récemment sous les yeux de nos lecteurs. D'abord l'auteur de cette déclaration exprime des sentiments religieux, tandis qu'Eugène Sue se montrait hostile et même brutalement hostile à toute religion, et que Quinet lui-même, d'une part, conscillait d'embrasser une religion, et de l'autre, souhaitait que l'on pût s'en passer, et laissait croire qu'avec le temps on en viendrait là. Ensuite le nouveau projet d'église unitaire renferme des articles de croyance explicite et formelle, en même temps qu'on y trouve, aux premières lignes, une revendication énergique de l'autonomie de la conscience. Malheureusement, nous devons dire que le titre d'église unitaire, ou ne fût-ce que d'église «se rattachant à l'unitarisme tel qu'il est compris par les unitaires d'Angleterre et des États-Unis » n'est pas suffisamment justifié. Les églises unitaires sont des églises chrétiennes, et

comment pourrions-nous regarder comme la profession de foi même la plus large possible d'une église chrétienne une déclaration dans laquelle on cherche en vain le nom de Jésus-Christ? Il y a plus, la manière dont il est parlé de Dieu, dans cette pièce, est plus religieuse de ton que par la formule, et laisse en suspens jusqu'à la question de la paternité divine. Le tout se termine par la froide invocation des entités métaphysiques: le Vrai, le Juste, le Bon et le Beau. C'est en somme un bagage bien léger pour une église, et d'autre part c'est trop laisser à penser, à deviner ou à craindre à ceux qui philosophent plus volontiers hors des églises que dans leur sein. Est-ce un déisme, est-ce un panthéisme qui sortira de là? Cette question même est-elle destinée par les fondateurs à rester indécise, et la solution facultative ?

Mais la fondation d'une église nouvelle, laïque ou non laïque, suffisante ou insuffisante, illusoire ou réalisable, n'est point ce qui nous occupe. Il s'agit de nous expliquer sur la possibilité pratique de sortir de l'église romaine et de se classer efficacement hors d'elle, à savoir en se réunissant à une religion meilleure. C'est le problème posé et imparfaitement résolu par Sue et Quinet. Le projet de M. Fauvety et de ses amis n'apporte pas le moyen cherché. Il ne l'apporte pas parce qu'il n'est qu'un projet, et que tout l'avenir qu'on pourrait généreusement lui prêter n'équivaut pas à la plus petite réalité. Il ne l'apporte pas, parce que n'ayant aucun fondement dans l'histoire religieuse, ou ne s'en attribuant un que de la façon la plus timide et la plus incertaine, on ne pourrait, avec toute la bonne volonté du monde, y envisager que le germe d'une église, déposé provisoirement dans une religion individuelle à l'état flottant. Enfin il ne l'apporte pas parce que la seule religion capable de servir de refuge et d'abri aux hommes qui veulent abjurer officiellement le papisme sans faire aucune de ces déclarations dogmatiques sur lesquelles on sait qu'il est toujours impossible de s'entendre, c'est la religion d'une église en possession de l'existence légale, et qui n'impose à ses simples adhérents la signature d'aucune confession de foi. Or cette église nous l'avons : elle est là. Cette église est le protestantisme. Cette église est le protestantisme sans aucune acception de communion, car les plus « orthodoxes» comme les plus. «libérales» de ces communions reçoivent leurs membres nouveaux sans leur imposer aucune condition, de même qu'elles conservent leur membres anciens en leur laissant la pleine et entière liberté de la conscience.

IV. La question a été mal posée par tout le monde. On a cru qu'elle concernait l'individu, tandis qu'elle concerne avant tout les familles, et, par les familles, l'État. On a raisonné comme s'il s'agissait, pour une personne détachée de tous liens, et non-seulement sans postérité, mais abstraction faite des aïeux, de décider en son âme et conscience, devant

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