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pouvait sans crime faire tomber les regards d'un homme sur les objets de ce culte mystérieux'. L'imprudence était aussi coupable qu'une curiosité maligne.

«Personne, dit Cicéron, n'a jamais, de mémoirë d'homme, avant Clodius, profané ce sacrifice auguste; aucun homme n'en a jamais approché; aucun ne s'est rendu coupable d'un injurieux mépris; il n'est aucun homme qu'une crainte religieuse n'ait empêché d'y porter ses regards. Les vierges vestales en sont les prêtresses (m): le salut de tout le peuple en est l'objet. Le sanctuaire est la maison du premier magistrat, et son cérémonial majestueux honore une Déesse, dont il n'est pas permis à un homme de savoir même le nom. »

Ici le témoignage de Cicéron s'accorde parfaitement avec celui de Plutarque2, qui dit que la bonne Déesse était celle des mères de Bacchus, qu'il était défendu de nommer.

Comme la chaste Proserpine, la fille de Faune tenait fort à sa virginité, et ne connut d'homme que son père, qui la força ou la trompa, sous la figure d'un serpent dont il prit la forme. Car il paraît que, dans bien des théologies, le serpent a passé pour avoir séduit des femmes, avec les fruits de l'automne. Dans les unes, ce sont les pommes; dans les autres, c'est le jus des raisins, qu'on emploie pour les séduire.

1 Ovid. Fast., l. 5, v. 153. — 2 Plut. vit. Cæs., p. 711. 3 Macrob., Sat., l. 1, c. 12.

La bonne Déesse, de quelque nom qu'on l'appelle, soit Ops, soit Fatua, Déesse des oracles, soit Fauna, fille de Faune, fut aimée de son père 1, au désir duquel sa pudeur effrayée résista long-temps, au point que le père la fustigea avec l'arbrisseau de Vénus ou le myrthe, pour la contraindre; il essaya ensuite de l'enivrer pour en jouir, mais inutilement. Enfin, il se métamorphosa en serpent, et sous cette forme, il plut à sa fille, ou la trompa. Plusieurs monumens symboliques de ce culte appuyaient cette fable, ou plutôt s'expliquaient par elle. D'abord, il n'était pas permis de porter la verge de myrthe dans ce sanctuaire; secondement, une branche de vigne s'étendait sur la tête de la Déesse, parce que c'était à l'aide de son fruit, ou đu jus qu'on en exprime, que Faune son père avait voulu la séduire. Par la même raison, on ne pouvait y introduire de vin, sous son nom connu : mais bien sous celui de lait; et le vase qui le contenait s'appelait vas mellarium; troisièmement, on nourrissait dans son temple des serpens apprivoisés.

Plutarque nous peint un serpent, ou dragon sacré, aux pieds de sa statue; et il assure que les femmes qui célébraient cette fête, couvraient la tente de branches de vignes 2. Nous pouvons donc nous représenter la bonne Déesse, ou sa statue, comme une figure de femme, dont la tête était ombragée de raisins, et qui à ses pieds avait un serpent. L'époque de la célébration de sa fête était aux

1 Macrob. Sat., p. 214. - 2 Plut. de vitâ Cæs., p. 711.

calendes de mai; le soleil étant au quatorzième degré du taureau, entrant au quinzième, six jours après le lever héliaque du bélier, d'après le calendrier d'Ovide, vers les derniers jours des fêtes de Flore, la veille du jour où les hyades, nourrices de Bacchus, se levaient cosmiquement, ou montaient le matin avec le soleil. La lune alors était unie au soleil, dans le lieu de son exaltation, qui était le taureau, signe où Vénus avait son domicile. Elle était pleine nécessairement au scorpion, dans les étoiles du serpentaire Cadmus, père des pleïades et des hyades; et le Dieu qui tient le serpent, que surmonte la couronne, était uni à elle.

Le lever de la belle étoile de la chèvre Amalthée, placée dans les mains du fils de Vulcain, Ericthonius aux pieds de serpent, donnait le signal de la célébration de cette fête. Cette constellation avait un grand rapport avec la culture de la vigne; car on lui sacrifiait pour détourner ses fàcheuses influences, qui pouvaient perdre les raisins. Sa statue était en conséquence élevée dans la place publique des Phliassiens 2, qui l'honoraient à ce titre. Elle était la mère de Bacchus, comme nous l'avons vu dans la théologie des Libyens, qui font naître ce Dieu des amours de Jupiter Ammon, et de la nymphe Amalthée. Or, suivant la tradition de Plutarque, la bonne Déesse était une mère de Bacchus, et une mère dont le nom n'était pas connu vulgairement. Effectivement Sémélé était beaucoup plus

1 Macrob, et Ovid., ibid. -2 Pausan, Corinth., p. 56,

connue'. Plutarque ajoute, qu'il se passait dans ses mystères beaucoup de choses qui avaient de grands rapports avec les cérémonies de Bacchus, dans lesquelles le bouc et la chèvre jouent un rôle important. C'est cette chèvre, dont la corne était entre les mains de la Fortune à Ægira, ville qui prend son nom de celui de la chèvre; et dans celles de Sosipolis 2, divinité d'Elide. C'est par cette raison que l'on sacrifiait aussi à la bonne Déesse, pour la prospérité de l'empire. Aussi les livres sibyllins, qui contenaient les destinées de l'empire romain, passaient pour avoir été inspirés par la sibylle Amalthée. Ces livres étaient gardés dans le temple d'Apollon ou du Dieu du soleil, dont on faisait fille cette chèvre Amalthée ou Ega *. On lui donnait le nom de Fatua, pour caractériser sa vertu prophétique, si l'on en croit Varron 5; et on lui donnait pour époux Faune (2), le même que Pan ', chez lequel arrive Hercule, après la conquête des boeufs de Géryon, comme nous l'avons vu dans le dixième travail de ce héros. Faune passait aussi pour un devin, et avait un oracle célèbre en Italie'. Nous avons déjà parlé de l'oracle de Pan et des chèvres prophétesses, dans notre chapitre sur ce Dieu.

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Plutarque en fait une nymphe. Hésychius fait aussi une nymphe de la chèvre Amalthée". Ovide

1 Plut. Vit. Cæs. --- 2 Pausan. Achaic., p. 234. Heliac, c. 2, p. 197, 198, 204. - 3 Serv. Æneid., 1. 6, v. 76. — 4 Hygin., 1. 2, c. 14. -5 Varro de Ling. lat., l. 5, c. 4, c. 5. 6 Aurel.

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Vict. Orig. Virg. Æneid., 1. 7, v. 82, 85, et Serv. Com.8 Hesych., v. NuμQ.

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l'appelle la nymphe naïade, qui donna du lait à Jupiter; et Plutarque une dryade, qui eut commerce avec Faune, un des noms de Pan dont la chèvre est femme. Ces noms de nymphes, de dryades et de naïades se confondent quelquefois, surtout chez les Arcadiens, chefs de la religion des Romains. Ils donnaient le nom de dryades et d'épimédiales à leurs naïades 2, dit Pausanias; et Homère parle souvent des nymphes naïades, continue le même auteur. Il n'est donc pas étonnant d'entendre Plutarque appeler dryade cette nymple, qu'Ovide appelle naïade. Elle donnait du lait au Dieu enfant. Voilà pourquoi le vin porté dans son temple devait s'appeler du lait ; c'était une allusion à la nourrice de Jupiter. Comme dans la théologie primitive des Libyens elle était mère de Bacchus, sa statue était surmontée de la vigne, et on y pratiquait beaucoup de choses relatives au culte de son fils. Les femmes, en célébrant cette fête, couronnaient leurs tentes de branches de vigne. Tout ceci est relatif à Bacchus. Quant aux serpens, on sait qu'ils étaient un attribut symbolique des mystères de ce Dieu, et que le serpent était spécialement exposé dans les orphiques, dont les pratiques se rapprochaient en beaucoup de points des cérémonies mystérieuses de la bonne Déesse, suivant le témoignage de Plutarque. D'ailleurs, Ericthonius, ou le cocher, qui porte la chèvre, avait des pieds en

1 Ovid. Fast,, 1. 5, v. 11, 148. 2 Arcadic., p. 238. 3 Macrob. Sat., l. 1, c. 12, v. 215.- 4 Plut. Vit. Cæs., p. 711.

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