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la Pologne, à peine sortie des luttes sanglantes auxquelles elle avait pris une part si glorieusement active, allait savoir utiliser un repos devenu bien nécessaire, et profiter des chances que faisait entrevoir sa résurrection politique.

Le tsar, en quittant Varsovie, prit le chemin. de la Tauride pour retourner à Moscou; il séjourna quatre jours à Odessa, cité nouvelle et déjà florissante, à la prospérité de laquelle un Français, le duc de Richelieu, avait coopéré par l'établissement du magnifique lycée qui prit le nom de son fondateur. Alexandre se préoccupait vivement de l'organisation des colonies militaires, système que le général Araktcheïeff avait appliqué pour la première fois, et dont l'exécution de jour en jour plus éclairée paraît devoir produire de notre temps des résultats d'une importance qu'on entrevoyait à peine alors; on ne voulait dans le principe que dégrever le trésor public de ses charges les plus lourdes, non-seulement par des réductions partielles et souvent insuffisantes dans l'effectif de l'armée, mais encore à l'aide d'une large organisation qui mettrait toujours à la disposition du gouvernement des moyens puissants d'agression ou de défense; problème difficile dont on pensait avoir trouvé la solution dans l'établissement des colonies militaires, système vieux comme les Romains, mais

dont l'exécution perfectionnée allait produire des effets bien plus notables encore.

En Russie, plus que partout ailleurs, l'activité du souverain est un bienfait véritable. Le congrès d'Aix-la-Chapelle venait de s'ouvrir, et l'empereur devait s'y rendre. En passant à Mittau, il présida une cérémonie dont le but était de consacrer un fait trop intéressant pour que nous ne lui accordions pas une mention spéciale. L'empereur avait manifesté dès le début de son règne le désir d'abolir la servitude dans toutes les provinces, en commençant par celles où l'état de la civilisation rendrait plus facile l'exécution de cette mesure; l'Esthonie, la Courlande et la Livonie, semblaient mieux préparées que toutes autres à profiter du bienfait impérial, car la noblesse y avait témoigné l'intention de concourir, dans la sphère de sa propre action, aux vues généreuses du souverain. L'empereur fit recueillir toutes les lois particulières des trois provinces pour en former un code général, et, le 24 septembre de cette même année 1818, au milieu d'un immense concours de noblesse et de peuple, l'abolition de la servitude personnelle des paysans fut proclamée dans la cathédrale de Mittau, ainsi que les lois nouvelles qui devaient tout à la fois consacrer leurs droits et régler leurs devoirs.

On sait quel était l'objet de la réunion des sou

verains à Aix-la-Chapelle. L'article 5 de la convention du 20 novembre portait que le maximum de la durée de l'occupation militaire des places fortes et frontières de la France, était fixé à cinq ans, mais qu'elle pouvait prendre fin avant ce terme si, au bout de trois années, les souverains alliés, après avoir de concert et mûrement examiné la situation nouvelle faite à la France par le rétablissement de l'ordre et de la tranquillité, s'accordaient à reconnaître que les motifs qui les avaient portés à cette mesure avaient cessé d'exister. Après un long échange de notes et d'explications relatives à cette question principale, les souverains s'étant décidés à retirer du territoire français un cinquième de leur contingent, il fut convenu qu'une réunion aurait lieu à Aix-laChapelle, mais que pour lui enlever le caractère et l'apparence d'un congrès, surtout pour écarter l'intervention de plusieurs cabinets dans des questions dont la solution ne leur était point réservée, les souverains feraient connaître leur volonté de n'admettre les plénipotentiaires des puissances complétement étrangères aux débats qui devaient être soulevés, et de ne point attirer à eux les négociations entamées à Paris, à Londres et à Francfort. L'empereur Alexandre avait particulièrement insisté pour que cette détermination fût admise.

Nous n'entrerons point ici dans le détail des conférences d'Aix-la-Chapelle. Dès la troisième séance, l'évacuation du territoire français et de ses forteresses fut arrêtée presque sans discussion; l'empereur de Russie avait puissamment contribué à ce résultat et, dès que la décision eut été rendue, le comte de Caraman fut envoyé à Paris pour en porter la nouvelle. Restait à déterminer la somme et le mode de paiement que l'on imposerait à la France; l'intervention de l'empereur Alexandre abrégea cette fois encore toutes les difficultés qui se produisaient. Enfin, mus par un sentiment de délicatesse et de haute convenance, le tsar et le roi de Prusse ne crurent pas devoir entrer sur le territoire français pour y passer en revue quelques-unes de leurs divisions sans venir à Paris offrir au roi Louis XVIII leurs félicitations sur l'issue des négociations qui semblaient devoir assurer pour longtemps le repos de l'Europe. Après une revue passée à Sedan, les deux souverains prirent donc la route de Paris, et bien qu'un sévère incognito dût les dérober à la curiosité publique, l'empereur de Russie reçut jusque dans les plus humbles villages des marques d'une reconnaissance que sa noble conduite envers la France désarmée lui avait justement acquise.

Le séjour de l'empereur à Paris fut de très

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courte durée le 28 octobre 1818, il descendait à l'hôtel de l'ambassade russe, et le 30 il était de retour à Aix-la-Chapelle. Mais durant ce temps il s'était ménagé deux longues conférences avec le roi Louis XVIII, dont l'esprit éclairé était si bien fait pour admettre les conseils d'une politique de justice et de raison, car, nous ne saurions trop le redire, l'empereur Alexandre avait admirablement compris, après la chute de Napoléon, les hommes et les choses de notre pays, et la France ne doit point oublier les services réels que son intervention a si souvent, dans les premières années de la Restauration, rendus à la cause de ce que tous les bons esprits croyaient alors être le grand progrès des temps modernes : la liberté dans la monarchie; illusion si chèrement achetée, si promptement perdue.

Ce fut également à l'instigation de l'empereur Alexandre qu'après avoir repoussé toute restriction au principe de l'évacuation militaire de la France, la majorité des plénipotentiaires réunis à Aix-la-Chapelle rejeta la pensée du renouvellement formel de la quadruple alliance comme injurieuse à la nation française, et renonça à rédiger un traité nouveau, bien inutile sans doute dans le cas où l'esprit de l'ancienne alliance se serait conservé, complétement inefficace s'il fût venu à s'af faiblir. Le 15 novembre 1818, les conférences

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