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se servir des sens pour donner entrée à la foi, tant s'en faut que la foi détruise la certitude de nos sens, que ce serait au contraire détruire la foi que de révoquer en doute le rapport fidèle des sens. Cette règle est si sûre et si générale que, lorsque l'Ecriture nous présente deux significations, dont l'une littérale se trouve contraire à ce que les sens et la raison reconnaissent avec certitude, il ne faut pas prétendre les désavouer pour se soumettre à ce sens apparent de l'Ecriture, mais il faut interpréter l'Ecriture pour y trouver un sens qui s'accorde avec cette vérité sensible, parce que la parole de Dieu étant infaillible dans les faits mêmes, et le rapport des sens agissant dans leur étendue étant certain aussi, il faut que ces vérités s'accordent. Or comme l'Ecriture se peut interpréter en des manières différentes, au lieu que le rapport des sens est unique, on doit, en ces matières, prendre pour le véritable sens de l'Ecriture celui qui convient avec le rapport fidèle des sens. Si l'on en usait autrement, ce ne serait pas rendre l'Ecriture vénérable, mais ce serait l'exposer au mépris des infidèles et leur fermer l'entrée de l'Église, car les choses de fait ne s'apprennent que par les sens. »

Malheureusement Pascal lui-même n'a pas été toujours conséquent avec ses principes; ils n'en sont pas moins incontestables, et tout le monde sait qu'au commencement du 18me siècle Bayle porta de grands coups au Christianisme, en prenant pour les vérités du Christianisme les dogmes de Calvin, que

les canons du synode de Dordrecht avaient consacrés. Quand on attaque aussi vivement la raison, il faut bien se soumettre à en subir les conséquences.

Ce sont les excès que je combats qui ont donné lieu à de sérieuses attaques de la part des Pyrrhoniens; on leur avait prêté le flanc de manière à ce qu'ils ne perdissent pas l'occasion de frapper. Montaigne se moque des Chrétiens en ayant l'air de les louer (Essais, liv. 11, ch. x11). «C'est aux Chrétiens. une occasion de croire que de rencontrer une chose incroyable, elle est d'autant plus selon la raison qu'elle est contre l'humaine raison; si elle était selon la raison, ce ne serait plus miracle, et si elle était selon quelque exemple, ce ne serait plus chose singulière. »

Bayle aurait dû dire: C'est pour quelques Chrétiens une occasion de croire, non pour les Chrétiens.

Avant de donner les règles que l'on doit suivre afin de garder un juste milieu dans cette matière, je vais montrer les conséquences opposées des principes de la raison et de l'autorité, et j'appuierai mes raisonnements par des exemples.

§ III. Résultats opposés des deux principes, la raison et l'autorité.

Moi qui suis partisan de l'usage de la raison, et par cela même de l'examen et des conséquences qui en résultent, j'ouvre les Évangiles, je les lis, je les étudie, et je réfléchis sur cette lecture. Il est d'abord un fait qui me frappe, c'est la clarté d'un grand

nombre de passages et l'obscurité de quelques autres. Il est des enseignements remarquablement clairs, que les personnes les moins instruites comprennent immédiatement et sans peine, comme l'envoi de Jésus sur la terre, la vie éternelle promise à ceux qui croiront en Jésus-Christ et qui obéiront à ses préceptes. Il n'est aucun lecteur en son bon sens, et doué de bonne foi, qui ne reconnaisse, après avoir lu le Nouveau Testament, que les deux articles que je viens de rappeler y sont contenus et enseignés. D'autre part, il y des phrases figurées, difficiles et embarrassées, dont les théologiens s'emparent, et sur lesquelles les uns fondent des vérités qu'ils disent nécessaires pour être sauvés, tandis que les autres prétendent que non-seulement ces passages n'offrent pas ce sens à leur esprit, mais qu'ils en présentent un tout contraire qui exclut l'interprétation de leurs collègues. Quelques théologiens mettent à ces vérités contestées une telle importance, qu'ils ont imaginé, pour en parler, des termes qu'on ne trouve pas dans l'Écriture, et qu'ils ont composé de gros volumes très-difficiles à comprendre. Tout ce travail serait inutile si l'Esprit Saint, c'est-à-dire Dieu, qui est l'auteur de la Révélation, avait enseigné lui-même et consigné clairement dans les saints livres ces dogmes que l'on prétend y découvrir.

Je constate ce fait, et je me crois fondé à en faire découler une conséquence qui deviendra un principe important: c'est que le Chrétien n'est tenu d'embrasser comme vérité révélée, comme article de foi, que

ce qu'il voit clairement enseigné dans l'Ecriture. Il ne peut être obligé de croire que ce qu'il sait que Dieu a révélé: il ne s'en assure que lofqu'il le voit dans les saints livres directement annoncé; autrement il faudrait prouver ou que tout est obscur dans les saints livres, ou qu'il est des vérités que l'on doit admettre sans que l'Ecriture les contienne avec clarté.

L'Évangile nous a été donné pour nous conduire au salut; Dieu qui est juste ne nous jugera que sur les lumières qu'il nous aura données. Or ces articles mystérieux et obscurs au point que les experts eux-mêmes sont loin de s'entendre, et qu'ils arrivent souvent à des conclusions opposées et même contradictoires, comment le simple peuple ignorant, accablé d'affaires matérielles souvent absorbantes et pénibles, saura-t-il qui a raison ou qui a tort? Il le faudrait cependant si ces points étaient importants; mais le pourra-t-il quand les gens du métier ont de la peine à poser l'état de la question et à distinguer exactement en quoi les contestants ne s'accordent pas entre eux? Toutefois, il y a loin de là à la solution de ces difficultés. Admettez, pour un moment avec quelques personnes, que la foi et le salut dépendent de l'opinion que l'on attache à ces points obscurs et controversés, que deviendront les gens sans étude, qui ne saisissent pas même le sens des termes que l'on emploie dans la dispute? Les uns disent: Dieu a révélé tel ou tel dogme; il a enseigné la Trinité. Dieu ne l'a point révélée disent les autres, elle est exclue au contraire par des enseignements

clairs et précis. Voilà un dissentiment formel! Quelle conséquence tirerons-nous de ce fait; il y a dans l'Écriture des passages clairs que tous les Chrétiens interprètent de même, et il en est d'obscurs auxquels bon nombre d'entre eux ne peuvent rien comprendre? Conclurons-nous avec les Calvinistes, les Méthodistes et les Catholiques-Romains que ces gensci sont damnés? à Dieu ne plaise! car avec cette manière de voir, que pourrions-nous penser de l'auteur de cette révélation, père et bienfaiteur des hommes ? Il aurait fait dépendre le salut de la solution d'idées énigmatiques et inexplicables pour des gens bien intentionnés; c'est impossible; et je déduis du fait que j'ai signalé une toute autre conséquence, bien plus en harmonie avec l'idée d'un Dieu qui donne une révélation, et avec l'idée de cette révélation adaptée à ceux auxquels un Dieu bon la destine: « c'est que les articles obscurs ne sont pas nécessaires au salut, et que les vérités essentielles doivent être enseignées en termes clairs et précis, de telle sorte que tout Chrétien de bonne foi qui conserve son bon sens et qui attache du prix à sa religion, puisse se convaincre par lui-même de la réalité de ces enseignements. »

Une fois ce principe posé, que devra faire le Chrétien qui lit la Bible? Il devra mettre toute son attention à découvrir le sens des passages de l'Écriture, et quand il sera bien persuadé que telle et telle chose est enseignée, il devra l'admettre et croire ces passages dans ce sens; autrement il ne se soumet

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