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aux malheurs des grands qu'à ceux des autres hommes, parce que nous mesurons la grandeur de leurs maux sur celle de leur élévation et de leur chute. Un horloger aveugle était un Bélisaire pour des servantes.

BERNARDIN DE SAINT-PIERRE.

INCENDIE DU KENT.

Je me souviens d'un récit que j'ai lu avec une vive émotion. En 1825, un violent incendie éclata, au milieu de la mer, à bord du Kent, vaisseau de la Compagnie des Indes. Le capitaine, voyant qu'il n'y avait pas d'espérance de mattriser le feu, qui bientôt allait gagner les poudres, ordonna d'ouvrir de larges voies d'eau dans le premier et dans le second pont. L'eau entra de toutes parts dans le vaisseau et parvint à arrêter la fureur des flammes; mais ce fut un autre danger, et le vaisseau semblait devoir bientôt s'ensevelir dans la mer. "Alors," dit l'auteur du récit, " commença une scène d'horreur qui passe toute description. Le pont était couvert de six à sept cents créatures humaines, dont plusieurs, que le mal de mer avait retenues dans leur lit, s'étaient vues forcées de s'enfuir sans vêtements, et couraient çà et là cherchant un père, un mari, des enfants. Les uns attendaient leur sort avec une résignation silencieuse ou une insensibilité stupide; d'autres se livraient à toute la frénésie du désespoir. Les femmes et les enfants des soldats étaient venus chercher un refuge dans les chambres des ponts supérieurs, et là ils priaient et lisaient l'Écriture sainte avec les femmes des officiers et des passagers. Parmi elles, deux sœurs, avec un recueillement et une présence d'esprit admirables, choisirent à ce moment, parmi les psaumes, celui qui convenait le mieux à leur danger, et se mettant à lire à haute voix, alternativement les versets suivants :

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"Dieu est notre retraite," disaient-elles, "notre force, et notre secours dans les détresses.

"C'est pourquoi nous ne craindrons point, quand même la terre se bouleverserait et que les montagnes se renverseraient dans la mer:

"Quand ses eaux viendraient à bruire et à se troubler ét que les montagnes seraient ébranlées par la force de ses vagues;

"Car l'Éternel des armées est avec nous; le dieu de Jacob nous est une haute retraite."*

Dans ce péril extrême, le capitaine fit monter un homme au petit mât de hune, "souhaitant plus qu'il ne l'espérait que l'on pût découvrir quelque vaisseau secourable sur la surface de l'océan. Le matelot, arrivé à son poste, parcourut des yeux tout l'horizon; ce fut, pour nous, un moment d'angoisse inexprimable; puis, tout à coup, agitant son chapeau, il s'écria: Une voile sous le vent! Cette heureuse nouvelle fut reçue avec un profond sentiment de reconnaissance, et l'on y répondit par trois cris de joie." Le vaisseau signalé était un brick anglais qui, mettant toutes voiles dehors, vint au secours du Kent. Alors commença une nouvelle scène. Le transbordement était difficile à cause de la violence de la mer; il devait être long, et cependant d'un moment à l'autre, le vaisseau pouvait sombrer. La discipline fut gardée, et le sentiment de l'honneur ne fut pas moins puissant contre l'impatience de la délivrance que ne l'avait été contre le déses poir de la mort le sentiment de la foi et de la prière. "Dans quel ordre les officiers doivent-ils sortir du vaisseau ? vint demander un des lieutenants.-Dans l'ordre que l'on observe aux funérailles, cela va sans dire, répondit le capitaine." Et c'est dans cet ordre, qui semblait un symbole du péril, que l'équipage sortit du vaisseau, les plus jeunes passant les premiers, et les officiers du grade le plus élevé demeurant les derniers sur le vaisseau et restant plus longtemps près de la

mort.

SAINT-MARC GIRARDIN,

Professeur à la Faculté des Lettres de Paris.

EFFICACITÉ DE LA PRIÈRE.

QUAND Vous avez prié, ne sentez-vous pas votre cœur plus léger, et votre âme plus contente ?

La prière rend l'affliction moins douloureuse, et la joie plus pure: elle mêle à l'une je ne sais quoi de fortifiant et de doux, et à l'autre un parfum céleste.

Que faites-vous sur la terre, et n'avez-vous rien à de mander à celui qui vous y a mis?

* Ps. xlvi.

Vous êtes un voyageur qui cherche la patrie. Ne marchez point la tête baissée : il faut lever les yeux pour reconnaître

sa route.

Votre patrie, c'est le ciel; et, quand vous regardez le ciel, est-ce qu'en vous il ne se remue rien? est-ce que nul désir ne vous presse ? ou ce désir est-il muet?

Il en est qui disent: A quoi bon prier? Dieu est trop au-dessus de nous pour écouter de si chétives créatures.

Et qui donc a fait ces créatures chétives? qui leur a donné le sentiment, et la pensée, et la parole, si ce n'est Dieu. Et s'il a été si bon envers elles, était-ce pour les délaisser ensuite et les repousser loin de lui?

En vérité, je vous le dis, quiconque dit dans son cœur que Dieu méprise ses œuvres, blasphème Dieu.

Il en est d'autres qui disent: A quoi bon prier Dieu ? Dieu ne sait-il pas mieux que nous ce dont nous avons besoin ?

Dieu sait mieux que vous ce dont vous avez besoin, et c'est pour cela qu'il veut que vous le lui demandiez; car Dieu est lui-même votre premier besoin, et prier Dieu, c'est commencer à posséder Dieu.

Le père connaît les besoins de son fils; faut-il à cause de cela que le fils n'ait jamais une parole de demande et d'actions de grâces pour son père ?

Quand les animaux souffrent, quand ils craignent, ou quand ils ont faim, ils poussent des cris plaintifs. Ces cris sont la prière qu'ils adressent à Dieu, et Dieu l'écoute. L'homme serait-il donc dans la création le seul être dont la voix ne dût jamais monter à l'oreille du Créateur ?

Il passe quelquefois sur les campagnes un vent qui dessèche les plantes, et alors on voit leurs tiges flétries pencher vers la terre; mais, humectées par la rosée, elles reprennent leur fratcheur, et relèvent leur tête languissante.

Il y a toujours des vents brûlants, qui passent sur l'âme de l'homme, et la dessèchent. La prière est la rosée qui la rafraîchit.

LA MENNAIS.

Observation.-Ce morceau est un mélange de grâce et d'énergie plein d'originalité. Le style, imité du langage biblique, abonde en images, en comparaisons vives, telles qu'on en trouve dans les paraboles orientales.

5*

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Mais son livre était lourd; il ne pouvait courir:
Il pleure et suit des yeux une abeille qui vole.
"Abeille! lui dit-il, voulez-vous me parler?
Moi, je vais à l'école, il faut apprendre à lire.
Mais le maître est tout noir, et je n'ose pas rire.
Voulez-vous rire, abeille, et m'apprendre à voler?”
"Non, dit-elle, j'arrive, et je suis très pressée.
J'avais froid, l'aquilon m'a longtemps oppressée.
Enfin j'ai vu les fleurs; je redescends du ciel,
Et je vais commencer mon doux rayon de miel.
Voyez ! j'en ai déjà puisé dans quatre roses :
Avant une heure encor nous en aurons d'écloses.

Vite, vite à la ruche. On ne rit pas toujours:
C'est pour faire le miel qu'on nous rend les beaux jours."
Elle fuit, et se perd sur la route embaumée.

Le frais lilas sortait d'un vieux mur entr'ouvert :
Il saluait l'aurore, et l'aurore charmée

Se montrait sans nuage et riait de l'hiver.
Une hirondelle passe; elle offense la joue
Du petit nonchalant, qui s'attriste et qui joue;
Et, dans l'air suspendue, en redoublant sa voix,
Fait tressaillir l'écho qui dort au fond des bois.
"Oh! bonjour, dit l'enfant, qui se souvenait d'elle.
Je t'ai vue à l'automne; oh! bonjour, hirondelle !
Viens; tu portais bonheur à ma maison, et moi
Je voudrais du bonheur: veux-tu m'en donner, toi?
Jouons!"-" Je le voudrais, répond la voyageuse;
Car je respire à peine, et je me sens joyeuse.
Mais j'ai beaucoup d'amis qui doutent du printemps;
Ils rêveraient ma mort, si je tardais longtemps.
Oh! je ne puis jouer. Pour finir leur souffrance,
J'emporte un brin de mousse en signe d'espérance.
Nous allons relever nos palais dégarnis ;

L'herbe croft: c'est l'instant des amours et des nids.
J'ai tout vu. Maintenant, fidèle messagère,

Je vais chercher mes sœurs là-bas sur le chemin.
Ainsi que nous, enfant, la vie est passagère,
Il en faut profiter. Je me sauve; à demain."

?

L'enfant reste muet, et, la tête baissée,
Rêve, et compte ses pas pour tromper son ennui,
Quand le livre importun, dont sa main est lassée,
Rompt ses fragiles nœuds, et tombe auprès de lui.
Un dogue l'observait du seuil de sa demeure.
Stentor, gardien sévère et prudent à la fois,
De peur
de l'effrayer retient sa grosse voix.
Hélas! peut-on crier contre un enfant qui pleure?
"Bon dogue, voulez-vous que je m'approche un peu
Dit l'écolier plaintif; je n'aime pas mon livre.
Voyez ! ma main est rouge; il en est cause.
Au jeu
Rien ne fatigue, on rit, et moi je voudrais vivre
Sans aller à l'école, où l'on tremble toujours.
Je m'en plains tous les soirs, et j'y vais tous les jours.
J'en suis très mécontent; je n'aime aucune affaire
Le sort d'un chien me plaît, car il n'a rien à faire."
Écolier, voyez-vous ce laboureur aux champs?

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Eh bien! ce laboureur, dit Stentor, c'est mon maître ;
Il est très vigilant, je le suis plus peut-être :

Il dort la nuit, et moi j'écarte les méchants;
J'éveille aussi ce bœuf, qui d'un pied lent, mais ferme,
Va creuser les sillons quand je garde la ferme.
Pour vous-même on travaille, et, grâce à nos brebis,
Votre mère en chantant vous file des habits.

Par le travail tout plaît, tout s'unit, tout s'arrange.
Allez donc à l'école, allez, mon petit ange.

Les chiens ne lisent pas, mais la chaîne est pour eux :
L'ignorance toujours mène à la servitude;

L'homme est fin...l'homme est sage: il nous défend l'étude.
Enfant, vous serez homme, et vous serez heureux :
Les chiens vous serviront." L'enfant l'écouta dire,
Et même il le baisa. Son livre était moins lourd.
En quittant le bon dogue, il pense, il marche, il court;
L'espoir d'être homme un jour lui ramène un sourire.
A l'école, un peu tard, il arriva gaîment,

Et dans les mois des fruits il lisait couramment.

MADAME DESBORDES-VALMORE.

Observation.-Pour l'expression poétique, pour la douleur, pour les regrets, rien n'égale madame Desbordes-Valmore. Il y a des larmes dans ses vers, de l'enjouement quelquefois; il y a de tout: on n'a pas un talent plus égal et plus pur.

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