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âgée quatorze, sont assises, le sourire sur la bouche, les yeux brillants, et les joues roses de plaisir. Leurs cœurs palpitent d'attente et de bonheur; elles mesurent de l'œil l'espace qu'elles vont parcourir; elles s'examinent dans les moindres détails de leurs toilettes fraîches et simples comme elles, et reportent vers leurs mères, rayonnantes d'orgueil, leurs regards joyeux.

Devant et derrière elles, les danseurs du même âge circulent dans le salon, faisant leurs remarques, louant, critiquant presque comme des hommes, et choisissant d'avance l'enfant ou la toute jeune fille.

L'orchestre donne le signal, et la troupe folâtre s'élance, oublieuse de tout,* si ce n'est du plaisir. La joie est universelle; elle gagne jusqu'aux parents eux-mêmes, présents à cette fête de famille.

Les gâteaux, les glaces, le sirop, le punch, circulent en profusion; mais le punch est léger, extrêmement léger; on sait quel effet pourrait produire sur toutes ces jeunes têtes le rhum versé en aussi grande quantité que pour un punch de dames.

Mais une autre ivresse s'est emparée des enfants: l'air du galop s'est fait entendre les voilà tous s'élançant, petits et grands, et parcourant, de la vitesse de leurs faibles jambes, les longs salons ouverts devant eux. Rien ne peut les retenir, rien ne peut les réunir en quadrilles; ils vont toujours: l'agilité des petits chevaux de Franconi, galopant autour du cirque, peut seule égaler la leur. La musique, au lieu de s'arrêter, semble comme eux redoubler de vitesse; mais tout à coup des gémissements se font entendre: deux tout petits danseurs, haletant de fatigue, et qui, depuis quelques instants, pleuraient tout bas, s'écrient, en courant toujours: O cette musique ne finira pas! Les pauvres enfants se croyaient obligés à ne pas perdre une mesure, et le galop devenait une tâche au-dessus de leurs forces. Des bonbons et des baisers ont vite séché leurs larmes.

Puis est venu le souper qui a réalisé pour eux toute la féerie des châteaux enchantés: une quantité de petites tables ont réuni les enfants autour d'elles: quelques mères ont pris place près des plus petits; mais aucune d'elles n'a voulu danser, et elles ont bien fait; rien ne devait troubler l'harmonie de cette fête. Le bal a donc fini, pour les mères comme pour les enfants, à une heure et demie du matin.

* Expression nouvelle qui est d'un bon effet.

Cette soirée a été du petit nombre de celles qui laissent après elles, au lieu de regrets et d'ennuis, de riants et purs souvenirs. Elle fera époque dans la vie de plusieurs jeunes filles, et il y en aura beaucoup qui, dans dix ou douze ans, regretteront, au milieu des bals où elles porteront, au lieu de quelques fleurs, des plumes et des diamants, cette douce et joyeuse fête de janvier.

MME. MELANIE WALDOR.

Observation.-Tableau charmant et plein de fraîcheur que la main d'une femme et d'une mère à seule pu tracer; elle seule pouvait donner tant de grâces à l'enfance, tant d'attraits à ses jeux.

UNE SÉANCE DE SOURDS-MUETS.

"La reconnaissance est la mémoire du cœur."

(MASSIEU, sourd-muet.)

L'Instituteur prend un objet dans les arts: une montre; il demande par signe à un jeune élève, si cette montre est l'ouvrage d'une mouche, d'un singe, d'une abeille, d'une girafe, d'une fourmi, d'un éléphant, ou d'un petit chien qui est à côté de lui.

Le jeune élève devient rouge comme de l'écarlate. Il répond avec ironie, sans pourtant se fâcher, que non assuré

ment.

On le calme doucement en lui expliquant que la question est sérieuse, et tend à son instruction.

L'Instituteur. De qui cette montre est-elle l'ouvrage ?
L'Elève. Elle est l'ouvrage d'un horloger.

L'Instituteur. Qu'est-ce qu'un horloger?

L'Elève. C'est un homme qui fait des horloges, des montres, etc.

L'Instituteur. Qu'est-ce que l'Eternité ?

L'Elève. Sans naissance, ni mort, la jeunesse sans enfance ni vieillesse ; l'aujourd'hui sans hier ni demain; le non-âge.

L'Instituteur. Qu'est-ce qu'une difficulté ?

L'Elève. C'est possibilité avec obstacle.

L'Instituteur. Qu'est-ce que l'ingénuité ?

L'Elève. L'ingénuité est naturelle, franche, naïve, sans déguisement ou sans détours dans ses paroles comme dans ses actions: les paysans et les gens de la campagne sont pour la plupart simples, parce que leur esprit n'a pas été

cultivé. Les enfants et les jeunes gens bien nés et bien élevés sont ingénus, parce que leur cœur n'a pas été cor

rompu.

L'Instituteur. Qu'est-ce que idée, pensée, jugement, raisonnement, et méthode ?

L'Elève. L'idée est le résultat de l'attention et peint l'objet dans l'esprit; la pensée réunit deux où plusieurs idées, comparées pour les juger; le jugement voit en quoi elles conviennent ou non; le raisonnement enchaîne les comparaisons, les jugements, les déduit les uns des autres; enfin la méthode est l'art de faire quelque chose selon les règles.

L'Instituteur. Qu'est-ce que la grâce?

L'Elève. La grâce est le je ne sais quoi, quelque chose de divin répandu sur le corps, dans les mouvements, dans les gestes, dans toute la personne.

La grâce, c'est un don, une faveur.

La grâce, c'est le secours de l'inspiration divine.
L'Instituteur. Qu'est-ce que la clémence ?
L'Elève. C'est un pardon magnifique.

L'Instituteur. Quelle différence y a-t-il entre une belle et une jolie femme ?

L'Elève. Une belle femme a un charme puissant qui excite en nous l'admiration, elle fixe les regards sur elle par les qualités régulières du corps et par un agréable mélange de roses et de lys sur son teint; tandis qu'une jolie personne nous plaît, nous intéresse par sa mignonne figure et ses manières gentilles. C'est un bijou que nous aimons plus que nous ne l'admirons. Une belle n'est belle que d'une façon ; une jolie, l'est de mille.

L'Instituteur. Quelle différence entre beau et magnifique? L'Elève. En fait d'art ou d'ouvrages d'esprit, il faut pour qu'ils soient beau, qu'il y ait de la régularité, une noble simplicité, de la grandeur; mais le magnifique y ajoute un éclat extraordinaire par un concours de perfections et de proportions qu'on ne peut s'empêcher d'admirer. Unissez le beau au magnifique; cela produit le sublime qui vous enlève, et vous transporte. Au reste, vous le trouverez toujours natural.

L'Instituteur. Qu'est-ce que le bonheur ?

L'Elève. Goûter la jouissance de la vie, ce n'est que le plaisir. Le bonheur est la paix de la conscience.

PAULMIER.

DU CARACTÈRE PATERNEL.

Le roi Salomon," dit un auteur oriental, "fut consulté un jour par les juges de Damas sur un procès fort embarrassant. Deux hommes se prétendaient fils d'un riche marchand qui venait de mourir, et réclamaient tous deux son héritage. Ils avaient été élevés et nourris par le marchand, qui sem. blait les aimer beaucoup tous les deux. Mais il disait tou jours qu'il n'y avait que l'un d'eux qui fût son fils, quoiqu'il refusât obstinément de faire connaître celui qui avait droit à ce titre. A sa mort, le débat s'émut pour savoir quel était le fils et l'héritier du marchand. Les juges de Damas, quoique reconnus pour leur sagesse, ne purent pas décider cette question si douteuse, et ils renvoyèrent le procès au roi Salomon. Celui-ci ordonna de faire venir les deux jeunes gens et le corps du marchand dans son cercueil; et quand les deux plaideurs furent devant lui, il dit qu'il adjugerait l'héritage à celui des deux qui, prenant un marteau de fer, briserait le premier le cercueil de son père. Les gardes donnèrent un marteau aux deux jeunes gens, qui s'approchèrent du cercueil. Alors l'un d'eux s'empressa de frapper le cercueil, qui rendit un son sourd; mais l'autre, au moment de frapper, s'évanouit en s'écriant: Non, jamais je ne pourrai briser le cercueil de mon père. J'aime mieux que mon frère ait tout l'héritage.-C'est toi qui es le fils du marchand, dit alors Salomon: tu as prouvé ta filiation par ton respect.' Les juges de Damas admirèrent ce jugement de Salomon, qui ressemble fort à celui qu'il prononça entre les deux mères cherchant, dans l'un et l'autre cas, à discerner la vérité à l'aide des sentiments de la nature.

Voilà certes un bel hommage rendu à la sainteté du caractère paternel. Le second récit que je veux faire n'est pas moins curieux ni moins expressif. Je le tire de l'ouvrage de Nicius Erythræus.

"Un jeune homme de la ville de Tagliacozzo, qui était sur le point de se marier résolut de chasser son père de la maison et de le reléguer à la campagne : il craignait que la compagnie du vieillard ne déplût à sa jeune femme. Son père avait plus de quatre-vingt-dix ans et était hors d'état de lui résister. Il le fit monter dans un chariot et le mena jusqu'à la porte d'une mauvaise métairie qu'ils avaient dans la campagne : c'était dans cette métairie qu'il voulait l'enfermer. Mon fils, dit le vieillard, je sais ce que tu veux

faire; mais je ne te demande qu'une chose; c'est de me con. duire au moins jusqu'à la table de pierre qui est dans le jardin.-Le fils conduisit son père jusqu'à cette table, et, quand ils y furent arrivés,-Maintenant, tu peux partir et m'abandonner, dit le vieillard: c'est ici qu'autrefois j'ai amené mon père et que je l'ai abandonné.-Ah! mon père, s'écria le jeune homme, si j'ai des enfants, c'est donc ici qu'ils m'amèneront à mon tour!-Et alors, ramenant son père à Taglia. cozzo, il lui donna la plus belle chambre de la naison, et la place la plus honorable à son repas de noces. Aussi Dieu le bénit, et il vécut vieux et respecté."

BIENFAISANCE DU PEUPLE.

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J'AI remarqué que beaucoup de petits marchands livrent leurs marchandises à un plus bas prix à un homme pauvre qu'à un riche, et quand je leur en ai demandé la raison, ils m'ont répondu : "Il faut, monsieur, que tout le monde vive." J'ai observé aussi que beaucoup de gens du petit peuple ne marchandent jamais lorsqu'ils achètent à des pauvres comme eux. "Il faut, disent-ils, qu'ils gagnent leur vie.” Un jour, je vis un petit enfant acheter des herbes à une fruitière: elle lui en remplit son tablier pour deux sous; et comme je m'étonnais de la quantité qu'elle lui en donnait, elle me dit: "Monsieur, je n'en donnerais pas tant à une grande personne. J'avais, dans la rue de la Madeleine, un porteur d'eau auvergnat, appelé Christal, qui a nourri pendant cinq mois, gratis, un tapissier qui lui était inconnu, et qui était venu à Paris pour un procès, parce que, me disait-il, ce tapissier, le long de la route, dans la voiture publique, avait donné de temps en temps le bras à sa femme malade. Je me suis arrêté une fois avec admiration à contempler un pauvre honteux assis sur une borne, dans la rue Bergère, près des Boulevards. Il passait près de lui des messieurs bien vêtus qui ne lui donnaient jamais rien; mais il y avait peu de servantes ou de femmes chargées de hottes, qui ne s'arrêtassent pour lui faire la charité. Il était en perruque bien poudrée, le chapeau sous le bras, en redingote, en linge blanc, et si proprement rangé, qu'on eût dit, quand ces pauvres gens lui faisaient l'aumône, que c'était lui qui la leur donnait. Cet infortuné avait été horloger et avait perdu la vue. Ces pauvres femmes étaient émues par cet instinct sublime qui nous intéresse plus

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