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et les galères ont vu depuis de quels hommes ils étaient composés. N'étiez-vous pas le plus zélé protecteur de ces hommes oisifs, dont l'unique occupation était de remplir les tribunes des sociétés prétendues populaires, et de la convention nationale, pour y influencer vos délibé rations, ou de se trouver sur le passage des victimes qu'on menait à l'échafaud', pour applaudir à leur supplice, et à la férocité du tribunal révolutionnaire? n'est-ce pas là cette poignée de factieux soudoyés, que vous osiez nommer le peuple, que vous faisiez mouvoir et parler à votre gré? Je portai des lois un peu trop sévères peut-être ; mais on les connaissait, on se mettait à l'abri de leurs châtiments. Sous votre règne, qui pouvait un moment répondre de sa vie? Ce que vous aviez regardé la veille comme une vertu, n'était-il pas regardé le lendemain comme un crime? Eh! ne faisiez vous pas des lois pénales, à mesure que vous vouliez les appliquer à quelqu'un dont les talents ou les vertus, vous portaient ombrage?

COUTH O N.

Vous étiez archonte, Dracon.

DRACO N.

J'étais juste ; c'est le premier devoir du légis lateur.

COUTH O N.

Cependant votre mort a prouvé combien les Athéniens étaient las de vous et de vos lois. Solon les a toutes abrogées, excepté celles qui regardaient les meurtres.

DRACO N.

Comme vous empoisonnez sans cesse les actions les plus simples et les plus honorables! vous croyez être encore à la tribune des jacobins; ma mort fut aussi triste que glorieuse. Ayant paru sur le théâtre d'Athènes, le peuple m'applaudit avec des acclamations réitérées, et me jeta une si grande quantité de robes et, de bonnets, selon la coutume de ce temps-là, que je fus étouffé sous les marques d'estime que je reçus. Est-ce ainsi que vous avez terminé votre carrière ?

COUTH O N.

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Non; j'ai péri la victime de ce même peuple qui faignait de m'idolâtrer.

DRACO N.

C'est le sort de tous les tyrans.

DIALOGUE.

SAINT-JUST ET MACHIAVEL

MACHIAVE L.

QUELQUE éloge qu'on ait fait de votre esprit, mon cher élève, je trouve que vous n'en avez guère montré, tant que vous avez tenu les rênes du gouvernement ; vous avez composé d'ingénieux rapports; vous avez fait livrer au tribunal révolutionnaire, ou plutôt périr sur l'échafaud vos ennemis personnels; en un mot, vous avez trop parlé, et vous n'avez point assez agi.

SAINT-JUST.

Vous dites vrai; entraîné par le génie révolutionnaire, j'ai suivi la fougue de mon imagination; j'ai ambitionné les honneurs de la tribune, et j'ai cru, qu'à l'exemple de Mirabeau, il suffisait d'y tonner pour être un grand homme, et réussir dans tous ses projets. Le jour même de ma chute, j'avais commencé le discours le plus énergique, le plus propre à démasquer les intrigants.

MA CHIA VE L.

Il fallait les assassiner ou les empoisonner; vous avez préféré, je ne sais quelle terreur, quel tribunal qui vous a vous-mêmes condamnés à votre tour; après les journées de la glacière, des 2 et 3 septembre, je pensais que vos révolutionnaires acheveraient de purger la France de tous les ennemis de la liberté : ils ont retrogradé; ils ont établi des formes judiciaires, lorsqu'il ne fallait qu'agir révolutionnairement.

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C'était aussi le sentiment des chauds jacobins; mais nous avons voulu allier la justice avec la nécessité des châtiments. La fraternité que nous avions choisie pour devise, nous imposait la loi d'être humains ou du moins impartiaux ; l'institution du tribunal révolutionnaire me parut devoir répondre à tout reproche d'injustice et de sévérité ; la loi seule y prononçait le châtiment des criminels de lèse-nation.

MACHI A V E L.

Et comment s'est-il fait qu'on n'ait traduit devant ce tribunal que les hommes les plus vertueux, les plus irréprochables? que vous ayez laissé subsister tant de vrais conspirateurs, tant de scélérats couverts du masque du patriotisme,

qui vivent encore? A quoi vous ont servi vos échafauds, si ce n'est à vous déshonorer, à vous faire abhorrer, et périr?

SAINT JU s T.

Nous avons cependant immolé Danton, Camille et les chefs du fédéralisme.

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C'étaient ceux-là qu'il fallait conserver; par cet acte arbitraire et tyrannique, vous avez formé une scission dans le parti populaire; de-là sont venus les girondins et les montagnards, et, pour comble de maux, les vendéens qui ont égorgé les uns et les autres. Tant que les patriotes n'ont eu qu'un point de ralliement, ils ont triomphé: témoins le 14 juillet, le 20 juin, le 10 août; mais une fois qu'ils ont été divisés par la fatale journée du 31 mai, où l'on a grossièrement porté la main sur des représentants inviolables, on a vu les amis de la liberté se combattre, s'entr'égorger, et rendre ainsi l'espérance aux ennemis. de la révolution. Bon dieu! que vous étiez petits en politique! vous aviez juré d'exterminer jusqu'au dernier des rois, et vous vous amusiez à rassembler de belles phrases pour décimer la convention, et sacrifier jusqu'à vos partisans !

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