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Ascagne va par vous recevoir le trépas1:
Mais il veut bien mourir, si sa mort nécessaire
Peut avoir maintenant de quoi vous satisfaire,
En vous donnant pour femme, en présence de tous,
Celle qui justement ne peut être qu'à vous.

VALÈRE.

Non, quand toute la terre, après sa perfidie
Et les traits effrontés...

ASCAGNE.

Ah! souffrez que je die,

Valère, que le cœur qui vous est engagé

D'aucun crime envers vous ne peut être chargé;
Sa flamme est toujours pure et sa constance extrême,
Et j'en prends à témoin votre père lui-même.

POLIDORE.

Oui, mon fils, c'est assez rire de ta fureur,
Et je vois qu'il est temps de te tirer d'erreur.
Celle à qui par serment ton ame est attachée,
Sous l'habit que tu vois à tes yeux est cachée;
Un intérêt de bien, dès ses plus jeunes ans,
Fit ce déguisement qui trompe tant de gens;
Et, depuis peu, l'amour en a su faire un autre,
Qui t'abusa, joignant leur famille à la nôtre.›
Ne va point regarder à tout le monde aux yeux;
Je te fais maintenant un discours sérieux.

Oui, c'est elle, en un mot, dont l'adresse subtile,
La nuit, reçut ta foi sous le nom de Lucile,
Et qui, par ce ressort qu'on ne comprenoit pas,
A semé parmi vous un si grand embarras.
Mais, puisque Ascagne ici fait place à Dorothée,
Il faut voir de vos feux toute imposture ôtée,
Et qu'un noeud plus sacré donne force au premier.

ALBERT.

Et c'est là justement ce combat singulier

Qui devoit envers nous réparer votre offense,
Et pour qui les édits n'ont point fait de défense.

POLIDORE.

Un tel événement rend tes esprits confus:
Mais en vain tu voudrois balancer là-dessus.

VAR. Ascagne va pour vous recevoir le trépas.

VALÈRE.

Non, non, je ne veux pas songer à m'en défendre,
Et si cette aventure à lieu de me surprendre,
La surprise me flatte, et je me sens saisir

De merveille1 à la fois, d'amour et de plaisir.
Se peut-il que ces yeux...?

ALBERT.

Cet habit, cher Valère,

Souffre mal les discours que vous lui pourriez faire.
Allons lui faire en prendre un autre, et cependant
Vous saurez le détail de tout cet incident.

VALÈRE.

Vous, Lucile, pardon, si mon ame abusée...

LUCILE.

L'oubli de cette injure est une chose aisée.

ALBERT.

Allons, ce compliment se fera bien chez nous,
Et nous aurons loisir de nous en faire tous.

ÉRASTE.

Mais vous ne songez pas, en tenant ce langage,
Qu'il reste encore ici des sujets de carnage.
Voilà bien à tous deux notre amour couronné;
Mais de son Mascarille et de mon Gros-René,
Par qui doit Marinette être ici possédée?
Il faut que par le sang l'affaire soit vidée.

MASCARILLE.

Nenni, nenni, mon sang dans mon corps sied trop bien:
Qu'il l'épouse en repos, cela ne me fait rien.
De l'humeur que je sais la chère Marinette,
L'hymen ne ferme pas la porte à la fleurette.

MARINETTE.

Et tu crois que de toi je ferois mon galant?
Un mari, passe encor; tel qu'il est, on le prend;
On n'y va pas chercher tant de cérémonie :
Mais il faut qu'un galant soit fait à faire envie.
GROS-RENÉ.

Écoute quand l'hymen aura joint nos deux peaux,
Je prétends qu'on soit sourde à tous les damoiseaux.

'Merveille dans le sens d'admiration, étonnement.

MASCARILLE.

Tu crois te marier pour toi tout seul, compère?

GROS-RENÉ.

Bien entendu je veux une femme sévère,

Ou je ferai beau bruit.

MASCARILLE.

Hé mon Dieu! tu feras

Comme les autres font, et tu t'adouciras.

Ces gens, avant l'hymen, si fâcheux et critiques,
Dégénèrent souvent en maris pacifiques.

MARINETTE.

Va, va, petit mari, ne crains rien de ma foi;
Les douceurs ne feront que blanchir contre moi;
Et je te dirai tout.

MASCARILLE.

O la fine pratique!

Un mari confident!

MARINETTE.

Taisez-vous, as de pique 1.

ᎪᏞᏴᎬᎡᎢ .

Pour la troisième fois, allons-nous-en chez nous

Poursuivre en liberté des entretiens si doux.

'Mauvaise langue, langue piquante. Jeu de mots sur le sens figuré du verbe piquer.

(F, Génin.)

FIN DU LEPIT AMOUREUX.

COMÉDIE EN UN ACTE.

NOTICE.

On sait que dans les premières années du règne de Louis XIII, uue femme aimable et spirituelle, Catherine de Vivonne, épouse du marquis de Rambouillet, ouvrit dans son hôtel, à Paris, un cercle qui fut assidûment fréquenté par les femmes de la noblesse, les gens de cour et les gens de lettres. Ce cercle, semimondain, semi-littéraire, qui devait exercer sur la société et le langage du dix-septième siècle une si grande influence, compta successivement ou tour à tour parmi ses hôtes les plus assidus, Voiture, Balzac, Segrais, la Rochefoucauld, Condé, Corneille, Pascal, Bossuet, Cotin et Chapelain, c'est-à-dire des hommes d'esprit, des hommes de génie, de beaux esprits et quelques sots. Par malheur, encouragés par la réserve de ceux qui leur étaient supérieurs, les beaux esprits prirent le haut pas, donnèrent le ton, et exercèrent autour d'eux la dictature du pédantisme. Les femmes, toujours trop promptes à se laisser séduire par l'afféterie, rivalisèrent avec les hommes; et de ridicule en ridicule, tous, hommes ou femmes, en arrivèrent bientôt à vouloir réformer, en les raffinant, les sentiments et le langage.

«Ils laissoient au vulgaire, dit la Bruyère, l'art de parler » d'une manière intelligible. Une chose dite entre eux peu clai>>>rement en entraînoit une autre encore plus obscure, sur la>> quelle on enchérissoit par de vraies énigmes, toujours suivies » de longs applaudissements. Par tout ce qu'ils appeloient déli>> catesse, sentiments, et finesse d'expression, ils étoient enfin » parvenus à n'être plus entendus, et à ne s'entendre pas eux» mêmes. Il ne falloit, pour servir à ces entretiens, ni bon >> sens, ni mémoire, ni la moindre capacité; il falloit de l'esprit, » non pas du meilleur, mais de celui qui est faux, et où l'ima>> gination a trop de part. »

Les femmes qui brillaient dans cette société si bien définie par la Bruyère, et qu'on désigna sous le nom de précieuses, donnèrent le ton à la cour, à la haute société parisienne, et à la

province elle-même. Irréprochables sous le rapport des mœurs, les précieuses acquirent une très-grande considération; elles devinrent les arbitres suprêmes du bon ton et du bon langage; et l'une des plus célèbres d'entre elles, madame de Rambouillet, reçut du haut de la chaire catholique un solennel hommage. «Souvenez-vous, dit Fléchier, dans l'oraison funèbre de l'abbesse d'Hyères; souvenez-vous, mes frères, de ces cabinets que l'on regarde encore avec tant de vénération, où l'esprit se purifioit, où la vertu étoit révérée sous le nom de l'incomparable Arthenice (madame de Rambouillet), où se rendoient tant de personnages de qualité et de mérite qui composoient une cour choisie, nombreuse sans confusion, modeste sans contrainte, savante sans orgueil, polie sans affectation. >>

Attaquer la sentimentalité romanesque des précieuses, ridiculiser leur afféterie et celle des gens de lettres qui s'étaient faits leurs courtisans, c'était donc, de la part de Molière, non-seulement un acte de haute raison et de bon goût, mais encore un acte de courage, puisqu'il s'en prenait d'une part à des écrivains qui jouissaient d'une grande faveur, et de l'autre à des femmes à qui leur position sociale assurait un grand crédit. Aussi, pour atténuer ce qu'il y avait de téméraire dans sa critique, Molière eut-il soin, dans le titre de sa pièce, d'ajouter au mot précieuses l'épithète ridicules, donnant de la sorte à entendre qu'il faisait deux catégories; qu'il acceptait, avec le public de son temps, le nom de précieuse, comme honorable pour une femme, lorsqu'il impliquait, suivant la remarque de Geoffroy, l'idée d'une noble fierté, la délicatesse du sentiment, la finesse de l'esprit, et l'instruction; mais qu'il le vouait à l'ironie et aux sarcasmes de la foule, lorsqu'il ne représentait que l'exagération de la pruderie, l'hypocrisie de la délicatesse, et la vanité du bel esprit. Cette habile distinction, qui mettait pour ainsi dire l'auteur à couvert vis-à-vis de la bonne compagnie, n'affaiblissait en rien la portée satirique de la pièce ; car en exagérant chez de simples bourgeoises l'entètement des prétentions litté raires, les visions romanesques et la fatuité du langage, il frappait à la fois, dans ce qu'ils avaient d'affecté, les hôtels de Bouillon, de Longueville et de Rambouillet, qui avaient donné le ton, et la bourgeoisie, qui exagérait comme toujours, en les copiant, les ridicules de la haute société.

On peut penser que Molière, en composant cette pièce, n'eut pas seulement en vue de corriger un travers de mœurs, mais aussi de protester contre les tentatives faites de toutes parts autour de lui pour énerver et affadir la langue, sous prétexte de la rendre plus correcte et plus polie. Écrivain de grand style, aux formes simples, aux mots à la fois justes et pittoresques, admirateur de Montaigne et de Rabelais, Molière sentait que la

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