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TRAITÉ DES MYSTÈRES.

PREMIERE PARTIE.

DES MYSTÈRES.

De leur origine et de leurs progrès, de leurs espèces différentes; et en général de tout ce qui tient à l'historique des initiations anciennes, au cérémonial et aux fonctions sacerdotales.

L'ORIGINE de l'initiation et des mystères se perd dans l'obscurité des siècles, et remonte jusqu'à l'époque éloignée, où les hommes appliquèrent la religion au maintien de l'ordre social. Ils sont proprement le fond de la religion des anciens et de leur croyance sur les rapports de l'homme avec les causes premières, et sur la Providence universelle. Les Egyptiens nous paraissent être le plus ancien peuple chez qui on trouve des mystères établis; et peut-être est-ce d'eux qu'ils ont passé dans le reste du monde, au moins revêtus de la forme sous laquelle ils nous ont été transmis par les écrits et les monumens de l'antiquité grecque et romaine. Les Egyptiens, en général, ont donné beaucoup d'attention au culte et aux institutions

religieuses, et ils semblent avoir rapporté toute leur politique à la théocratie, comme à son centre. Les prêtres tenaient dans la société le même rang que les Dieux dans l'ordre du monde. Ils n'avaient même tant vanté le pouvoir des Dieux, qu'afin d'établir plus sûrement le leur. C'était des esclaves impérieux qui régnaient, au nom de leur maître, sur d'autres esclaves timides, qui alimentaient leur orgueil et leur puissance des fruits de leurs sueurs et de leur industrie.

Ce sont eux qui, plus qu'aucun autre peuple, ont cherché à développer les principes de la morale religieuse. Ce fut pour l'enseigner avec plus de succès, qu'ils instituèrent des initiations et des sociétés particulières, dans lesquelles l'homme apprenait à connaître les rapports qui le liaient avec l'Univers et avec les Dieux. Les mystères d'Osiris, d'Isis et d'Horus, semblent avoir été le modèle de toutes les autres initiations qui se sont ensuite établies chez les différens peuples du monde. Les mystères d'Atys et de Cybèle, célébrés en Phrygie; de Cérès et de Proserpine, célébrés à Eleusis et dans beaucoup d'autres endroits de la Grèce, n'en sont qu'une copié. Cette filiation de culte a été remarquée par Plutarque ', Diodore de Sicile 2, Lactance, et par plusieurs autres auteurs; et quand ils n'en auraient pas fait l'observation, il ne serait pas difficile de s'en assurer, par la comparaison

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1 Plut. de Iside, p. 356.2 Diodor., liv. 1, § 96, et 1. 3, § 69. — Lactance, p. 119.

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des aventures romanesques de ces divinités. Les anciens, qui ont comparé les divinités grecques avec les divinités Egyptiennes, ont pensé que la Cérès des Grecs était absolument la même que l'Isis Egyptienne 1; que le Bacchus grec était aussi l'Osiris égyptien 2; d'où il résulte évidemment que les mystères de Cérès et de Bacchus, célébrés par les Grecs, sont ceux d'Isis et d'Osiris, établis en Egypte dès la plus haute antiquité, puisque Cérès est Isis, et Bacchus est Osiris. Les aventures de ces divinités conduisent au même résultat, et les cour ses d'Isis ressemblent en beaucoup de points à celles qu'on attribua ensuite à Cérès, suivant l'observation du sage Plutarque et de Diodore *.

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Nous allons rapporter ici une partie de la fable d'Isis, que nous avons racontée et expliquée dans notre chapitre troisième du troisième livre; elle nous servira ici de terme de comparaison 5.

Isis, après la mort malheureuse d'Osiris, dont le corps enfermé dans un coffre par Typhon, principe des ténèbres, avait été jeté dans le Nil, se met à la recherche de son époux infortuné. Incertaine de la route qu'elle doit tenir, inquiète, agitée, le coeur déchiré de douleur, en habit de deuil, elle porte çà et là ses pas égarés. Elle interroge tous ceux qu'elle rencontre, même de jeunes enfans, de qui elle apprend que le coffre avait été porté à la

1 Plut. de Isid., p. 362, 364, 365.2 Herod., 1. 2, c. 42, 59, c. 144. - 3 De Iside, p. 360. 4 Diod., l. 3, § 69.5 De Iside, p. 366, etc.

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mer par les eaux, et de là jusqu'à Byblos, où il s'était arrêté, reposant mollement sur une plante appelée Erica, qui poussa tout-à-coup une superbe tige, dont il fut tellement enveloppé, qu'il semblait ne faire qu'un avec elle. Le roi du pays, étonné de la beauté de l'arbuste, le fit couper, et en fit une colonne pour son palais, sans s'apercevoir du coffre, qui s'était uni et incorporé avec le tronc. Isis, instruite par la renommée, et comme par un instinct divin, de ce qui se passait, arriva bientôt à Byblos; e baignée de larmes, elle vint s'asseoir près d'une fontaine, où elle resta dans un état d'accablement, sans parler à personne, jusqu'à ce qu'elle vit arriver les femmes qui servaient la reine Astarté, qu'elle salua honnêtement, et dont elle rétroussa la chevelure, de manière à y répandre, ainsi que sur tout leur corps, l'odeur d'un parfum exquis. La reine, ayant appris de ses femmes ce qui venait de se passer, et sentant l'odeur admirable d'ambroisie qui s'exhalait de leurs cheveux et de tout leur corps, voulut connaître cette étrangère. Elle invite donc Isis à venir dans son palais, et à s'attacher à sa personne. Elle en fait la nourrice de son fils. Le roi s'appelait Malcander, et la reine Astarté, ou, suivant d'autres, Saosis, et Nemanoun, ou Minervienne. Isis mit dans la bouche de cet enfant le doigt, au lieu du bout de la mamellé, et brûla pendant la nuit toutes les parties mortelles de son corps. En même temps, elle se métamorphose elle

1 De Iside, p. 357:

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même en hirondelle, voltige autour de la colonne d'Erica, en faisant retentir l'air de ses cris plaintifs, jusqu'à ce que la reine „qui l'avait observée, vînt à pousser un cri en voyant brûler son fils. Ce cri rompit le charme qui devait donner à l'enfant l'immortalité. La Déesse alors se fit connaître, et demanda que la précieuse colonne lui fût donnée. Elle en retira facilement le corps de son époux, en dégageant le coffre du bois qui le recouvrait, et qu'elle voila d'un léger tissu, et parfuma d'essence. Elle remit au roi et à la reine cette enveloppe de bois étranger, qui fut déposée à Byblos dans le temple d'Isis, où on le voyait encore du temps de Plutarque. Isis s'approche ensuite du coffre, le baigne de ses larmes, et pousse un cri si aigu, que le plus jeune des fils du roi en mourut de frayeur1. Elle emmena l'aîné avec elle, et emportant le coffre chéri, elle s'embarqua; mais un vent un peu violent s'étant élevé sur le fleuve Phaedrus, vers le matin, elle le fit tarir tout-à-coup de colère. S'étant ensuite retirée à l'écart, se croyant absolument seule, elle ouvrit le coffre; et,collant sa bouche sur celle de son époux, elle le baise, elle l'arrose de ses larmes; mais le jeune prince qu'elle avait emmené s'étant avancé par derrière à petit bruit, épiait sa conduite et les expressions de sa douleur. La Déesse s'en aperçoit, se retourne brusquement, lance sur lui un regard si terrible, qu'il en meurt d'effroi. La Déesse se rembarque et retourne en

1 De Iside, c. 357.

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