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manifesta par un acte opposé à la défense; donc il y avait une disposition antérieure à commettre ce fait; il y eut une action volontaire conforme à cette disposition. La faute n'est pas dans l'action envisagée en elle-même; car, sans l'interdiction, l'acte de manger du fruit de cet arbre aurait été semblable à l'acte de manger de tous les autres; le désir seul ne peut constituer le crime; car on est d'accord que la victoire sur une tentation est vertueuse et louable. La faute commença lorsqu'Adam commença à former le projet de désobéir; on doit donc convenir qu'avant sa chute Adam n'était pas au-dessus des tentations, et il est sûr qu'il était déjà coupable et dépravé au moment où il se fut résolu à exécuter sa désobéissance; l'action en elle-même prouvait qu’Adam n’avait pas eu la force de résister à la tentation; et l'on est forcé d'accorder que, si au moment où il allait accomplir sa faute, Dieu l'en eût empêché d'une manière quelconque, mais avec autorité, Adam aurait été aussi coupable aux yeux de son juge, que s'il eût accompli de fait șa désobéissance, comme il le désirait librement et dans son cœur.

le

Si ce raisonnement est fondé, qu'est-ce qu'il prouve et qu'avons-nous à en conclure? C'est que premier homme a été créé semblable à nous, et qu'il était avant sa faute ce que nous sommes, nous, actuellement; car ce qui nous rend coupables et sujets à la condamnation, c'est de nourrir des désirs défendus auxquels nous cédons. Adam et Ève ont été exposés comme nous à des tentations, et ils se sont

laissé vaincre par elle, comme cela nous arrive trop

souvent.

Nous ne pouvons pas admettre que la cause première de notre misère ait été une mauvaise disposition que la tentation ait fait glisser dans leur ame, ou que cette disposition les ait changés au point de leur faire donner le jour à une race entière différente de la nature qu'ils avaient primitivement reçue du Tout-Puissant. On sait que des parents lèguent à leurs enfants un penchant à la colère, à l'obstination, à l'avarice, quoiqu'il y ait souvent des exemples diamétralement contraires; mais on ne peut comprendre qu'un penchant unique ait subitement prédisposé toutes les générations humaines à tous les mauváis penchants, quelque opposés qu'ils soient entre eux, la prodigalité et l'avarice, par exemple. Le péché d'Adam a consisté dans la violation libre et volontaire d'une défense; nous sommes dans la même position, les tentations et notre volonté nous disposent au mal ou au bien, et ce n'est pas à un fruit mangé que nous devons cela, c'est à notre constitution morale: Adam a été créé semblable à nous.

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Si cela n'était pas, il faudrait que la faute du premier homme eût dépravé les ames de tous ses enfants; or, que l'ame se lie au corps à un moment quelconque de son existence, ou qu'elle soit sa contemporaine, on ne sait comment cette dépravation héréditaire peut avoir lieu.

Si l'ame sort des mains de Dieu, elle doit étre pure comme celle du premier homme au moment

de sa naissance; peut-on lui imputer un crime avant qu'elle ait eu une volonté, qu'elle ait fait ou pu faire quelque chose? Cette supposition est incompatible avec la justice divine.

On dit gravement que les ames ont péché par imputation; mais s'il est un acte qui doive être personnel et propre à son auteur, c'est le péché. Celui qui aurait imputé une faute à un innocent, et qui l'aurait puni comme coupable, serait-il le Dieu de l'Évangile ? L'ame de l'homme trahit de bonne heure du penchant pour le mal, c'est vrai; mais elle montre aussi du penchant pour le bien : conclure de ce second fait que notre nature est parfaite, serait aller au-delà des prémisses; conclure du premier qu'elle est corrompue jusqu'au fond, c'est également mal raisonner. La seule conséquence qui me paraisse admissible, c'est qu'aussi long-temps que l'ame n'a pas agi, elle ne mérite ni peine, ni récompense. Nous nions que le genre humain ait été altéré et dépravé par la faute du premier homme.

SV. Est-il vrai que les hommes aient été condamnés, comme Adam et en Adam, aux misères de la vie et à la mort physique?

C'est une hypothèse dont l'Écriture ne parle pas et que dément la nature des choses. La plupart des maux dérivent nécessairement de la constitution même de notre nature; les sources du plaisir devienrent souvent des causes de douleur; l'homme est affecté d'impressions extérieures qui, quelquefois, en

tretiennent sa santé, et qui lui causent dans d'autres circonstances des maladies ou la mort. L'homme doit même quelques-unes de ses misères à la délicatesse de sa nature et à la supériorité de son organisation; la mémoire et la prévision tourmentent prodigieusement les hommes. Serait-ce la faute d'Adam qui aurait créé ces maux et qui aurait altéré la nature des choses? Cela n'est point enseigné, et ce n'est guère vraisemblable.

Réfléchit-on bien aux conséquences de la thèse que

l'on

pose en assurant que sans Adam nous n'eussions pas été, comme nous le sommes, exposés aux acci-, dents et aux revers? c'est-à-dire que l'homme n'aurait pas chaud ou froid, soif ou faim, que le fer n'aurait pu couper ou endommager nos membres, que le feu ne nous aurait pas brûlés, qu'une chute lourde ne nous eût pas estropiés ou fait périr, que les poisons n'auraient pas abrégé notre existence, ou qu'il n'y en eût point eu; que les insectes ne nous auraient pas piqués, que les bêtes féroces ne nous auraient pas dévorés; en un mot, que toutes les conséquences de ce que nous voyons aujourd'hui seraient absolument différentes. Je me rappelle ici, dans de mauvaises gravures représentant le jardin d'Éden, le premier homme et sa femme que l'on nous peint environnés, avant leur chute, de lions à grandes crinières et de tigres énormes qui viennent lécher leurs pieds et reconnaître leur empire; tout cela est bon pour une imagination qui se joue, et qui invente des contrastes et d'agréables chimères; mais ces poëmes ne

sont plus de saison quand il s'agit d'examiner sérieusement des questions que l'on fait importantes par les effets qu'on leur attribue.

Pense-t-on qu'alors comme à présent le lion ne rugît pas de faim ou de colère, que le tigre n'aimât pas à se baigner dans le sang, que les oiseaux de proie ne se nourrissent pas de leurs faibles victimes, que le chat vécût en paix avec la souris, que les instincts et les organes fussent tout autres qu'ils ne le sont devenus au moment où l'homme, abusant de sa liberté, désobéit à son bienfaiteur? Je n'insiste pas sur ces idées : les énoncer, c'est en faire justice.

Mais au moins, nous dit-on, la mort physique est entrée dans le monde au moment du péché; Adam et ses enfants ne seraient pas morts sans la faute commise en Éden; ils auraient vécu immortels sur la terre, ou ils auraient été, comme Hénoch, transportés vivants dans les cieux. Je réponds que cela n'est point vraisemblable, et que ce n'est pas enseigné :

1o Le corps de l'homme et celui des animaux est si fragile, qu'il n'aurait pu, sans précautions continuelles et sans miracles, se préserver contre une multitude d'accidents; d'ailleurs, même dans cette hypothèse, la vieillesse seule eût mis fin à la vie de l'homme; les gens de l'art nous apprennent que le corps humain s'ossifie par le seul fait de l'existence, que les fluides ne coulent plus dans des canaux obstrués, et que les fonctions animales cessent naturellement au bout d'une longue vie. Adam avait un corps différent, dit-on, il vivait plus long-temps que

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