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A tous les contes bleus de ces diseurs de rien.
Ils croyent que tout cède à leur perruque blonde,
Et pensent avoir dit le meilleur mot du monde,
Lorsqu'ils viennent, d'un ton de mauvais goguenard,
Vous railler sottement sur l'amour d'un vieillard;
Et moi, d'un tel vieillard je prise plus le zèle
Que tous les beaux transports d'une jeune cervelle.
Mais n'aperçois-je pas...?

SGANARELLE, à Ariste.

(apercevant Léonor.)

Oui, l'affaire est ainsi.

Ah! je la vois paroître, et la servante aussi.

ARISTE.

Léonor, sans courroux, j'ai sujet de me plaindre.
Vous savez si jamais j'ai voulu vous contraindre,
Et si plus de cent fois je n'ai pas protesté
De laisser à vos vœux leur pleine liberté :
Cependant votre cœur, méprisant mon suffrage,
De foi comme d'amour à mon insu s'engage.
Je ne me repens pas de mon doux traitement;
Mais votre procédé me touche assurément;
Et c'est une action que n'a pas méritée
Cette tendre amitié que je vous ai portée.
LÉONOR.

Je ne sais pas sur quoi vous tenez ce discours;
Mais croyez que je suis de même que toujours,
Que rien ne peut pour vous altérer mon estime,
Que toute autre amitié me paroîtroit un crime,
Et que, si vous voulez satisfaire mes vœux,
Un saint noeud dès demain nous unira tous deux.

ARISTE.

Dessus quel fondement venez-vous donc, mon frère....?

SGANARELLE.

Quoi! vous ne sortez pas du logis de Valère?
Vous n'avez point conté vos amours aujourd'hui?
Et vous ne brûlez pas depuis un an pour lui?

LÉONOR.

Qui vous a fait de moi de si belles peintures,
Et prend soin de forger de telles impostures?

SCÈNE X.

ISABELLE, VALÈRE, LÉONOR, ARISTE, SGANARELLE, UN COMMISSAIRE, UN NOTAIRE, LISETTE, ERGASTE.

ISABELLE.

Ma sœur, je vous demande un généreux pardon,
Si de mes libertés j'ai taché votre nom.
Le pressant embarras d'une surprise extrême
M'a tantôt inspiré ce honteux stratagème :
Votre exemple condamne un tel emportement;
Mais le sort nous traita tous deux diversement.
(à Sganarelle.)

Pour vous, je ne veux point, monsieur, vous faire excuse;
Je vous sers beaucoup plus que je ne vous abuse.
Le ciel pour être joints ne nous fit pas tous deux :

Je me suis reconnue indigne de vos feux;

Et j'ai bien mieux aimé me voir aux mains d'un autre,
Que ne pas mériter un cœur comme le vôtre1.

VALÈRE, à Sganarelle.

Pour moi, je mets ma gloire et mon bien souverain
A la pouvoir, monsieur, tenir de votre main.

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Mon frère, doucement il faut boire la chose :
D'une telle action vos procédés sont cause;
Et je vois votre sort malheureux à ce point,
Que, vous sachant dupé, l'on ne vous plaindra point.

LISETTE.

Par ma foi, je lui sais bon gré de cette affaire;
Et ce prix de ses soins est un trait exemplaire.

LEONOR.

Je ne sais si ce trait se doit faire estimer;
Mais je sais bien qu'au moins je ne le puis blâmer.

ERGASTE.

Au sort d'être cocu son ascendant l'expose;

'Le dénoûment achève la leçon. La pupille d'Ariste, qu'il a soin de ne point gêner sur les goûts innocents de son àge, tient une conduite irréprochable, et finit par épouser son tuteur; l'autre, qu'on a traitée en esclave, risque des démarches aussi hardies que dangereuses, que sa situation excuse, et que la probité de son amant justifie elle l'épouse aussi; mais on voit tout ce qu'elle avoit à craindre s'il n'eût pas été honnète homme, et que ce surveillant intraitable, qui se croyoit le modele des instituteurs, n'alloit rien moins qu'à causer la perte entière d'une jeune personne confiée à ses soins, et qu'il vouloit épouser. De tels ouvrages sont l'école du monde. (Laharpe.)

Et ne l'être qu'en herbe est pour lui douce chose.

SGANARELLE, sortant de l'accablement dans lequel il étoit plongé Non, je ne puis sortir de mon étonnement. Cette ruse d'enfer confond mon jugement1; Et je ne pense pas que Satan en personne Puisse être si méchant qu'une telle friponne. J'aurois pour elle au feu mis la main que voilà. Malheureux qui se fie à femme après cela! La meilleure est toujours en malice féconde; C'est un sexe engendré pour damner tout le monde. J'y renonce à jamais ce sexe trompeur,

Et je le donne tout au diable de bon cœur.

Bon.

ERGASTE.

ARISTE.

Allons tous chez moi. Venez, seigneur Valère; Nous tâcherons demain d'apaiser sa colère.

LISETTE, au parterre.

Vous, si vous connoissez des maris loups-garous,
Envoyez-les au moins à l'école chez nous

VAR. Cette déloyauté confond mon jugement.

(Première édition.)

FIN DE L'ÉCOLE DES MARIS.

COMÉDIE-BALLET EN TROIS ACTES.

1661.

NOTICE.

Cette pièce à scènes détachées, sans plan ni intrigue, fut sur notre théâtre le premier essai de ce qu'on a depuis appelé des pièces à tiroir, en même temps que le premier essai de la comédieballet, c'est-à-dire de la comédie où, comme le dit M. Auger, la danse est liée à l'action de manière à en remplir les intervalles, sans en rompre le fil. Elle fut, suivant le témoignage de Molière lui-même, conçue, faite, apprise et représentée en quinze jours', à l'occasion d'une fête donnée à Vaux par Fouquet, le 17 août 1661.

M. Aimé Martin a reproduit, dans son édition, une curieuse anecdote, empruntée à un écrivain du dix-septième siècle, anecdote qui trouve ici naturellement sa place, parce qu'elle explique comment et pourquoi Molière fit les Facheux. Nous la donnons après M. Aimé Martin, en lui laissant, comme de raison, le mérite de la découverte :

<< Après qu'on eut joué les Précieuses, où les gens de cour étoient si bien représentés et si bien raillés, ils donnèrent euxmêmes à l'auteur, avec beaucoup d'empressement, des mémoires de tout ce qui se passoit dans le monde, et des portraits de leurs propres défauts et de ceux de leurs meilleurs amis, croyant qu'il y avoit de la gloire pour eux que l'on reconnût leurs impertinences dans ses ouvrages, et que l'on dit même qu'il avoit voulu parler d'eux; car il y a certains défauts de qualité dont ils font gloire, et ils seroient bien fàchés que l'on crût qu'ils ne les eussent pas... A chaque pièce nouvelle, Molière recevoit de nouveaux mémoires, dont on le prioit de se servir; et je le vis bien embarrassé un soir après la comédie, et qui cherchoit partout des tablettes pour écrire ce que lui disoient plusieurs personnes de condition dont il étoit environné. Tellement que l'on

Voir sur la fête de Fouquet, ses tentatives auprès de mademoiselle de la Vallière, et la jalousie de Louis XIV, Taschereau, Vie de Molière, 3° édit., Paris, 1844, in-18, page 37 et suiv.

peut dire qu'il travailloit sous les gens de qualité pour leur apprendre après à vivre à leurs dépens, et qu'il étoit en ce temps et encore présentement leur écolier et leur maître tout ensemble. Ces messieurs lui donnent souvent à dîner, pour avoir le temps de l'instruire, en dînant, de tout ce qu'ils veulent lui faire mettre dans ses pièces; mais comme il ne manque pas de vanité, il rend tous les repas qu'il reçoit, son esprit le faisant aller de pair avec beaucoup de gens qui sont au-dessus de lui... Cependant le nombre des notes qu'on lui fournissoit devint si considérable, qu'il s'avisa, pour satisfaire les gens de qualité, et pour les railler, ainsi qu'ils le souhaitoient, de faire une pièce où il pût mettre quantité de leurs portraits. Il fit donc la comédie des Facheux, dont le sujet est autant méchant que l'on puisse imaginer, et qui ne doit pas être appelée une pièce de théâtre ce n'est qu'un amas de portraits détachés, et tirés de ces mémoires, mais qui sont si naturellement représentés, si bien touchés et si bien finis, qu'il en a mérité beaucoup de gloire; et ce qui fait voir que les gens de qualité sont non-seulement bien aises d'être raillés, mais qu'ils souhaitent que l'on connoisse que c'est d'eux que l'on parle, c'est qu'il s'en trouvoit qui faisoient en plein théâtre, lorsqu'on les jouoit, les mêmes actions que les comédiens faisoient pour les contrefaire.»

Dans la comédie des Fâcheux, dit avec raison M. Bazin, «<la scène était de niveau avec l'amphithéâtre. Ici et là les mêmes hommes, les mêmes canons, les mêmes plumes, les mêmes postures, excepté que, du côté où le ridicule a été copié, on se tait, on écoute, et que là où il figure imité, on parle, on agit, on fait rire. La comédie se soutient ainsi pendant trois actes, attachée à une intrigue fort légère, mais toujours sans déroger et dans la sphère la plus haute des travers de bonne compagnie : marquis éventé, marquis compositeur, vicomte bretteur, courtisan joueur, belles dames précieuses, solliciteurs à la suite des grands, colporteurs de projets, amis importuns; et, parmi tout cela, toujours le nom du roi ramené avec art, d'une manière respectueuse et sans bassesse. >>

Parmi les spectateurs qui applaudirent les Fâcheux au château de Vaux, se trouvait la Fontaine, ami, comme on sait, du surintendant. Dans une lettre écrite peu de jours après, où il raconte à Maucroix les divertissements dont il a été témoin, la Fontaine exprime ainsi, à propos des Facheux, son admiration pour Molière :

C'est un ouvrage de Molière:
Cet écrivain par sa manière

Charme à présent toute la cour.
De la façon que son nom court,

Il doit être par delà Rome:

J'en suis ravi, car c'est mon homme

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