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prime-abord* plus haut que Turenne, et à côté de Frédéric ; et la campagne de France en 1814, où, réduit à une poignée de soldats harassés, il combattait à un contre dix.

Napoléon possédait à un degré éminent les facultés du métier des armes: tempérant et robuste, veillant et dormant à volonté, paraissant à l'improviste où on l'attendait le moins, il ne dédaignait pas les détails auxquels se rattachent parfois des résultats importants. Souvent la main qui venait de tracer des règles pour le gouvernement de plusieurs millions d'hommes, rectifiait l'état de situation inexact d'un régiment, ou écrivait d'où l'on devait tirer deux cents conscrits, et dans quel magasin on prendrait leurs souliers. Interlocuteur patient et facile, il interrogeait à fond; il savait écouter, talent rare chez les grands de la terre. Il a porté dans les combats un courage froid et impassible; jamais esprit plus profondément méditatif ne fut plus fécond en illuminations rapides et soudaines. En devenant empereur, il ne cessa pas d'être soldat. Si, avec le progrès de l'âge, son activité diminua, c'est que les forces physiques étaient moindres.

Dans les jeux mêlés de calcul et de hasard, on court toujours des risques d'autant plus grands, qu'on veut obtenir de plus grands avantages. C'est là précisément ce qui rend si funeste aux nations la trompeuse science des conquérants. Napoléon, quoique naturellement aventureux, ne manquait ni de suite, ni de méthode, et n'usait ni ses soldats, ni ses trésors là où suffisait l'autorité de son nom. Ce qu'il pouvait obtenir par les négociations ou par la feinte, il ne le demandait pas à la force des armes. L'épée tirée du fourreau ne fut ensanglantée que lorsqu'il était impossible d'arriver au but par une manœuvre. Toujours prêt à combattre, habituellement il choisissait l'occasion et le terrain. Il a donné quarante batailles pour huit ou dix qu'il a reçues. D'autres généraux l'ont égalé dans l'art de disposer les troupes sur le terrain. Quelques-uns ont donné une bataille aussi bien que lui. On en citerait plusieurs qui l'ont mieux reçue. Il les a surpassés tous dans la manière de diriger une campagne offensive. Les guerres d'Espagne et de Russie ne prouvent rien contre son génie. Ce n'est pas avec les règles de Montécuculli et de Turenne manœuvrant sur la Renchen qu'il faut juger de telles entreprises. Les uns guerroyaient pour avoir tel ou tel quartier d'hiver; l'autre, pour conquérir le

* De prime-abord, locution adverbiale pour du ou au premier abord, signifie ici, subitement, tout d'un coup.

monde. Il lui fallait souvent mon pas seulement gagner une bataille, mais la gagner de telle façon qu'elle épouvantât l'Europe et amenât des résultats gigantesques. Ainsi les

vues politiques intervenaient sans cesse dans la génie stratégique, et pour l'apprécier tout entier, il ne faut pas se renfermer dans les limites de l'art de la guerre. Cet art ne se compose pas seulement de détails techniques, il a aussi sa philosophie. Pour trouver dans cette région élevée un rival à Napoléon, il faudrait remonter aux temps où les institutions féodales n'avaient pas encore rompu l'unité des nations antiques. Les seuls fondateurs de religion ont exercé sur leurs sectaires une autorité comparable à celle qui le rendit maître absolu de son armée. Cette puissance morale lui est devenue funeste pour avoir voulu s'en prévaloir, même contre l'ascendant de la force matérielle, et parce qu'elle l'a entraîné à mépriser des règles positives dont la longue violation ne reste pas impunie.

LE GÉNÉRAL FOY.-Né en 1775; mort en 1825.

LE MEUNIER DE SANS-SOUCI.

PAR ANDRIEUX.

L'HOMME est bien variable, et ces malheureux rois,
Dont on dit tant de mal, ont du bon quelquefois.
J'en conviendrai sans peine, et ferai mieux encore,
J'en citerai pour preuve un trait qui les honore.
Il est de ce héros, de Frédéric second,

Qui, tout roi qu'il était, fut un penseur profond,
Redouté de l'Autriche, envié de Versailles,
Cultivant les beaux-arts au sortir des batailles,
D'un royaume nouveau la gloire et le soutien,
Grand roi, bon philosophe, et fort mauvais chrétien.
Il voulait se construire un agréable asile,
Où, loin d'une étiquette arrogante et futile,
Il pût, non végéter, boire et courir des cerfs,
Mais des faibles humains méditer les travers;
Et, mêlant la sagesse à la plaisanterie,
Souper avec d'Argens, Voltaire, et Lamettrie.

Sur le riant coteau par le prince choisi,
S'élevait le moulin du meunier Sans-Souci.
Le vendeur de farine avait pour habitude
D'y vivre au jour le jour, exempt d'inquiétude;

Et, de quelque côté que vint souffler le vent,
Il y tournait son aile, et s'endormait content.

Fort bien achalandé, grâce à son caractère,
Le moulin prit le nom de son propriétaire;
Et des hameaux voisins, les filles, les garçons,
Allaient à Sans-Souci pour danser aux chansons.
Sans-Souci!...ce doux nom d'un favorable augure
Devait plaire aux amis des dogmes d'Epicure.
Frédéric le trouva conforme à ses projets,
Et du nom d'un moulin honora son palais.

Hélas! est-ce une loi sur notre pauvre terre
Que toujours deux voisins auront entre eux la guerre,
Que la soif d'envahir et d'étendre ses droits
Tourmentera toujours les meuniers et les rois ?
En cette occasion le roi fut le moins sage;

Il lorgna du voisin le modeste héritage.

On avait fait des plans, fort beaux sur le papier,
Où le chétif enclos se perdait tout entier.
Il fallait, sans cela, renoncer à la vue,
Rétrécir les jardins, et masquer l'avenue.

Des bâtiments royaux l'ordinaire intendant

Fit venir le meunier, et, d'un ton important:

"Il nous faut ton moulin; que veux-tu qu'on t'en donne ?
Rien du tout; car j'entends ne le vendre à personne.
Il vous faut, est fort bon...mon moulin est à moi...
Tout aussi bien, au moins, que la Prusse est au roi.
Allons, ton dernier mot, bon homme, et prends-y garde.
Faut-il vous parler clair ?-Oui.-C'est que je le garde
Voilà mon dernier mot." Ce refus effronté
Avec un grand scandale au prince est raconté.
Il mande auprès de lui le meunier indocile ;
Presse, flatte, promet: ce fut peine inutile,
Sans-Souci s'obstinait. "Entendez la raison,
Sire, je ne peux pas vous vendre ma maison:

Mon vieux père y mourut, mon fils y vient de naître ;
C'est mon Potsdam, à moi. Je suis tranchant peut-être :
Ne l'êtes-vous jamais? Tenez, mille ducats,
Au bout de vos discours, ne me tenteraient pas.
Il faut vous en passer, je l'ai dit, j'y persiste."
Les rois malaisément souffrent qu'on leur résiste.
Frédéric un moment par l'humeur emporté :
"Parbleu! de ton moulin c'est bien être entêté ;
Je suis bon de vouloir t'engager à le vendre :
Sais-tu que sans payer je pourrais bien le prendre?

Je suis le maître.-Vous!...de prendre mon moulin ?
Oui, si nous n'avions pas des juges à Berlin."

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Le monarque, à ce mot, revient de son caprice. Charmé que sous son règne on crût à la justice, Il rit, et se tournant vers quelques courtisans: "Ma foi, messieurs, je crois qu'il faut changer nos plans. Voisin, garde ton bien; j'aime fort ta réplique.' Qu'aurait-on fait de mieux dans une république ? Le plus sûr est pourtant de ne pas s'y fier: Ce même Frédéric, juste envers un meunier, Se permit maintefois telle autre fantaisie: Témoin ce certain jour qu'il prit la Silésie ; Qu'à peine sur le trône, avide de lauriers, Epris du vain renom qui séduit les guerriers, Il mit l'Europe en feu. Ce sont là jeux de prince: On respecte un moulin, on vole une province.

LETTRE DE VOLTAIRE À MME DENIS, SA NIÈCE.

Potsdam, le 13 octobre 1750.

Nous voilà dans la retraite de Potsdam: le tumulte des fêtes est passé, mon âme en est plus à son aise. Je ne suis pas fâché de me trouver auprès d'un roi qui n'a ni cour ni conseil. Il est vrai que Potsdam est habité par des moustaches et des bonnets de grenadier; mais, Dieu merci, je ne les vois point. Je travaille paisiblement dans mon appartement au son du tambour. Je me suis retranché les dîners du roi ; il y a trop de généraux et trop de princes. Je ne pouvais m'accoutumer à être toujours vis-à-vis d'un roi en cérémonie, et à parler en public. Je soupe avec lui en plus petite compagnie. Le souper est plus court, plus gai, et plus sain. Je mourrais au bout de trois mois, de chagrin et d'indigestion, s'il fallait dîner tous les jours avec un roi en public.

On m'a cédé, ma chère enfant, en bonne forme, au roi de Prusse. Mon mariage est donc fait; sera-t-il heureux? je n'en sais rien. Je n'ai pas pu m'empêcher de dire oui. Il fallait bien finir par ce mariage, après des coquetteries de tant d'années. Le cœur m'a palpité à l'autel. Je compte venir, cet hiver prochain, vous rendre compte de tout, et peut-être vous enlever. Il n'est plus question de mon voyage d'Italie. Je vous ai sacrifié sans remords le saint-père et la ville souveraine; j'aurais dû peut-être vous sacrifier Potsdam. Qui

m'aurait dit, il y a sept ou huit mois, quand j'arrangeais ma maison avec vous à Paris, que je m'établirais à trois cents lieues dans la maison d'un autre ? et cet autre est un maître. Il m'a bien juré que je ne m'en repentirais pas. Il vous a comprise, ma chère enfant, dans une espèce de contrat qu'il a signé avec moi, et que je vous enverrai; mais viendrezvous gagner votre douaire de quatre mille livres ?

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Il est plaisant que les mêmes gens de lettres de Paris qui auraient voulu m'exterminer il y a un an, crient actuellement contre mon éloignement, et l'appellent désertion. qu'on soit fâché d'avoir perdu sa victime.

Il semble

J'ai très mal fait

de vous quitter; mon cœur me le dit tous les jours plus que vous ne pensez; mais j'ai très bien fait de m'éloigner de ces messieurs-là.

Je vous embrasse avec tendresse et avec douleur

LE ROI ALPHONSE.

CERTAIN roi qui régnait sur les rives du Tage,
Et que l'on surnomma le Sage,
Non parce qu'il était prudent,
Mais parce qu'il était savant,

Alphonse fut surtout un habile astronome;
Il connaissait le ciel bien mieux que son royaume,
Et quittait souvent son conseil
Pour la lune ou pour le soleil.

Un soir qu'il retournait à son observatoire,
Entouré de ses courtisans,

Mes amis, disait-il, enfin j'ai lieu de croire
Qu'avec mes nouveaux instruments
Je verrai cette nuit des hommes dans la lune.
Votre majesté les verra,

Répondait-on; la chose est même trop commune:
Elle doit voir mieux* que cela.

Pendant tous ces discours, un pauvre, dans la rue,
S'approche, en demandant humblement, chapeau bas,
Quelques maravédis; le roi ne l'entend pas,

Et sans le regarder son chemin continue.†

*Mieux, pour quelque chose de mieux.
t Inversion inusitée.

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