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un mauvais coup; enfin de la croix de saint Lo, par laquelle je n'osais jurer sans vouloir garder mon serment, parce que j'aurais cru mourir dans l'année, si j'y avais manqué. Tout cela est fort ridicule.

Philippe. Tout cela n'est-il pas vrai?

taire ?

Louis. Vous pouviez n'en rien dire.

Philippe. Vous pouviez n'en rien faire.

Pouvais-je le

Louis. Mais cela était fait, et il ne fallait pas le dire. Philippe. Mais cela était fait, et je ne pouvais pas le cacher à la postérité.

Louis. Quoi! ne peut-on pas cacher certaines choses ?

Philippe. Et croyez-vous qu'un roi puisse être caché après sa mort, comme vous cachiez certaines intrigues pendant votre vie? Je n'aurais rien sauvé par mon silence, et je me serais déshonoré. Contentez-vous que je pouvais dire bien pis, et être cru; et je ne l'ai pas voulu fuire.

Louis. Quoi! l'histoire ne doit-elle pas respecter les rois ? Philippe. Les rois ne doivent-ils pas respecter l'histoire et la postérité, à la censure de laquelle ils ne peuvent échapper? Ceux qui veulent qu'on ne parle pas mal d'eux n'ont qu'une seule ressource, qui est de bien faire.

FÉNÉLOD.

LOUIS XI.*

HEUREUX Villageois, dansons:
Sautez, fillettes

Et garçons !

Unissez vos joyeux sons,
Musettes

Et chansons!

Notre vieux roi, caché dans ces tourelles,
Louis, dont nous parlons tout bas,
Veut essayer, au temps des fleurs nouvelles,
S'il peut sourire à nos ébats.

Quand sur nos bords on rit, on chante, on aime,
Louis se retient prisonnier.

* On sait que ce roi, retiré au Plessis-les-Tours, avec Tristan, confident et exécuteur de ses cruautés, voulait voir quelquefois les paysans danser devant les fenêtres de son château.

Il craint les grands, et le peuple, et Dieu même;
Surtout il craint son héritier.

Voyez d'ici briller cent hallebardes,
Aux feux d'un soleil pur et doux.
N'entend-on pas le Qui vive des gardes,
Qui se mêle au bruit des verroux?

Il vient! il vient! Ah! du plus humble chaume
Ce rqi peut envier la paix:

Le voyez-vous, comme un pâle fantôme,
A travers ces barreaux épais ?

Dans nos hameaux, quelle image brillante
Nous nous faisions d'un souverain!
Quoi! pour le sceptre une main défaillante!
Pour la couronne un front chagrin !

Malgré nos chants, il se trouble, il frissonne:
L'horloge a causé son effroi:

Ainsi toujours il prend l'heure qui sonne
Pour un signal de son beffroi.

Mais notre joie, hélas! le désespère ;

Il fuit avec son favori.

Craignons sa haine, et disons qu'en bon père
A ses enfants il a souri.

Heureux villageois, dansons:

Sautez, fillettes
Et garçons!

Unissez vos joyeux sons,
Musettes

Et chansons!

BÉRANGER.-Né vers la fin du siècle dernier.

MORT DE TURENNE.

LETTRE DE MME DE SÉVIGNÉ A M.

DE GRIGNAN. Paris, le 31 juillet 1675.

C'EST à vous que je m'adresse, mon cher comte, pour vous écrire une des plus fâcheuses pertes qui pussent arriver en France; c'est celle de M. de Turenne, dont je suis assurée que vous serez aussi touché et aussi désolé que nous le sommes

ici. Cette nouvelle arriva lundi à Versailles. Le roi en a été affligé, comme on doit l'être de la mort du plus grand capitaine et du plus honnête homme du monde. Toute la cour fut en larmes. On était prêt à aller se divertir à Fontainebleau; tout a été rompu. Jamais un homme n'a été regretté si sincèrement: tout ce quartier où il a logé, tout Paris, et tout le peuple, était dans le trouble et dans l'émotion; chacun parlait et s'attroupait pour regretter ce héros. Je vous envoie une très bonne relation de ce qu'il a fait quelques jours avant

sa mort.

66

M.

Il monta à cheval le samedi à deux heures, après avoir mangé, et comme il avait bien des gens avec lui, il les laissa tous à trente pas de la hauteur où il voulait aller, et dit au petit d'Elbeuf: "Mon neveu, demeurez là, vous ne faites que tourner autour de moi, vous me feriez reconnaître." d'Hamilton, qui se trouva près de l'endroit où il allait, lui dit : Monsieur, venez par ici; on tirera du côté où vous allez." "Monsieur, lui dit-il, vous avez raison; je ne veux point du tout être tué aujourd'hui, cela sera le mieux du monde." Il eut à peine tourné son cheval, qu'il aperçut Saint-Hilaire, le chapeau à la main, qui lui dit: "Monsieur, jetez les yeux sur cette batterie que je viens de faire placer là." M. de Turenne revint, et, dans l'instant, sans être arrêté, il eut le bras et le corps fracassés du même coup qui emporta le bras et la main qui tenait le chapeau de Saint-Hilaire. Ce gentilhomme, qui le regardait toujours, ne le voit point tomber; le cheval l'emporte où il avait laissé le petit d'Elbeuf; il était penché sur l'arçon: dans ce moment le cheval s'arrête; le héros tombe entre les bras de ses gens; il ouvre deux fois de grands yeux et la bouche, et demeure tranquille pour jamais : songez qu'il était mort, et qu'il avait une partie du cœur emportée. On crie, on pleure: M. d'Hamilton fait cesser ce bruit, et ôter le petit d'Elbeuf, qui s'était jeté sur ce corps, qui ne voulait pas le quitter, et qui se pâmait de crier. On couvre le corps d'un manteau; on le porte dans une haie: on le garde à petit bruit; un carrosse vient, on l'emporte dans sa tente. Ce fut là que M. de Lorge, M. de Roye, et beaucoup d'autres pensèrent mourir de douleur; mais il fallut se faire violence, et songer aux grandes affaires qu'on avait sur les bras. On lui a fait un service militaire dans le camp, où les larmes et les cris faisaient le véritable deuil: tous les offi. ciers avaient pourtant des écharpes de crêpe; tous les tambours en étaient couverts; ils ne battaient qu'un coup; les piques traînantes et les mousquets renversés; mais ces cris

de toute une armée ne peuvent pas se représenter sans que l'on n'en soit ému.

Écoutez, je vous prie, une chose qui est, à mon sens, fort belle: il me semble que je lis l'histoire romaine. Saint-Hilaire, lieutenant-général de l'artillerie, fit prier M. de Turenne, qui allait d'un autre côté, de se détourner un instant pour venir voir une batterie: c'était comme s'il eût dit: Monsieur, arrêtez-vous un peu, car c'est ici que vous devez être tué. Un coup de canon vient donc, et emporte le bras de Saint-Hilaire, qui montrait cette batterie, et tue M. de Turenne le fils de Saint-Hilaire se jette à son père, et se met à crier et à pleurer. Taisez-vous, mon enfant, lui dit-il, voyez (en lui montrant M. de Turenne raide mort), voilà ce qu'il faut pleurer éternellement, voilà ce qui est irréparable; et sans faire nulle attention sur lui, se met à crier et à pleurer cette grande perte.

DERNIERS TEMPS DE LA LIBERTÉ GRECQUE.

PAR BOSSUET.

[BOSSUET (Jacques-Bénigne), évêque de Meaux, né en 1627, mort en 1704, le plus éloquent des orateurs de la chaire française, est aussi un des plus grands historiens modernes. Chargé de l'éducation du Dauphin, fils de Louis XIV, il écrivit pour ce jeune prince un Discours sur l'histoire universelle, qui forme, avec ses Oraisons funèbres la principale base de sa réputation littéraire.]

Il ne fut pas mal-aisé aux Perses de dompter l'Asie mineure, et même les colonies grecques que la mollesse de l'Asie avait corrompues.

Mais quand ils vinrent à la Grèce même, ils trouvèrent ce qu'ils n'avaient jamais vu, une milice réglée, des chefs entendus, des soldats accoutumés à vivre de peu, des corps endurcis au travail, que la lutte et les autres exercices ordinaires dans ce pays rendaient adroits; des armées médiocres à la vérité, mais semblables à ces corps vigoureux où il semble que tout soit nerf, et où tout est plein d'esprits'; au reste si bien commandées et si souples aux ordres de leurs généraux, qu'on eût cru que les soldats n'avaient tous qu'une même âme, tant on voyait de concert dans leurs mouvements.

Mais ce que la Grèce avait de plus grand était une poli.

tique ferme et prévoyante, qui savait abandonner, hasarder et défendre, ce qu'il fallait ; et, ce qui est plus grand encore, un courage que l'amour de la liberté et celui de la patrie rendaient invincible.

Les Grecs, naturellement pleins d'esprit et de courage, avaient été cultivés de bonne heure par des rois et des colonies venues d'Égypte, qui, s'étant établies dans les premiers temps en divers endroits du pays, avaient répandu partout cette excellente police* des Égyptiens. C'est de là qu'ils

avaient appris les exercices du corps, la lutte, la course à cheval et sur des chariots, et les autres exercices, qu'ils portèrent à leur perfection par les glorieuses couronnes des jeux olympiques.

Mais ce que les Égyptiens leur avaient appris de meilleur était à se rendre dociles, et à se laisser former par les lois pour le bien public. Ce n'étaient pas des particuliers qui ne songent qu'à leurs affaires, et ne sentent les maux de l'état qu'autant qu'ils en souffrent eux-mêmes ou que le repos de leur famille en est troublé : les Grecs étaient instruits à se regarder et à regarder leur famille comme partie d'un plus grand corps, qui était le corps de l'état. Les pères élevaient leurs enfants dans cet esprit, et les enfants apprenaient dès le berceau à regarder la patrie comme une mère commune à qui ils appartenaient plus encore qu'à leurs parents. Le mot de civilité, ne signifiait pas seulement parmi les Grecs la douceur et la déférence mutuelle qui rend les hommes sociables: l'homme civil n'était autre chose qu'un bon citoyen qui se regarde toujours comme membre de l'état, qui se laisse conduire par les lois, et conspire avec elles au bien public, sans rien entreprendre sur personne. Les anciens rois que la Grèce avait eus en divers pays, un Minos, un Cécrops, un Thésée, un Codrus, un Témène, un Cresphonte, un Eurystène, un Patrocle, et les autres semblables, avaient répandu cet esprit dans toute la nation. Ils furent tous populaires, non point en flattant le peuple, mais en procurant son bien, et en faisant régner la loi.

Que dirai-je de la sévérité des jugements? Quel plus grave tribunal y eut-il jamais que celui de l'aréopage, si révéré dans toute la Grèce, qu'on disait que les dieux mêmes y avaient comparu? Il a été célèbre dès les premiers temps, et Cécrops apparemment l'avait fondé sur le modèle des tribunaux de l'Égypte. Aucune compagnie n'a conservé si

* Police signifiait alors institution politique.

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