Images de page
PDF
ePub

GORGIBUS.

Il faut que j'aille délivrer ce pauvre garçon; en vérité, s'il lui a pardonné, ce n'a pas été sans le bien maltraiter.

(Il entre dans sa maison, et en sort avec Sganarelle en habit de valet.) SGANARELLE.

Monsieur, je vous remercie de la peine que vous avez prise, et de la bonté que vous avez eue; je vous en serai obligé toute ma vie.

GROS-RENÉ.

Où pensez-vous que soit à présent le médecin?

Il s'en est allé.

GORGIBUS.

GROS-RENÉ, qui a ramassé la robe de Sganarelle.

Je le tiens sous mon bras. Voilà le coquin qui faisoit le médecin, et qui vous trompe. Cependant qu'il vous trompe et joue la farce chez vous, Valère et votre fille sont ensemble, qui s'en vont à tous les diables.

GORGIBUS.

Oh! que je suis malheureux ! mais tu seras pendu, fourbe, coquin!

SGANARELLE.

Monsieur, qu'allez-vous faire de me pendre? Écoutez un mot, s'il vous plaît; il est vrai que c'est par mon invention que mon maître est avec votre fille; mais, en le servant, je ne vous ai point désobligé : c'est un parti sortable pour elle, tant pour la naissance que pour les biens. Croyez-moi, ne faites point un vacarme qui tourneroit à votre confusion, et envoyez à tous les diables ce coquin-là avec Villebrequin. Mais voici nos amants.

SCÈNE XVI.

VALÈRE, LUCILE, GORGIBUS,
SGANARELLE.

VALÈRE.

Nous nous jetons à vos pieds.

GORGIBUS.

Je vous pardonne, et suis heureusement trompé par Sganarelle, ayant un si brave gendre. Allons tous faire noces, et boire à la santé de toute la compagnie.

FIN DU MÉDECIN VOLANT.

OU

LES CONTRE-TEMPS,

COMÉDIE EN CINQ ACTES,

REPRÉSENTÉE A LYON EN 1653, ET A PARIS EN 1658.

NOTICE.

Molière avait trente et un ans révolus, lorsque, après sept années d'une vie nomade, il vint à Lyon en 1653, et ce fut là qu'il donna au public sa première comédie, celle de l'Étourdi. -«Pour ceux qui voudront étudier les développements du génie de Molière, dit avec raison M. Bazin, il faudra se rappeler que cet ouvrage n'est point le début hâtif d'un jeune cerveau, mais l'essai réfléchi d'un talent qui a hésité longtemps à se produire. Du reste, il est impossible d'y rien découvrir qui ait trait aux mœurs du temps, aux événements historiques, à la physionomie particulière d'une époque. La seule moquerie épisodique qu'on en puisse tirer ne s'adresse pas plus loin qu'aux officiers subalternes de justice, avec qui les comédiens de campagne avaient souvent à faire.» La marche de l'Étourdi a été blàmée par les commentateurs et les critiques, comme n'étant pas suffisamment régulière. C'est, a-t-on dit, une espèce de comédie épisodique, composée de plusieurs petites intrigues détachées,

Et chaque acte en sa pièce est une pièce entière.

De plus, on a reproché à Molière l'insignifiance de ses deux rôles de femmes, les longueurs de son dénoûment obscur et romanesque, et surtout d'avoir en quelque sorte effacé le personnage de l'Etourdi, qui devrait tenir le premier rang, devant le personnage du valet Mascarille. Voltaire, tout en sous-entendant ces reproches, leur répond en ces mots :

« Cette pièce est la première comédie que Molière ait donnée à Paris; elle est composée de plusieurs petites intrigues assez indépendantes les unes des autres : c'était le goût du théâtre italien et espagnol qui s'était introduit à Paris. Les comédies n'étaient alors que des tissus d'aventures singulières, où l'on n'avait guère songé à peindre les mœurs; le théatre n'était point,

comme il doit l'être, la représentation, de la vie humaine; on n'y voyait que de vils bouffons, qui étaient les modèles de nos jodelets, et on ne représentait que le ridicule de ces misébles, au lieu de jouer celui de leurs maîtres. La bonne comédie ne pouvait être connue en France, puisque la société et la galanterie, seules sources du bon comique, ne faisaient que d'y naître... Aussi ce ne fut qu'après avoir bien vu la cour et Paris, et bien connu les hommes, que Molière les représenta avec des couleurs si durables. >>

Quoi qu'il en soit de ces critiques, lorsque l'Étourdi fut joué à Paris sur le théâtre du Petit-Bourbon, en 1658, il reçut du public l'accueil le plus favorable. « Il eut, dit Voltaire, plus de succès que l'Avare, le Misanthrope, les Femmes savantes n'en eurent depuis; c'est qu'avant l'Étourdi on ne connaissait pas mieux, et que la réputation de Molière ne faisait point encore d'ombrage. Il n'y avait alors de bonne comédie au Théâtre français que le Menteur.» M. Nisard, en comparant la pièce de Molière à celle de Corneille, n'hésite point à donner la préférence à la première. « Quoique cette création, dit M. Nisard, du même ordre que le Menteur, ne soit pas de force à porter tout le développement d'une comédie et à être un centre d'action, elle est plus vraie que celle du Menteur. Il y a plus d'étourdis qui ne sont qu'étourdis, que de menteurs de profession. >>

L'Inavvertito du comédien Nicolo Barbieri a fourni à Molière l'idée première de cette pièce. Mais suivant M. Aimé Martin, «< il faut chercher les principaux emprunts et la donnée de l'intrigue dans l'Emilia, comedia nova di Luigi Grolo Cieco di Hadria, qui est elle-même une imitation des Adelphes de Térence. Les principaux personnages sont les mêmes dans les deux pièces, excepté celui de l'Étourdi, qui appartient à l'Inavvertito, et qui est à peine indiqué dans l'Émilie. Un esclave intrigant, copié sur les Daves de l'ancienne comédie, est le véritable modèle de Mascarille; cet esclave, ainsi que le valet de Lélie, tient le fil de l'intrigue, et fait mouvoir toute la pièce: il escroque de l'argent au père pour servir les amours du fils. (Émilie, act. I, sc. Ix.) La scène charmante où Mascarille persuade à Pandolfe qu'il doit acheter la belle esclave est encore imitée de la pièce italienne. Les scènes I et 11 de l'acte II d'Émilie, ont également fourni à Molière la scène Ire de son acte IV. »

Comme il importe au début même de cette carrière que notre auteur devait parcourir avec tant de gloire, de remonter à toutes les origines de ses inspirations, nous ajouterons que le théâtre espagnol n'a pas moins servi Molière que le théâtre italien. Voici ce qu'on lit à ce sujet dans les Études sur l'histoire des institutions et de la littérature en Espagne, de M. Viardot (Paris, 1835, in-8°, pag. 366).

« Le Menteur de Corneille, dit Voltaire, n'est qu'une traduc tion; mais c'est probablement à cette traduction que nous de vons Molière. Il est impossible en effet que l'inimitable Molière ait vu cette pièce sans voir tout d'un coup la prodigieuse supéviorité que ce genre a sur les autres, et sans s'y livrer entièrement. » L'illustre commentateur donne, en parlant ainsi, le plus éclatant témoignage de son exquise sagacité; car ce qui n'était dans sa pensée qu'une conjecture, une vraisemblance, se trouve être un fait positif. La preuve en est fournie par Molière luimême. Voici comment il s'exprime dans une lettre à Boileau citée par Martinez de la Rosa, et que Voltaire ne connaissait point: « Je dois beaucoup au Menteur; quand on le représenta, j'avois déjà le desir d'écrire, mais j'étois en doute sur ce que j'écrirois. Mes idées étoient encore confuses, et cet ouvrage les fixa... Enfin, sans le Menteur, j'aurois composé sans doute des comédies d'intrigue, l'Étourdi, le Dépit amoureux; mais peut-être n'aurois-je pas fait le Misanthrope. »

Ce ne fut pas seulement par l'intermédiaire du grand Corneille que Molière reçut l'influence du théâtre espagnol; il lui fit, surtout dans ses ouvrages de second ordre, plusieurs emprunts directs. — M. Viardot ajoute que l'épisode d'Andrés, dans l'Étourdi, est imité de la nouvelle de Cervantes, la Gitanilla de Madrid, mise en comédie par Solis.

[blocks in formation]

Hé bien! Léandre, hé bien! il faudra contester;
Nous verrons de nous deux qui pourra l'emporter;

↑ Acteurs de la troupe de Molière: LA GRANGE.-Mademoiselle DE BRIE. - MOLIÈRE. - Mademoiselle DU PARC.5 Louis BEJART. 6 BÉJART aîné.

Qui, dans nos soins communs pour ce jeune miracle, Aux vœux de son rival portera plus d'obstacle : Préparez vos efforts, et vous défendez bien,

Sûr que de mon côté je n'épargnerai rien.

SCÈNE II. LÉLIE, MASCARILLE.

LÉLIE.

Ah! Mascarille!

MASCARILLE.

Quoi?

LÉLIE.

Voici bien des affaires;

J'ai dans ma passion toutes choses contraires :
Léandre aime Célie, et, par un trait fatal,
Malgré mon changement, est encor mon rival 1.

[blocks in formation]

Hé, oui, tant pis; c'est là ce qui m'afflige. Toutefois j'aurois tort de me désespérer; Puisque j'ai ton secours, je puis me rassurer; Je sais que ton esprit, en intrigues fertile, N'a jamais rien trouvé qui lui fût difficile; Qu'on te peut appeler le roi des serviteurs, Et qu'en toute la terre...

.

MASCARILLE.

Hé! trève de douceurs.
Quand nous faisons besoin, nous autres misérables,
Nous sommes les chéris et les incomparables;
Et dans un autre temps, dès le moindre courroux,
Nous sommes les coquins qu'il faut rouer de coups.
LÉLIE,

Ma foi! tu me fais tort avec cette invective.
Mais enfin discourons un peu de ma captive :
Dis si les plus cruels et plus durs sentiments

'VAR. Malgré mon changement est toujours mon rival.

« PrécédentContinuer »