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parfaitement compatibles avec la paix civile, parce qu'ils ne sont pas divisés sur l'autorité qui doit décider entre eux. De plus, l'autorité théorique, idéale qu'ils reconnaissent est précisément celle qui se trouve réalisée légalement. En d'autres termes, l'intérêt de parti, d'accord, poureux, avec le devoir civil, en fait les soutiens naturels de la Constitution et du gouvernement établi. Au contraire, les monarchistes qui sont en lutte plus ou moins ouverte avec la légalité existante, sont divisés entre eux, radicalement divisés sur le principe de l'autorité, les pouvoirs publics, le système du gouvernement. Ce sont précisément ces divisions qui ont rendu la République nécessaire; elle est devenue, pour notre pays, le seul moyen d'échapper à l'anarchie monarchique.

Qu'on ne dise pas que la République ne peut suffire à la défense sociale; c'est, au contraire, l'expérience l'a montré, de tous les gouvernements celui qui est le plus propre à maintenir l'ordre matériel et à réprimer les insurrections. Pourquoi? Tout simplement parce que le drapeau de la République est le plus large drapeau de l'ordre, parce que l'ordre gagne beaucoup auprès d'un grand nombre à se trouver dégagé de tout lien de solidarité avec des intérêts dynastiques (1).

Enfin, la République, qui est le mieux armé et le plus fort des gouvernements contre le désordre matériel, est aussi le plus capable de porter remède au désordre moral, parce qu'elle tend à affaiblir les antagonismes qui peuvent exister entre les diverses parties du corps social et qui feraient que se développer et s'irriter de plus en plus sous un régime monarchique antagonisme entre l'armée et la nation, entre la bourgeoisie et le prolétariat, entre les villes et les campagnes, entre la capitale et la province.

Politique intérieure vraiment libérale. - République est le seul nom que puisse aujourd'hui recevoir en France un gouvernement d'opinion et de discussion. Le parti républicain est donc le véritable parti libéral.

(1) Cette observation a été faite par plusieurs publicistes; c'est une vérité presque banale. « On craint tant aujourd'hui les bouleversements sociaux, dit M. Emile de Laveleye, que l'on considérerait volontiers comme la meilleure forme de gouvernement celle qui est la plus propre à combattre ce danger. Les nations épouvantées sont portées à croire que le despotisme a ce merite, et ils se livrent à un maître. Leur erreur est grande. Le despotisme, d'abord accueilli avec transport, ne tarde pas à soulever contre lui l'esprit de liberté qu'on n'est pas encore parvenu à étouffer complétement dans notre Occident. La lutte s'engage; les amis de la liberté, pour attaquer le pouvoir, cherchent partout des alliés, et ils en trouvent précisément dans ces mécontentements sourds et redoutables que provoque l'ordre social actuel. Ils accroissent ainsi démesurément la force d'un mouvement qu'ils auraient combattu, s'ils n'avaient songé avant tout à renverser la tyrannie. Au contraire, avec la république il semble qu'il n'y ait plus de conquête à faire sur le terrain politique. L'attention peut donc se porter continuellement sur la défense de l'ordre social. D'ailleurs la république, qui est la nation elle-même, peut déployer une vigueur de répres sion interdite à la monarchie; car celle-ci doit mesurer ses coups avec une extrême modération on ne lui pardonne pas le sang versé pour sa défense. C'est au nom de quelques émeutiers tués en février 1848 que l'on a renversé la monarchie. » (Essai sur les formes de gouvernement dans les sociétés modernes, par M. Emile de Laveleye, p. 76 et suiv.)

On peut dire que hors de la République il n'y a pas pour notre pays de régime parlementaire. Un journal orléaniste répétait dernièrement cette sotte banalité, que la « République n'est qu'une illusion de jeunesse ». Ce qui est vrai, c'est qu'entre ces deux formes du gouvernement libre, république et monarchie constitutionnelle, la France désormais n'a plus le choix. La monarchie constitutionnelle est une utopie de gérontes à cervelle étroite, incapables de renouveler leur petit bagage d'idées, qui ne connaissent leur temps ni leur pays, qui ont des yeux pour ne pas voir les réalités politiques et sociales, un entendement pour n'en tirer que des lieux communs doctrinaires. Pour que la monarchie constitutionnelle fût possible chez nous, il nous faudrait un autre état social, une autre histoire et d'autres traditions, une autre bourgeoisic, une autre Eglise, des populations urbaines animées d'autres sentiments. Si la France doit revoir la monarchie, ce ne sera pas, qu'on le sache bien, une monarchie libérale et parlementaire, ce sera une monarchie de réaction, de compression et de proscription.

Subordination de l'intérêt de parti au dévouement à la patrie.— Cela est facile aux républicains. Ce ne sont pas eux qui mettent le prince ou le pape au-dessus de la patrie. Sous un gouvernement monarchique, l'intérêt de la dynastie se distingue et peut se séparer de celui de la nation; sous le régime républicain, l'intérêt de la nation et celui de la République s'identifient nécessairement.

Réprobation des doctrines anti-sociales. - Voilà qui ne peut nous embarrasser. Qui donc, parmi les républicains, professe des doctrines. anti-sociales? Un grand nombre, sans doute, admettent la nécessité des réformes. Mais ils savent très-bien que ces réformes ne doivent et ne peuvent être obtenues que par le libre assentiment de l'opinion publique. Ils savent très-bien que ces réformes, pour être efficaces, pour constituer des progrès durables, doivent se concilier avec le respect de la liberté. Bien plus qu'une autre forme de gouvernement, la République repousse toute solution autoritaire et despotique de ce qu'on appelait en 1848 le problème social; elle ne comporte qu'un socialisme pacifique, libéral et juridique. Il y a un parti qui conteste et remet en question, avec audace, les principes et les résultats civils et économiques de la Révolution de 89, la propriété individuelle, échangeable et transmissible, la liberté de l'industrie, le mariage civil, l'égalité des enfants devant les parents, l'égalité des citoyens devant la loi. On connaît ce parti-là: ce n'est pas le parti républicain. Ce sont au contraire les républicains qui sont les défenseurs naturels, les seuls vrais défenseurs de la société issue de la Révolution contre le socialisme catholico-féodal.

On va me dire que cette manière d'interpréter la proclamation prési

dentielle est loin de s'accorder avec les intentions qui l'ont dictée. C'est possible j'ai cherché à dégager le sens naturel et objectif de ce document, non à pénétrer la fin à laquelle il a été destiné. Mais c'est ici peut-être le cas de dire que les intentions s'agitent et que la force de la situation les mène... à la fondation du régime républicain. Il est certes fort probable que le Président de la République et le parti républicain se défient l'un de l'autre, ont des préventions l'un contre l'autre. Mais ces défiances et ces préventions doivent tomber. Un commun intérêt, un honneur commun, un commun devoir, les rapprochent forcément, les poussent et les obligent, les pousseront et les obligeront de plus en plus à se placer sur le même terrain, sur le terrain de la Constitution.

F. PILLON.

JOURNAL DES ÉCONOMISTES

Revue de la science économique et de la statistique; rédacteur en chef: M. Joseph Garnier, membre de l'Institut.

SOMMAIRE DU NUMÉRO DE DÉCEMBRE 1875

La dépréciation de l'argent et la question monétaire, par M. Victor Bonnet. · La crise financière de 4814 et de 1815, par M. Gustave du Puynode. Trois Congrès d'économistes allemands: à Vienne, Munich et Eisenac, par M. Maurice Block.-Le Pérou : Productions, guano, travaux publics, finances, crise financière, par M. A. Chérot. Le 19° congrès de l'Association anglaise pour le progrès des sciences sociales, par M. Limousin. L'Institut, l'Académie des sciences morales, la section d'économie politique, l'Institut d'Égypte, par M. Ed. Renaudin. Réunion de décembre de la Société d'économie politique : Le nouveau traité de commerce entre la France et l'Italie; l'intervention de l'État et les économistes italiens; le régime des chemins de fer en Italie, par M. Louis Luzzati. graphie. Chronique économique.

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Le rédacteur-gérant: F. PILLON.

JAR:S.MPRIMERIE DE E. MARTINET, RUE MIGNON, 2

LA CRITIQUE PHILOSOPHIQUE

POLITIQUE, SCIENTIFIQUE, LITTÉRAIRE

DE LA MÉTHODE SCIENTIFIQUE

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Si notre siècle n'y prend garde le nôtre ou le suivant, car celui-ci est déjà bien avancé, et l'on peut dire que son pli est pris-nous finirons par perdre le véritable esprit scientifique et l'usage correct de la méthode scientifique, à force de vanter la science, de voir tout en elle et d'en tout attendre, et surtout de vouloir faire passer sous son pavillon tout ce que nous pouvons construire d'hypothèses qui dépassent sa portée actuelle, ou même toute portée qu'elle puisse jamais avoir. Nous allons essayer de passer la revue des principaux abus intellectuels nés de la prétention scientifique. Ou nous nous trompons bien, ou cet examen nous montrera qu'il n'y a rien à diminuer des prétentions des sciences elles obtiennent, en se tenant dans leurs domaines légitimes, des résultats immenses et dont la valeur, même morale, est incontestable et peut à peine être exagérée. Ce que nous appelons la prétention scientifique, c'est la prétention de faire profiter du crédit justement acquis au nom générique de « la science» des affirmations dont la vérité n'est démontrable pour aucune des sciences constituées.

Le premier abus se trouve être précisément cet emploi du terme générique pour désigner tout autre chose qu'un universel abstrait et idéal, ou encore qu'un ensemble de vérités particulières distribuées dans les divers domaines des sciences. Ce sont là en effet, les deux sens, les seuls légitimement admissibles du mot absolu: «la science ». Voulons-nous nous en tenir à la seconde de ces significations, qui est la plus conforme à l'esprit analytique et nominaliste, alors tout penseur qui se réclamera de « la science » pour donner cours à une proposition qu'il croit vraie, à une proposition de l'ordre moral, par exemple, ou concernant la question des origines premières, devra être sommé de nous expliquer dans quelle science, et dans quelle partie de cette science, se trouve cette proposition, et quel droit elle a à se distinguer des hypothèses; car chacun sait que toute science portant sur des objets de l'expérience a ses hypothèses qui lui servent de moyens de travail et fournissent en quelque sorte des stations et des lieux de repos à l'esprit. Mais les per

CRIT. PHILOS.

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sonnes qui se servent du mot magique « la science » pour autoriser leurs préjugés ou leurs systèmes, ici pour soutenir des négations qui ne dénotent que l'état de leurs esprits et la nature de leurs passions, là pour mettre une doctrine, hypothétique en somme, sous le couvert commun des vérités acquises à l'expérience ou à la logique, et définitive ment confirmées, ces personnes sont incapables de subir victorieusement l'épreuve, et de désigner le chapitre de science où leurs assertions sont contenues. Incapables, les unes le sont entièrement ce sont celles qui abondent surtout en négations, et à qui leurs études ne donnent pas souvent le droit d'appeler scientifiques leurs opinions qui leur viennent d'autrui, c'est-à-dire qui leur viennent de l'autorité et de l'habitude ; les autres le sont en ce sens que la justification de leurs affirmations et manières de voir, sitôt qu'elles l'entreprennent, a le caractère d'une philosophie, d'une doctrine générale échappant aux domaines des sciences, soit par la nature, soit par l'extension hypothétique et ultra-inductive des thèses soutenues. Ceci nous amène à l'autre signification du terme générique « la science ».

Comme expression universelle et tout intellectuelle, ou idéale, la science peut qualifier d'une manière générale celui qui sait, ou la chose sue; le sujet ou l'objet de savoir. C'est de la chose sue que nous avons à nous occuper. Avec cette signification, évidemment, « la science » n'est pas une science »; qu'est-elle donc ? Existe-t-il telle chose que << la science » ? Personne n'oserait l'affirmer. C'est un idéal. Non-seulement les sciences sont divisées les unes d'avec les autres, quelquesunes d'entres elles ayant une méthode, et d'autres en ayant une autre, quelques-unes étant liées de façon a ce qu'on puisse prévoir leur unité future, sans rien forcer, et d'autres ne l'étant que par l'opération d'une métaphysique dont l'acceptation reste facultative. Non-seulement l'application complète et systématique des sciences abstraites (telles que les mathématiques et la mécanique générale) aux sciences concrètes est un but de théorie suprême, dont la réalisation, parfaite sur quelques points, est à peine ébauchée ou entrevue sur le plus grand nombre, et nulle sur ceux qui nous touchent de plus près; et non-seulement l'unité générale des sciences reste ainsi à l'état de pur concept; mais encore chaque science expérimentale est à la recherche de son unité particulière, pour laquelle une hypothèse est indispensable, et les parties mêmes ont aussi bien souvent leurs hypothèses propres inévitables; et enfin on doit se rappeler que ces hypothèses peuvent tomber et être remplacées, puisqu'elles ne sont pas des faits vérifiés, et que les valeurs de probabilité à leur accorder sont matière continuelle de litiges entre les savants. Il est sans doute inutile de citer les exemples à ceux qui savent de quoi nous parlons. Nous pouvons donc conclure de cet aperçu qu'il n'existe encore ni une philosophic universelle des sciences, ni pour chaque

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