Images de page
PDF
ePub

l'aviez affurée que le Roi n'avoit point d'averfion pour moi. Cela m'a touché vivement, & d'autant plus que je m'en fuis, toujours flaté dans ma difgrace. J'ai cru que Sa Majefté n'avoit haï en moi que la mauvaise conduite que j'avois eue autre fois. Et je vous le dis franchement, Monfieur, cette pensée ma confervé les fentimens de refpect & de zele pour fon incomparable perfonne, que j'ai toûjours eus, & que j'aurai toute ma vie. Je fuis trop heureux d'être perfuadé qu'il ne me hait pas autrement je craindrois que cette averfion ne donnât quelque atteinte à la refpectueu fe tendreffe que j'ai dans le cœur pour Sa Majefté: car enfin il eft bien mal-aifé d'aimer toujours ceux qui nous haïffent. Un des plus grands malheurs des malheureux, Monfieur, c'eft de n'être pas crus finceres, quand ils témoignent de l'amitié à ceux qui leur font du mal, & qui les en peuvent délivrer. On croit toujours que c'eft leur interêt qui les fait agir ou parler; cependant il eft certain qu'il y a bien des rencontres où c'eft la verité. S'il y a un homme qui doive croire aifément qu'on l'aime, c'est le Roi. S'il y a un malheureux de qui il doive croire être aimé, c'eft moi; car il sçait bien que je ne fuis pas

fans efprit, & même que le mérite me touche plus que l'éclat de toutes les Couronnes. D'ailleurs il a pu voir par la conduite que j'ai eue dans ma difgrace que je me faifois juftice; & il eft certain que je fui perfuadé que Sa Majefté la devoit fur mon fujet au public & aux intereffez: mais je commence à croire que s'il fe radouciffoit fur moi, il contenteroit les gens qui ont de la raifon, il feroit une action de clemence qui eft taujours belle à faire à un grand Prince, & il auroit quelque reconnoiffance de tous les fentimens que j'ai dans le cœur pour lui, & de beaucoup de fervices qui n'ont jamais eu de récompense.

Je me fuis un peu étendu fur cette matiere, parce que c'eft cela que j'ai le plus à cœur, & j'ai été bien-aife d'avoir à la traiter avec vous, Monfieur, dont la raison & la vertu me paroiffent au deffus de celles de la plupart des autres hommes.

CXXII. LETTRE. De Madame de Sc... au Comte de Buffy.

J

A Paris, ce 3. May 1675.

Ar eu la fiévre ces jours paffez, & cela

ne m'a pas guérie de mon mal de côté

[ocr errors]

Je remarque que le chagrin & la maladie font prefque toujours enfemble. Je met laifle accabler du mien ; & il faut vous avouer que mes maux deviennent plus grands que nton courage. Comme j'étois ee matin chez Madame de M**, on lui a apporté vôtre lettre. Elle en a pleuré de tendreffe; elle m'en a paru avoir une extrême reconnoiffance: enfin vôtre honnêteté l'a enchantée, auffi a-t-elle fait moi qui n'y ai pas un fi' grand interêt. J'aimet que mes amis foient honnêtes gens, & qu'ils le paroiffent ; & je vous affure que vôtre generofité m'a fait un plaifir fenfia ble: il faut avoir le meilleur & le plus genereux cœur du monde pour en ufer ainfi. En verité, Monfieur, vous êtes un fort honnête homme, & je fuis ravie que vous en ayez donné cette derniere preuve. Je prens un fi grand interêt à vôtre gloi re, que j'ai de la vanité à cette action prefqu'autant que fi je l'avois faite.

CXXIII. LETTRE.

Réponse du Comte de Buffy à Madame de Sc...

J

A Chafeu, ce 6. May 1675.

E n'ai point fçu vôtre maladie, Madame. Je vous plains fort, mais j'aime rois mieux vous guérir. Cependant bon courage. Dieu, vôtre gloire & vôtre fanté vous demandent cela auffi-bien que moi. Je fuis bien-aife que Madame de M** soit contente de mon cœur. Quoique mon hon nêteté pour elle foit fort naturelle, & que j'euffe de la peine à m'empêcher d'en avoir, je ferois fâché qu'elle fût ingrate

CXXIV. LETTRE.

Du Comte de Buffy à Madame de M...

A Chafeu, ce 6. May 1671.

[ocr errors]

Ous avez raison, Madame, de croire que j'agiffois contre mon naturel, quand j'ai eu du chagrin contre vous ; mais enfin cela eft paffé, & il ne reviendra jamais car vous m'avez réduit à vou

loir ce que vous avez voulu, & je n'ai plus pour vous que la plus tendre amitié du monde.

Au refte, Madame, je me réjouis que le Roi vous ait confervé la penfion de feu Monfieur vôtre mari. Cette action du Roi me paroît d'un tres- honnête homme. Il faut efperer en Dieu, il ne nous abandonnera pas. C'a été ma reffource dans tous les maux qu'on m'a faits ; & quoiqu'il ne m'en ait pas tiré, il m'a donné la force de les foûtenir fans foibleffe, & il me donnera affurément les moyens d'aller jufqu'au bout en homme de ma qualité, de mon rang, & de mon courage. Vous n'êtes guéres plus heureufe que moi, Madame, mais vous avez de l'efprit: il dépend de vous d'avoir du repos en dépit de la fortune. Reglez-vous fur ce que vous avez. A un certain âge il eft bien-féant de fe retrancher de mille dépenfes, quand la néceffité n'y obligeroit pas, c'est-à-dire, quand on les pourroit faire aifément. Voila comme j'ai fait. Cependant je me trouve obligé de faire cette année plus que je ne puis: mais Dieu m'aidera ; & pour moi je m'aide fort. Vous, Madame, qui êtes ma bonne amie, ferez ce que vous pourrez pour m'affifter. Je vous en conjure de tous

« PrécédentContinuer »