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sovie le bruit que Dembinski s'apprêtait à venir dissoudre la diète, fermer les clubs, et emprisonner les patriotes exaltés. Peut-être eût-ce, en effet, été appliquer aux maux de la patrie polonaise un remède héroïque et certain. Quoi qu'il én soit, les masses s'émurent; l'armée polonaise se repliait sur les retranchements de Varsovie; un cri de haine et de fureur se fit entendre dans la foule, elle se porta ardente, insensée, vers le château où les généraux, accusés de trahison, avaient été provisoirement incarcérés. Jankowski, tiré de son cachot, fut traîné dans la cour, et, après une sorte d'interrogatoire, percé de coups de baïonnettes. Boukowski, son gendre, fut également massacré au moment où il cherchait à s'enfuir par les fossés du château; Hurtig, Salacki, le chambellan russe Fanshawe, la femme du général Bazanoff, subirent le même sort, et leurs cadavres furent suspendus aux réverbères, pour que la tradition révolutionnaire se conservât dans toute son horreur. Du château, là populace en délire se porta sur les maisons du faubourg de Wola, où avaient été renfermés plusieurs espions appartenant à la police du gouvernement précédent; elles les égorgea et les pendit comme les premiers.

Le désordre et la terreur régnaient dans Varsovie durant ces odieuses scènes. Le pouvoir

semblait avoir disparu dans le sang et la fange. Une sombre terreur planait sur la cité, et pour tout homme de sens et d'expérience, cette explosion de rage populaire était bien le râle de l'agonie polonaise. Un homme, d'une opinion trèsexaltée et d'une audace extrême, se leva tout à coup c'était Krukowiecki. Les quintumvirs avaient disparu impuissants devant la tourmente. Le prince Czartoryski avait cherché un asile dans le camp; car, par un glorieux privilége, c'est toujours au milieu des armées que l'on retrouve l'honneur et la haine de la férocité. Krukowiecki comprit que le pouvoir était à celui qui le ramasserait à terre. Il s'en empara, se fit nommer gouverneur de Varsovie, lança son cheval contre l'émeute qui grondait avec une fureur nouvelle ; lui imposa par sa contenance énergique, et la fit rentrer dans l'ombre par des exemples d'une sévérité draconienne. Deux jours après, la diète formulait une nouvelle loi gouvernementale, décernait le pouvoir à un président entouré de six ministres, et investi du droit de nommer le généralissime. Ce président, dans les circonstances où l'on se trouvait, ne pouvait être que Krukowiecki, et il choisit pour commander l'armée le vieux Kasimir Malachowski; mais, ainsi que nous l'avons dit, l'agonie de la révolution polonaise était commencée, son dernier jour était arrivé; et

déjà l'on pouvait apercevoir l'étendart russe du haut des remparts de Varsovie.

XVI.

DERNIERS JOURS DE L'INSURRECTION POLONAISE.
PRISE ET CAPITULATION DE VARSOVIE.

Le général Rudiger avait traversé la Vistule à la tête de treize mille hommes et de quarante pièces de canon. La jonction de ce corps d'armée

avec celui du feld-maréchal Paskevitch était désormais inévitable. Varsovie allait ainsi se trouver investie de toutes parts.

Dans la matinée du 19 août 1831, un conseil de guerre fut rassemblé par Krukowiecki, et le dictateur lui exposa nettement l'ensemble de la situation. L'armée polonaise s'était repliée sur Wola; un détachement, commandé par le colonel Legallois, avait déjà été écrasé, et les forces russes, dont la supériorité numérique rendait la concentration si dangereuse, allaient au premier signal se précipiter sur Varsovie. Krukowiecki proposa hardiment de prendre l'initiative, et de livrer immédiatement dans la plaine de Wola une bataille qui déciderait du sort de la Pologne. Uminski pensait au contraire qu'il fallait détacher une moitié de l'armée sur la rive droite de la

Vistule pour détruire le corps d'armée russe commandé par le général Rosen, et approvisionner la ville avant de recevoir derrière ses remparts le choc terrible dont elle était menacée; il ajoutait que dans le cas d'un assaut victorieux des Russes, on pouvait encore se retirer au centre de Varsovie, élever des barricades et se défendre ainsi jusqu'à la dernière extrémité. Dembinski, enfin, conseilla d'évacuer la ville, et de transporter la guerre en Lithuanie, après avoir culbuté les divisions Rosen et Golowin, qui seules pouvaient intercepter le passage.

De ces trois avis, celui d'Uminski fut seul accueilli avec faveur par le conseil de guerre qui l'adopta. Le général Ramorino fut donc chargé de dégager la rive droite de la Vistule avec son corps d'armée de vingt mille hommes, et d'approvisionner Varsovie. Tandis que Lubienski, à la tête de quatre mille hommes, se porterait dans le même but vers Modlin et le palatinat de Plock. Le plan d'Uminski eût été sage, sans doute, si Varsovie avait eu affaire à un autre adversaire que le feld-maréchal. Mais Paskevitch était précisément un stratégiste de hardiesse exceptionnelle et de premier mouvement. Il ne restait plus qu'environ trente-cinq mille hommes derrière les murs de Varsovie. Le feld-maréchal n'hésita à livrer un assaut simultané de tous les ou

pas

vrages extérieurs qui défendaient la dernière retraite de l'insurrection polonaise, avant que Ramorino pût y faire rentrer les forces dont le commandement lui avait été confié. Le général Kreutz venait de rallier l'armée russe, et celle-ci comptait plus de cent mille hommes et trois cents pièces de canon. Paskevitch fixa l'assaut au 6 septembre 1831. Mais avant de frapper ce grand coup, de tenter cet effort suprême, il voulut recourir à la conciliation, et, par un arrangement préliminaire, éviter l'effusion du sang. En conséquence, le général Berg fut chargé par lui de se rendre le 4 septembre aux avant-postes polonais, et d'offrir au nom de l'empereur l'oubli du passé, des garanties pour l'avenir et le redressement des griefs qui avaient provoqué cette guerre cruelle. Prondzynski, envoyé pour rece– voir ces communications, répondit qu'il n'avait pas de pouvoir pour accepter les propositions qui lui étaient faites, et la diète ayant été convoquée, décida le lendemain qu'on ne traiterait que sur les bases du manifeste : décision aussi imprudente que coupable au nom de l'humanité et du salut de la Pologne, puisqu'elle équivalait à une rupture brutale.

Le 6 septembre 1831, Varsovie fut réveillée à la pointe du jour par le terrible fracas de l'artillerie russe. Deux cents pièces de canon tonnaient

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