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La conférence fut donc rompue; mais elle devait être reprise quelques mois plus tard. Les intérêts que l'on voulait régler étaient trop importants aux yeux des trois puissances pour ne pas donner lieu à un accord mutuel qui n'eût peut-être pas existé dans une question d'un ordre différent. Les stipulations des traités de Vienne avaient assuré la possession des provinces polonaises aux puissances qui s'étaient partagé la Pologne, et toute insurrection se produisant dans ces provinces appelait nécessairement, à leur point de vue, une répression armée. La représentation nationale et les institutions accordées à la Pologne par l'acte du congrès de Vienne devaient aux termes de cet acte même « être réglées d'après le mode d'existence politique que chacun des gouvernements jugerait utile et convenable de leur accorder. » L'Autriche et la Prusse se fondaient sur ce texte pour imposer à la Gallicie et à la Posnanie les formes administratives les plus à leur convenance personnelle; la Russie s'en était servie pour expliquer la suppression de la constitution polonaise de 1815.

Une dépêche de M. de Metternich adressée au gouvernement français, à la date du 6 novembre 1846, était accompagnée d'un mémoire qui se terminait ainsi : « Les conditions de l'existence de Cracovie une fois viciées dans leur essence, ses

institutions anéanties, son obligation de neutralité violée, son administration désorganisée, il n'est pas dans l'ordre des choses possibles de rétablir ce qui avait cessé d'exister. Cette existence reposait sur un principe de neutralité pacifique, et Cracovie n'a voulu que la guerre. Cette guerre, Cracovie l'a faite pendant quinze ans de machinations, tantôt sourdes, tantôt ouvertes, et l'a soutenue jusqu'au moment où la prise d'armes devait devenir générale.

<< Par une conséquence forcée et naturelle de cette situation, la ville et son territoire feront retour à celle des puissances à laquelle ils avaient appartenu autrefois. Cette réunion est motivée par une conviction des trois cours qui porte à leurs yeux le caractère d'une nécessité absolue, et dont elles n'hésitent pas à consigner la décla

ration. >>

L'ordonnance d'annexion fut publiée à Vienne le 11 novembre 1846, et ainsi disparut le dernier vestige de l'indépendance polonaise. L'existence de la république de Cracovie était basée sur la neutralité politique. Une démocratie insensée sut compromettre d'abord et détruire complétement ensuite cette existence que dans son imprévoyante légèreté elle n'avait même pas su défendre.

XX.

MESURES FINANCIÈRES.

D'ODESSA.

EFFET

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ÉCOULEMENT DES GRAINS

MORAL DE LA RÉVOLUTION

FRANÇAISE DE 1848. CONSPIRATION A L'INTÉRIEur. POLITIQUE ÉTRANGÈRE DE L'empereur.

INTER

VENTION DE LA RUSSIE DANS LES CONFLITS RÉVOLUTIONNAIRES DES PROVINCES DANUBIENNES ET DE LA HONGRIE.

Le caractère de ce mouvement insurrectionnel devait, nous l'avons dit, attirer très-particulièrement l'attention des cabinets, et c'était, en effet, un symptôme étrange de la perturbation générale des idées que ce soulèvement socialiste se produisant tout à coup au centre de l'Allemagne.

La France, qui malheureusement a donné tant de fois l'impulsion révolutionnaire à l'Europe, allait nécessairement subir l'influence de ces ébranlements sourds et partiels qui pouvaient amener un cataclysme complet.

Quelques faits, avant-coureurs de la révolution de 1848, en devinrent, pour ainsi dire, les préludes : la rareté des grains amena la crainte de la disette, et une crise commerciale assez intense coïncida d'une façon déplorable avec cette difficulté tout exceptionnelle.

Dans cette double circonstance, la Russie put

développer des ressources qui, jusqu'alors, n'avaient pas été bien exactement appréciées. Ainsi, lorsque dans les premiers mois de 1847, la banque de France subit une crise passagère, et se vit forcée d'élever le taux de l'escompte de 4 pour 100 à 5, l'empereur Nicolas lui fit offrir, par son chargé d'affaires, d'acheter au cours de la bourse de Paris des inscriptions de rente pour un capital de cinquante millions en numéraire, livrables à Saint-Pétersbourg, négociation qui produisit immédiatement une hausse énorme dans les fonds français. Le 21 mars 1847, un ukase décidait encore qu'une somme de trente millions de roubles (plus de cent vingt millions de francs) serait convertie en fonds anglais et hollandais; ingénieux moyens d'acquitter les traites destinées à solder les grains d'Odessa, c'est-à-dire les produits mêmes du sol de la Russie.

Cependant la révolution de 1848 éclata tout à coup; elle était de nature à ne pas étonner l'empereur autant que celle de 1830, et cela précisément parce que dans ses dédains pour le gouvernement constitutionnel, dont la France avait été appelée à faire un second essai, il l'avait, en quelque sorte, prévue à l'avance.

Mais cette révolution, bizarrement soudaine, allait créer une double difficulté pour le gouvernement russe si, par impossible, l'esprit

révolutionnaire franchissait ses frontières, de graves incidents intérieurs pouvaient se produire et forcer le gouvernement à une répression plus ou moins énergique, plus ou moins étendue; si la révolution ne s'en prenait qu'aux voisins ou alliés de la Russie, on pouvait également prévoir qu'il faudrait aller la combattre; il était d'ailleurs dans la pensée de l'empereur de faire prendre à la Russie une attitude imposante et militante en face du fantôme révolutionnaire, et à la première nouvelle de l'insurrection parisienne qui venait de renverser le trône de Louis-Philippe, le tsar, s'adressant aux officiers des gardes, leur dit : « Messieurs, préparez-vous à monter à cheval. »

Les déplorables doctrines que la révolution de février venait de faire éclore, et qu'elle semblait assez forte pour propager, devaient nécessairement réagir sur quelques esprits en Russie : une société secrète se forma à l'instar de celle de 1823, pour ourdir une conspiration contre la domination, peut-être même contre la vie du tsar.

On sait combien il est difficile de sonder les profondeurs d'un complot de ce genre, dans un pays où la publicité est si restreinte; mais écoutons parler en langage semi-officiel le journal de Saint-Pétersbourg; cet article, fort bien fait et très-probablement communiqué par le gouver

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