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quant à nous que ce rôle entier de juge, toutes causes entendues, est indéniable et logiquement inaliénable pour toute conscience, dans un âge sorti de la coutume et entré dans l'examen et la recherche. Nous pensons que le droit et le devoir d'adhérer à une autorité, lorsque ce droit et ce devoir se font sentir à nous, n'impliquent pas moins l'exercice de l'autonomie personnelle que ne le suppose un acte de dissidence moralement motivée. Mais combien plus il est visible que l'homme de pensée on de foi qui tient à l'autorité ce langage: « Je vous recon»> nais, mais à la condition que vos décisions auront ce qu'il faut pour être recon»> nues, c'est-à-dire me paraîtront avoir ce qu'il faut, c'est-à-dire, en dernière >> analyse, seront conformes à ce qu'elles doivent être, selon mon jugement; » que cet homme, disons-nous, est, par la force des choses, un juge en dernier ressort, quelles que soient d'ailleurs ses déclarations de sujétion à une puissance extérieure ? Et qu'a jamais fait de plus un protestant à l'égard d'une confession petite ou grande, dont il s'est détaché, que de la juger et de lui poser des conditions afin de pouvoir en être un membre fidèle ?

Certes, ils ne sont pas rares dans l'histoire de l'Église, les cas des dissidents qui ont protesté ne pas l'être. Ils l'ont été pourtant, et l'Église le leur a bien fait voir! Ils voulaient n'être point sectaires, mais cela ne dépendait pas d'eux; ils n'étaient pas hérétiques, disaient-ils, et on les a brûlés! Mais qu'ils fussent ou non bien fondés à se donner pour de meilleurs interprètes de la tradition que n'était l'autorité qui les martyrisait, ils étaient toujours les juges de cette autorité. C'est un caractère que nulle conscience ne peut dépouiller, un caractère qui, de mieux en mieux démêlé et avoué, pose ce qu'on devrait nommer la méthode religieuse du protestantisme, d'autant plus forte et plus inébranlable qu'elle apporte à la religion, au nom de la raison et non plus seulement de la foi - la liberté, et qu'elle concède à la raison, au nom de la religion, l'indispensable fondement de toute psychologie morale : l'autorité.

L'histoire tout entière du christianisme et l'expérience de quinze cents ans de conciles et d'hérésies, de discussions, d'anathèmes et de bûchers, d'orthodoxies proclamées et de schismes subis fournissent à tout observateur que trop de préventions n'aveuglent pas la preuve irrécusable de ce fait que l'unité religieuse ne s'opère par aucun moyen, et que la diversité religieuse est dans la nature de l'esprit humain. A la difficulté, enfin sentie, qui ressort de cette vérité pour une religion qui veut, à tout prix, être catholique en réalité comme de nom, les théocrates modernes donnent pour solution l'établissement qu'ils tentent d'une vraie loi vivante absolue, c'est-à-dire d'une autorité unique, infaillible et personnelle. C'est le juge en dernier ressort demandé par de Maistre et institué par le concile du Vatican. La même difficulté fait reconnaître par les protestants, comme par les philosophes, la qualité nécessaire de puissance morale incoercible et de juge souverain à la conscience, encore que faillible. Il sera désormais bien difficile de défendre une position intermédiaire.

Une partie importante des Discours du P. Hyacinthe est consacrée à la critique de l'église catholique helvétique, récemment organisée à Genève, et aux débats que provoque l'attitude personnelle du « curé démissionnaire ». M. L. repousse

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les calomnies il ne pouvait guère en pareilles circonstances n'en avoir point à repousser. A cet égard, nous croyons que, s'il a le droit de se plaindre, il peut au moins se dispenser de se justifier. Son caractère est assez connu, et puis certains ennemis ne comptent pas. Il est d'autres points qui ne touchent ni à sa loyauté ni à ses intentions et qu'on pourrait examiner. Nous manquons pour cela de la compétence et des documents nécessaires. Aussi nous abstiendrons-nous. Mais comment ne pas dire un mot, en thèse générale, des accusations portées par M. L. contre la démocratie genevoise et les intentions de ses chefs? Sont-elles bien justes?

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La doctrine du P. Hyacinthe en matière de relations de l'Église et de l'État ressort de ces paroles (p. 9): « Pour être légitime et salutaire, l'influence de la religion sur la chose publique ne doit s'exercer ni par la domination légale de l'Église, ni par sa légale sujétion à l'État. Nous repoussons au nom du christianisme l'injure qu'on lui fait à Rome en réclamant pour lui l'appui du bras sécu lier de grâce épargnons-lui l'injure plus grave encore de le réduire à n'être lui-même qu'un instrument de la politique, pour l'asservissement des consciences! »>> Peut-être M. L. aurait-il pu équitablement se dire que la domination légale de l'Église étant la prétention ouverte de Rome, il est difficile que l'État, mis ainsi dans le cas de se défendre, ne prenne pas à l'endroit de l'Église des mesures légales qu'il sera aisé à ceux qui les désapprouveront de qualifier de «légale sujétion à l'État. » Comment maintenir un régime de pure séparation entre deux sociétés dont l'une est en humeur constante d'envahir l'autre? Et sera-ce asservir les consciences que de constituer aux citoyens les devoirs qui paraissent nécessaires pour garantir les libertés des uns contre l'action des consciences envahissantes et fortement associées des autres?

Nous ne voudrions pas plus louer que critiquer le dispositif des nouvelles lois confessionnelles de la Suisse. Nées en grande partie des circonstances, l'expérience les jugera. Mais quand . L. objecte amèrement à ces lois que, sous leur empire, de simples catholiques d'état civil, libres penseurs avérés d'ailleurs, puissent agir en qualité de membres de l'Église (p. 57), réfléchit-il assez, en contrepartie, à la plus puissante des causes qui favorisent la pression u'tramontaine partout où elle s'exerce? Nous voulons dire à ce fait que la masse des indifférents et des incrédules se trouve toujours portée à l'actif de l'Église romaine. Tant que les catholiques n'auront pas renoncé à tirer une force et des arguments de leur nombre, dans un État donné, cet État pourra, sans trop d'injustice, exiger qu'ils interviennent aussi comme nombre dans le règlement de leurs affaires, ou du moins de certaines de leurs affaires,

Enfin, M. L., combattant la fausse démocratie religieuse » du catholicisme légal de Genève, suppose un but secret aux hommes d'État qui l'ont organisée. « Il s'agit, dit-il, d'une conjuration du radicalisme libre penseur et despotique de la Suisse contre le christianisme tout entier et sous toutes ses formes... Il s'agit, en attendant qu'on puisse la détruire, d'asservir l'Église de Jésus-Christ à l'État antichrétien» (p. 76). Mais quiconque voudra bien se mettre au point de vue de l'homme d'État aimera mieux croire qu'ayant affaire, en Suisse comme ailleurs, à des associations religieuses qui, en elles-mêmes échappent et doivent échapper à son action, il s'efforce d'obtenir des citoyens qui entrent dans telle ou telle de

ces associations, et en tant qu'elles peuvent avoir des effets de l'ordre civil, certaines garanties sans lesquelles il leur deviendrait à la fin impossible de former avec tous les autres citoyens une seule et même société civile.

PETIT TRAITÉ DE MORALE

A L'USAGE DES ÉCOLES PRIMAIRES LAÏQUES

SUITE

Les élèves ne se font pas facilement une idée de la peine et des soucis qu'entraîne la tâche d'un professeur. Cependant ils pourraient comprendre que l'instruction ne se donne pas et ne se reçoit pas comme toute autre chose. L'instituteur est obligé de se la procurer, puis de réfléchir aux bonnes manières de la communiquer et de faire travailler les enfants. Car ce n'est pas tout de leur expliquer ce qu'ils doivent connaître; il faut encore qu'il leur apprenne à se servir de leurs connaissances vite et bien à l'occasion, à écrire une lettre comme il faut, à rapporter par écrit quelque chose, etc., etc.; ce qui demande de l'attention et de l'application de leur part, et rien n'est plus difficile à obtenir d'eux. Ils ne pensent qu'aux jeux, à la promenade, etc. Tous les prétextes leur sont bons pour se dissiper et gaspiller le temps qui ne revient plus et ne laisse rien après lui à ceux qui l'ont perdu. Ils croient que l'instituteur trouve du plaisir à leur imposer des devoirs ennuyeux, tandis que c'est le contraire, et que lui-même, s'il ne pensait pas à son propre devoir, aimerait mieux probablement être avec ses écoliers dans les champs qu'assis à l'ombre d'une classe. L'élève sérieux doit comprendre qu'une récréation inutile et mal placée qu'on lui accorde est bien moins quelque chose qu'on lui donne que quelque chose qu'on lui prend.

Un élève, à mesure qu'il avance, doit donc s'ôter cela de la tête qu'il travaille pour l'instituteur. Il est vrai que l'instituteur se réjouit du travail de l'élève, mais parce qu'il sait que l'élève en tirera profit. Pour lui, ce n'est rien de récréatif de lire et corriger ces mauvaises copies chaque jour. Pensez à cela et vous ne voudrez certainement plus dire: «J'ai un devoir à faire pour Monsieur un tel.» Sachez que c'est pour vous que vous le faites.

Sans doute, l'enfant doit apprendre par obéissance, mais il doit faire mieux encore et désirer d'apprendre parce qu'il est bon d'apprendre. Nous sommes lents et de mauvaise volonté quand nous sommes contraints, et nous allons vivement aux choses que nous désirons parce que nous les savons bonnes. Avec quelle aisance on apprend les jeux ! Comme on répète volontiers les caquets du jour ! C'est qu'on y prend plaisir. Quel bonheur pour l'élève s'il prenait plaisir aussi aux sujets de ses leçons! Il y en a dont nous entendons dire qu'ils font des progrès surprenants. Ce n'est pourtant rien de merveilleux. Ils aiment l'étude. Les autres ne s'aperçoivent que l'étude est bonne qu'après qu'ils ont quitté les bancs. A

tous moments on entend dire à des jeunes gens: «Ah! que ne suis-je encore au temps d'aller à l'école! Mes parents n'ont pas épargné l'argent, ni l'instituteur sa peine, et je n'étais peut-être pas plus bête qu'un autre. Mais je ne savais pas le prix de l'instruction et je n'ai pas cru ce qu'on m'en disait. Qu'ai-je fait du temps passé ? rien qui me reste. Et maintenant l'occasion est perdue, et je ne suis plus maître de mes occupations. » Assurément l'élève qui veut étudier en apprend plus long dans un an que dans cinq ans celui qui ne veut pas. Mais la plupart des hommes, après que le temps de l'école est passé, n'ont plus ni cinq ans ni un an à donner à leur instruction. Ils ont d'autres devoirs, il ne s'agit presque plus pour eux d'apprendre, mais de se servir de ce qu'ils ont appris.

On demande à l'instituteur de fournir aux élèves les principales informations utiles dans la vie, et de leur enseigner l'usage des instruments les plus élémentaires de l'esprit pour différents genres d'applications et de connaissances. Mais on lui demande aussi de les diriger dans l'acquisition des bonnes qualités, dans l'éloignement des mauvaises habitudes et de les soumettre à des règles de conduite. L'ordre, la propreté, la ponctualité, l'activité, sont des qualités qu'il doit exiger d'eux! Des manquements aux devoirs de ce genre et la violation des règles scolaires les exposent donc à des punitions. Ils sentiront eux-mêmes, s'ils y ré. fléchissent, combien elles sont nécessaires, et avec quelle rigueur elles doivent être maintenues, pour la justice, une fois qu'elles sont données.

Il arrive aux écoliers de se plaindre auprès de leurs parents de l'injustice ou de la passion d'un professeur. Ils se croient plus maltraités que d'autres ne le sont dans les mêmes cas. Ordinairement c'est erreur de leur part et ils s'en apercevraient s'ils essayaient de se bien conduire. Même s'il est vrai que le professeur conçoive des préventions, s'abandonne à une irritation mal entendue et en fasse souffrir tel ou tel élève; s'il manque de la patience ou de quelque autre des qualités si difficiles de son état, ce qui est bien possible, puisque « nul n'est parfait», même et surtout alors, il faut que l'écolier change de conduite et le professeur changera de procédés. Ce remède est le seul à la portée de l'enfant raisonnable, il n'a qu'à s'en servir, et d'un mauvais professeur, si c'en est vraiment un mauvais, il se fera presque un bon.

(A suivre.)

ERRATA

Dans le numéro 45, p. 299, ligne 45, au lieu de Rouen lisez Rome ; — ligne 23, au lieu de décidérent lisez décelérent. Page 302, ligne 32, au lieu de nouvelle. Avec un nom nouveau, l'État lisez nouvelle, avec un nom nouveau. L'État ; - ligne 44, au lieu de ont seuls droit lisez ont droit.

Le rédacteur-gérant: F. PILLON.

PARIS, MPRIMERIE DE E. MARTINET, RUE MIGNON, 2

LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE

POLITIQUE, SCIENTIFIQUE, LITTÉRAIRE

LE RAPPORT DES IDÉES DE DEVOIR ET DE BIEN

SELON M. PAUL JANET.

M. Paul Janet n'est pas heureux dans ses observations critiques sur la morale de Kant. On sait que d'après Kant, c'est la loi morale, l'obligation qui fonde et rend possible le concept du bien rationnel et absolu, non le concept du bien absolu qui explique et fonde la loi morale. Voici en quels termes est exposée, dans la Critique de la raison pratique, cette thèse, en apparence paradoxale, du philosophe de Koenigsberg sur le rapport des idées de devoir et de bien :

< Les seuls objets de la raison pratique sont le bien et le mal. En effet, ils désignent tous deux un objet nécessaire, suivant un principe rationnel, le premier du désir, le second de l'aversion.

» Si le concept du bien n'est pas dérivé d'une loi pratique antérieure, mais s'il doit servir au contraire de fondement à la loi, il ne peut être que le concept de quelque chose dont l'existence promet du plaisir et détermine par là la causalité du sujet à le produire c'est-à-dire détermine la faculté de désirer. Or, comme il est impossible d'apercevoir a priori quelle représentation sera accompagnée de plaisir, quelle de peine, c'est à l'expérience seule qu'il appartient de décider ce qui est immédiatement bon ou mauvais. La qualité du sujet qui seule nous permet de faire cette expérience, c'est le sentiment du plaisir et de la peine, comme réceptivité propre au sens intérieur, et ainsi le concept de ce qui est immédiatement bon ne s'appliquerait qu'aux choses avec lesquelles est immédiatement liée la sensation du plaisir, et le concept de ce qui est immédiatement mauvais aux choses qui excitent immédiatement la douleur...

>> Cette vieille formule des écoles: Nihil appetimus nisi sub ratione boni; nihil aversamur nisi sub ratione mali. est souvent employée d'une manière très-exacte, mais souvent aussi d'une manière très-funeste à la philosophie, car les expressions bonum et malum contiennent une équivoque, qui vient de la pauvreté du langage: elles sont suscep

CRIT. PHILOS.

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