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On conserve encor le portrait
De ce digne et bon prince;
C'est l'enseigne d'un cabaret
Fameux dans la province.
Les jours de fête, bien souvent,
La foule s'écrie en buvant
Devant :

Quel bon petit roi c'était là !

LE MAÎTRE DE DANSE.

Le caractère national ne peut s'effacer. Nos mais disent que dans les colonies nouvelles les Espagnols commencent par bâtir une église, les Anglais une taverne, et les Français un fort; et j'ajoute une salle de bal. Je me trouvais en Amérique, sur la frontière du pays des Sauvages: j'appris qu'à la première journée, je rencontrerais parmi les Indiens un de mes compatriotes. Arrivé chez les Ĉayougas, tribu qui faisait partie de la nation des Iroquois, mon guide me conduisit dans une forêt. Au milieu de cette forêt, on voyait une espèce de grange; je trouvai dans cette grange une vingtaine de Sauvages, hommes et femmes, barbouillés comme des sorciers, le corps demi-nu, les oreilles découpées, des plumes de corbeau sur la tête, et des anneaux passés dans les narines. Un petit Français poudré et frisé comme autrefois, habit vert-pomme, veste de droguet, jabot et manchettes de mousseline, raclait un violon de poche, et faisait danser Madelon Friquet à ces Iroquois. M. Violet (c'était son nom) était maître de danse chez les Sauvages. On lui payait ses leçons en peaux de castors et en jambons d'ours: il avait éé marmiton au service du général Rochambaud, pendant la guerre d'A.nérique. Demeuré à New-York après le départ de notre armée, il résolut d'enseigner les beaux-arts aux Américaits. Ses vues s'étant agrandies avec ses succès, le nouvel Orphée porta la civilisation jusque chez les hordes errantes du Nouveau-Monde. En me parlant des Indiens, il me disait toujours : Ces messieurs Sauvages et ces dames Sauvagesses." Il se louait beaucoup de la légèreté de ses écoliers; en effet, je n'ai jamais vu faire de telles gambades. M. Violet, tenant son petit violon entre son menton et sa poitrine, accordait l'instrument; il criait en Iroquois : A vos places! Et toute la troupe sautait comme une bande de démons. CHATEAUBRIAND.

SCÈNE DRAMATIQUE.

(Le cabinet du premier médecin de Paris.)

Le DOCTEUR, que GUILLAUME, son valet de chambre, achève d'habiller.-ERNEST près d'une table et travaillant.

Le Doct. (à son valet de chambre.) Ma montre ! ma tabatière ! pas celle-là.

Guillaume. Celle de l'empereur Alexandre ?

Le Doct. Non, celle d'Autriche. Je vais déjeuner chez M. d'Appony,* à l'ambassade. Ma liste de visites.

Guillaume. Il y en a beaucoup pour aujourd'hui.

Le Doct. Peu m'importe, je n'en ferai que la moitié, tantôt, après déjeuner.

Guillaume. Et les malades qui vous attendent ce matin ? Le Doct. Je les verrai ce soir. . .Il n'y a pas de mal à ce qu'un médecin soit en retard. C'est en me faisant attendre que j'ai fait ma fortune. On se disait: voilà un jeune homme bien occupé, un jeune homme de mérite: il n'a pas le temps d'être exact; et chaque quart-d'heure de retard me valait un client. Aussi tu sens bien que maintenant...

Guillaume. Ça augmente en proportion.

Le Doct. Sans doute; on tient à sa réputation. Demande mes chevaux, ma voiture, et n'oublie pas d'y porter ma chancelière; car il y a, grâces au ciel, beaucoup de rhumes cette année.-Ernest, que faites-vous là ?

Ernest. Je travaille, Monsieur, j'étudie.

Le Doct. (à part.) Est-il bête ! Voilà trois ans qu'il a le nez fourré dans les livres, ne sort de mon cabinet que pour aller à mon hospice voir mes malades. S'il croit que c'est ainsi qu'on fait son chemin...(haut.) Et qu'est-ce que vous faites là ?

Ernest. Je cherche l'origine et la cause de ces maladies inflammatoires s communes à présent, et qu'on pourrait, il me semble, aisément prévenir.

Le Doct. Les prévenir, une jolie idée! Ce sont les seules à la mode! Je vous demande alors ce qui nous resterait à guérir. Apprenez, mon cher ami, qu'il n'y a pas déjà trop de maladies; et si vous vous avisez de nous en ôter...Mais voilà, vous autres jeunes fanatiques de la science, où vous

* Ambassadeur d'Autriche à Paris.

mène la rage des investigations et des découvertes. (Se promenant et se parlant à lui-même.) En vérité, si on les laisse faire, ils deviendront plus savants que nous. Il est vrai que celui-là, qui est mon élève, ne travaille que pour moi, et je puis sans danger...(haut.) Allons, allons, étudiez. Je vais déjeuner; s'il vient des clients, vous les recevrez.

Ernest. Et vos lettres (les lui donnant)?

Le Doct. Bah! des malades qui s'impatientent! demain

nous verrons.

Ernest. Et s'ils meurent aujourd'hui.

Le Doct. (avec impatience.) S'ils meurent !.. .faut-il pour cela que je me tue! c'était bon autrefois...(ouvrant des lettres.) Le général Desvalliers, un officier retraité, une demisolde, joli client.-Un peintre...un artiste, un employé... tout peuple, tout cinquième étage.-Je n'ai pas le temps

d'aller si haut.

Ernest. J'irai,* moi, Monsieur, si vous voulez.

Le Doct. A la bonne heure. M. le bailli de Ferrète, l'envoyé de Bade! l'ordre de Bade est le seul qui me manque, une couleur qui tranche, et qui fait bien à la boutonnière ! d'ailleurs c'est moins connu et moins commun que les autres

j'irai. (Ouvrant d'autres lettres.) Un banquier prussien. Un Anglais millionnaire.-Vous avez raison, il faut voir ce que c'est. (En ouvrant une autre.) Ah! l'envoyé de don Miguel qui a fait une chute; quel malheur: j'y passerai, pourvu que je ne sois pas prévenu par quelque confrère.

Ernest. Eh! quel amour pour l'étranger!

Le Doct. En médecine, il n'y a pas d'étranger, je ne vois que des hommes, je ne vois partout que l'humanité.

Ernest. Si vous la voyez en Portugal, vous êtes bien habile.

Le Doct. Ce sont des mots, et si don Miguel lui-même me faisait l'honneur de m'appeler, je le traiterais comme mon ami, comme mon frère.

Ernest. Et lui, pour vous payer de vos soins, vous traiterait peut-être...comme sa sœur.t

Le Doct. Ce sont des affaires de famille, cela ne nous regarde pas. (Ouvrant une autre lettre.) Ah! la marquise de Nangis! moi qui dîne aujourd'hui chez elle.

Ernest. Madame de Nangis !...

*Le pronom y se supprime devant le fut. et le prés. du cond. du verbe aller.

+ On a raconté que don Miguel est allé jusqu'à maltraiter sa sœur.

Le Doct. Son mari est député, un homme grave, profond, qui à la chambre ne parle jamais, mais qui vote beaucoup, ce qui le rend très influent, très utile au pouvoir; et il y a dans ce moment, à la maison du roi, une place de médecin qui est vacante et qu'il pourrait me faire obtenir.

Ernest. Une place! vous en avez tant!

Le Doct. Raison de plus! Ce sont des droits, cela prouve qu'on a du mérite, du crédit. J'en ai déjà parlé à Mme de Nangis, une femme charmante, qui a dans le monde une puissance d'opinion... Elle seule aurait fait ma réputation, si elle n'eût été déjà faite. C'est moi qui l'ai tirée dernièrement de cette maladie que vous avez soignée.

Ernest. Oui, Monsieur, j'ai passé cinq jours et cinq nuits à l'hôtel.

Le Doct. C'est vrai! je n'y pensais plus. Quoique parfaitement rétablie et en apparence bien portante, elle souffre. Et il y a trois jours que je lui ai promis un mot de consultation, que j'ai oublié net.

Ernest. Vous avez pu l'oublier!

Le Doct. Sur le nombre, c'est facile; mais puisque mes chevaux ne sont pas encore mis, j'aurai le temps d'écrire ma consultation.... (Après avoir écrit.) Voilà qui est fini.... Je m'en vais !-Vous n'oublierez pas ce matin de passer* à mon hôpital.

Ernest. Quoi! vous n'irez pas ?

Le Doct. Je ne peux pas tout faire.-Il faut que j'aille aujourd'hui même toucher mes appointements de médecin en chef.

Ernest. C'est qu'il y aura peut-être des opérations importantes; et si je ne réussis pas...

Le Doct. Tant pis pour vous, vous en aurez le blâme.
Ernest. Et si j'ai du succès vous en aurez l'honneur.
Le Doct. Qu'est-ce à dire....?

Ernest. Que j'ai besoin, Monsieur, de vous parler une fois à cœur ouvert. Depuis trois ans, je me suis attaché à vous; je n'ai épargné ni mon temps ni mes peines; mes travaux mêmes vous ont été souvent utiles; et loin de me protéger, de me produire, il semble que vous ayez pris à tâche de me tenir dans l'ombre.

* Passer s'emploie de préférence aux verbes aller et venir, quand il s'agit de parler poliment. On dit, je l'ai fait prier de passer chez moi; mais on dira en parlant de son domestique, je lui ai fait dire de venir chez moi à midi.

Le Doct. Ce n'est pas ma faute; c'est la vôtre si vous n'avez rien de ce qu'il faut pour parvenir. Vous êtes trop jeune, trop timide; vous vous effrayez d'un rien. Dans la dernière maladie de Mme de Nangis, par exemple, quand j'ai prescrit cette ordonnance salutaire, qui l'a sauvée, je vous ai vu pâlir, hésiter..... Vous ne sauriez jamais de vous-même prendre un parti vigoureux et décisif.

Ernest. C'est ce qui vous trompe, Monsieur; selon moi, cette ordonnance devait tuer la malade. Le Doct. (d'un air railleur.)

dit?

Vraiment! qui vous l'a

Ernest. L'événement même; car je n'en ai pas suivi un mot: j'ai fait tout le contraire; et la marquise existe

encore.

Le Doct. (furieux.) Monsieur, un pareil manque d'égards.....un tel abus de confiance..

....

Ernest. Vous êtes le seul qui en soyez instruit; mais quand je me tais sur ce qui pourrait nuire à votre réputation, ne cachez pas au moins ce qui pourrait servir la mienne. Que la bonté soit chez vous égale au talent; et quand vous êtes arrivé, daignez tendre la main à ceux qui marchent derrière vous !

Le Doct. Demain, Monsieur, vous êtes libre, nous nous séparerons. (A Guillaume qui entre.) Hé bien, cette voi

ture.

....

Guillaume. Elle est prête.

Le Doct. C'est bien heureux ! Vous porterez cette lettre à l'instant à l'hôtel de Nangis? Vous la remettrez à la marquise elle-même, entendez-vous? (à Ernest.) Adieu, Monsieur. (à part.) Un jeune homme qui me doit tout. . . . que j'ai fait ce qu'il est.....quelle ingratitude! (Il sort.) SCRIBE.-Né à Paris, en 1791.

....

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