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SAINT-JUST.

C'est pourtant avec ces phrases que nous sommes parvenus à conduire Capet à l'échafaud.

MACHIAVE L.

Voilà votre plus grande faute.

SAINT-JU S T.

Quoi! nous avions reçu de nos commettants l'ordre exprès de le juger; pouvions-nous nous dispenser d'accomplir leur volonté ?

MACHIAVE L.

Quand je vous ai vu passer trois mois à discuter cette misérable affaire, prononcer de longs discours pour ou contre des formes relatives à ce jugement, donner des défenseurs à un homme que vous disiez vous-mêmes avoir été surpris les mains dans le sang, j'ai prévu votre perte.

SAINT-JUST.

Que fallait-il donc faire?

MACHIAVE L.

L'empoisonner, faire arrêter et mourir sur le champ un de ses favoris à qui vous auriez attribué ce crime.

SAINT-JUST.

Ah! grand homme, que n'étiez-vous un des

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membres de notre convention? Robespierre vous eût donné la moitié de la France, pour apprendre à gouverner l'autre moitié.

MACHI A V E L.

Robespierre, si j'eusse été législateur, n'eût point vécu vingt-quatre heures; c'était l'homme le plus ambitieux, le plus sot, et, par conséquent, le plus dangereux; il ne pouvait que faire du mal, sans faire aucun bien. Ou César ou rien, disait mon César Borgia; mais, vous autres, vous avez cru qu'il suffisait de porter un décret, d'armer légalement des assassins, et de rester cachés derrière la toile ; ce n'est pas ainsi qu'on peut conserver un pouvoir usurpé,

DIALOGUE.

CALIGULA, NÉRON, MARAT.

NERON.

UI l'eût dit, cher Caligula, qu'après dix-huit siécles de repos, la nature produirait un homme capable de nous imiter et même de nous surpasser; que cet homme, né de la fange populaire, sans aucune autre puissance que son audace, parviendrait à changer la face d'un grand empire? le voilà ; il se promène seul: tout le fuit; c'est à nous seuls qu'il appartient de l'aborder.

CALIGULA.

Mon cœur tressaille de joie à son aspect; il est encore tout couvert de sang.— Soyez le bien venu, cher et digne ami du peuple; votre présence est pour nous le plus doux présent de la divinité. Le récit de vos prouesses était notre unique consolation. Aujourd'hui que nous vous possédons, nous pourrons au moins former un triumvirat agréable et salutaire. Mais quelle douleur est peinte sur votre visage! d'où viennent ce silence et ces profonds soupirs?

MARAT.

J'ai laissé la France en proie aux factieux; ils ont gâté tout mon ouvrage. Après tant de travaux, au moment de régner, j'ai péri de la main d'une femme! une femme a tout perdu! Heureux mortels! vous avez accompli vos destinées, et votre vie est devenue la leçon des rois.

NÉRON.

Qu'avons-nous fait de plus que toi? Est-il aucun trait dans notre histoire qu'on puisse comparer à tes septembrisations?

MARAT.

Ce n'est pas à moi seul qu'il faut attribuer la gloire de ces expéditions mémorables; il est encore plusieurs de mes collégues vivants qui me la disputent. Je fus, il est vrai, l'un des auteurs de ces journées, je me félicite d'avoir purgé la France de ses ennemis, et surtout de n'avoir point commis, ainsi que tant d'autres, des assas sinats inutiles, pour le seul plaisir de les com

mettre.

CALIGULA.

Est-ce à moi que ce discours s'adresse? sais-tu bien que je suis suis empereur, et par-dessus tout, dieu!

MARAT.

Dieu, toi! à peu près comme ton cheval, que tu fis pontife et que tu voulais faire consul. Qui pourrait fidellement retracer tes extravagances? penses-tu qu'on ait oublié qu'après avoir couvert l'Océan des vaisseaux de l'empire romain, après avoir fait ranger tes soldats en bataille sur le rivage, vers Sangate, au lieu de lauriers qu'ils s'attendaient à moissonner, tu leur donnas ordre de n'amasser que des coquillages; que tout le fruit de cette expédition fut l'enlèvement des hommes les mieux faits des provinces gauloises? Que dirai-je de tes atrocités? Ce n'était point assez de souiller ton caractère d'infâmes débauches, d'enlever, d'épouser, de répudier des femmes assez malheureuses pour avoir partagé l'opprobre de ta couche; tu as signalé ton règne par la même conduite qui avait fait abhorrer ton prédécesseur. Ici, tu commen. ças tes assassinats par la mort du jeune Tibère, qui devait partager avec toi la souveraine puissance, et que tu adoptas pour ton fils, afin de pouvoir disposer de sa vie, selon l'autorité cruelle que la loi donnait aux pères; là, tu fais mourir d'une manière atroce une immense quantité de Romains, dans les spectacles publics; c'étaient surtout les personnes opulentes qui les premières

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