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rendaient à Dercetó et de l'abstinence superstitieuse de toute chair de poisson. Cette abstinence a donc la même origine, savoir: le culte des poissons qui prêtèrent leurs formes à Derceto, ou celui des constellations du grand poisson du verseau et des deux poissons du zodiaque, qui étaient regardés comme ses enfans.

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Lucien parle d'une troisième tradition 1 sacrée, qu'il tenait d'un homme instruit, de laquelle il résultait que cette divinité était Rhéa, et que le temple avait été élevé à cette Déesse par Atys Lydien, qui le premier institua les cérémonies religieuses du culte de Rhéa. On lui attribue également les mystères de Phrygie, de Lydie et de Samothrace. On suppose en effet qu'après que Rhéa l'eut privé des organes caractéristiques de son sexe, il renonça aussitôt au genre de vie de l'homme, et se revêtit d'habits de femme. C'est sous ce costume qu'il se mit à voyager par toute la terre, enseignant les mystères, racontant tout ce qu'il avait éprouvé, et célébrant la gloire de Rhéa. Il arriva en Syrie sur les bords de l'Euphrate. Comme les peuples qui habitaient audelà de ce fleuve refusaient de le recevoir, lui et ses mystères, il bâtit un temple en ce lieu en honneur de cette Déesse, qu'on peut reconnaître à beaucoup de traits pour être Rhéa 2. Elle est portée, comme Rhéa, par des lions; elle tient les cymbales; elle a des tours sur sa tête; elle est telle enfin que les Lydiens représentaient Rhéa. Son temple

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est desservi par des Galles, qui sont les prêtres ordinaires de Rhéa, et qui se mutilent, non en honneur de Junon, mais en honneur d'Atys, qu'ils cherchent à imiter.

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Entre ces diverses traditions, Lucien se détermine pour celle qui s'accorde le mieux avec l'opinion reçue chez les Grecs, et qui suppose que la Déesse adorée en ce lieu est Junon, et le temple un monument élevé par Bacchus, fils de Sémélé; car ce héros passa en Syrie, dans le voyage qu'il fit en Éthiopie. On trouve dans ce temple plusieurs traces du culte de Bacchus, et des monumens de ses conquêtes dans l'Inde. On y voit en effet des habillemens ou des étoffes à l'usage des Barbares, des pierres précieuses de l'Inde, des dents d'éléphant, que Bacchus avait apportées d'Ethiopie. On remarque même dans le vestibule du temple deux grandes figures de Priape, avec une inscription qui annonce que c'est Bacchus qui les a consacrées à Junon, sa marâtre. Malgré la préférence que Lucien semble donner à cette tradition, on ne sera pas tenté d'y croire, quand on se rappellera ce que nous avons dit de Bacchus et de son voyage dans les Indes, dans le chapitre sixième de cet ouvrage. On peut conclure seulement qu'il y avait dans ce temple, consacré à la lune, beaucoup de monumens relatifs au soleil, soit Atys dépouillé de sa virilité comme le soleil l'est en automne, soit Bacchus doué des organes les mieux prononcés de la force mâle et féconde, comme le soleil l'est au printemps, époque de la célébration des fêtes ityphalliques. Voilà l'o

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rigine de cette double tradition, qui attribuait tantôt à Atys, tantôt à Bacchus la construction de ce temple, c'est-à-dire au Dieu-soleil, considéré aux deux époques les plus marquées de la révolution annuelle: celle où la force active et génératrice se développe dans la nature sublunaire, et celle où elle cesse. Le taureau, qui portait la statue de Jupiter dans ce temple, est encore une preuve de ces rapports avec le signe équinoxial ou avec l'animal céleste qui prêta ses formes à Osiris et à Bacchus, et qui servait de monture à Mithra.

Il en est de même de la figure d'un lion, attribut commun au soleil, à Cybèle, à Mithra et à Bacchus, et qui est en opposition avec le verseau, empire de Junon, et siége de Deucalion à qui on attribuait également la fondation du temple. Ce sont ces traits communs à ces diverses divinités et à leurs images qui ont donné naissance à ces différentes traditions.

Lucien ajoute que le temple qui existait de son temps, n'était pas le même qui avait été bâti ancienneinent; que ce premier temple était tombé en vétusté, et que celui qu'on voyait alors avait été bâti par Stratonicé, femme d'Antiochus roi de Syrie. A cette occasion, il raconte fort au long l'histoire de Stratonice, et ses amours avec le fils de son époux. Ce roman semble être l'inverse de celui des amours de Phèdre et d'Hippolyte; car ici l'amant est le fils qui devient éperdument amoureux de sa belle

1 Lucian, p. 887.

mère. A cette première histoire s'en joint une seconde qui tient plus directement à la fondation du temple, à l'institution des Galles, et qui a beaucoup de ressemblance avec les amours de Cybèle et d'AL tys, sous les noms de Stratonice et de Combabus On Ꭹ trouve aussi quelques traits de celle de Phè dre et d'Hippolyte 2.

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L'amant malheureux de Stratonice, nouvel Atys, après la construction du temple, resta attaché au culte de Junon le reste de sa vie. Sa statue en bronze y fut élevée. On l'y représenta comme Atys, sous les traits d'une femme vêtue d'habits d'homme. Ses amis, à son exemple, se firent eunuques, et embrassèrent le même genre de vie. D'autres disent que Junon, aimant le jeune Combabus, engagea plusieurs autres jeunes gens à l'imiter, afin qu'il ne fût pas le seul réduit à regretter la perte de sa virilité. Cet usage, dit Lucien, s'est perpétué jusqu'à nos jours, et tous les ans on voit une troupe de jeunes gens se priver dans ce temple des parties sexuelles, soit pour consoler Combabus, soit pour plaire à Junon. C'est pourquoi ils prennent l'habit de femme aussitôt qu'ils se sont faits ennuques, et ils s'occupent de travaux analogues à ceux du sexe dont ils portent l'habit. Combabus passe pour être l'objet dé toutes ces pratiques: On dit de lui qu'une femme étrangère, étant venue au temple, fut frappée de sa beauté et qu'elle en devint amoureuse;

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1 Lucian, p. 891, 893.2 Ibid. 894, 895.-5 Ibid. 896,

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mais qu'ayant su qu'il était eunuque, elle se tua, et que Combabus affligé de son sort quitta les vêtemens d'homme et prit ceux de femme, afin qu'aucune infortunée n'eût à se plaindre d'avoir été trompée par les apparences d'une virilité qu'il n'avait plus. Et c'est à cela qu'on attribue l'usage où sont les Galles, prêtres de ce temple, de se revêtir d'habits de femme 1. Ici finit le récit de Lucien sur les amours de la reine d'Assyrie, et du jeune Combabus, ainsi que de leurs suites funestes pour cet infortuné; histoire qui, à quelques circonstances près, est celle de la reine de Lydie et du jeune Atys sous d'autres noms. C'est une légende moderne calquée sur une ancienne, ce qui nous prouve que dans le siècle de Lucien, les prêtres rajeunissaient les anciennes légendes sous des titres nouveaux et avec des circonstances nouvelles. La légende de Christ, renouvelée de celle de Mithra; nous en fournira encore une preuve, ainsi que celle d'Osiris et de Typhon, rajeunie par Synésius, nous en a déjà fourni unẹ.

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Lucien passe ensuite à la description du temple, sur laquelle nous n'insisterons pas ici, nous bornant à remarquer les seules choses qui peuvent se rapporter au but que nous nous proposons dans cet article. Les monumens les plus frappans de ce temple sont les statues colossales de Priape, que l'on disait avoir été consacrées par Bacchus. Elles avaient de hauteur trois cents orgyes. Dans l'une d'elles on

1 Lucian, p. 898.

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