Images de page
PDF
ePub

COMÉDIE EN CINQ ACTES.

1662.

NOTICE.

Cette pièce fut représentée, pour la première fois, sur le théâtre du Palais-Royal, le 26 décembre 1662. Habitué déjà à de brillants succès, Molière obtint encore, ce jour-là, auprès du public, un triomphe éclatant. Son ouvrage, dit Loret,

Fit rire leurs majestés
Jusqu'à s'en tenir les côtés;

mais si ses admirateurs furent nombreux, les détracteurs ne le furent pas moins. Ils attaquèrent la pièce au nom du goût, de la morale, de la grammaire, et, ce qui était plus grave et plus dangereux pour l'auteur, au nom de la religion. Les gens pieux s'en offensèrent, et la scène dans laquelle Arnolphe veut endoctriner sa pupille, leur parut et non sans cause, dit M. Bazin, « parodier insolemment les formes d'un sermon; le vers même qui la termine reproduisait presque textuellement la bénédiction finale du prédicateur. « Les chaudières bouillantes>>>> dont il menace Agnès, la « blancheur du lis » qu'il promet à << son âme » en récompense d'une bonne conduite, la « noirceur du charbon » dont il lui fait peur si elle agit mal, et enfin ces Maximes du Mariage ou Devoirs de la Femme mariée avec son exercice journalier, dont il veut qu'elle lise dix commandements, ressem→ blaient trop en effet au langage le moins éclairé, et par conséquent le plus usité, du catéchisme ou du confessionnal, pour ne point paraître aux dévots un attentat contre les choses saintes. Ils n'allaient pourtant pas encore jusqu'à le dire publiquement; car la dispute, sur ce terrain, était périlleuse; mais ils s'en prenaient à d'autres licences qui offensaient seulement les bonnes mœurs. Le prince de Conti, l'ancien protecteur de la troupe de Molière en Languedoc, devenu fervent janséniste et théologien, écrivait ce qui suit dans son Traité de la Comédie et

des Spectacles: «Il faut avouer de bonne foi que la comédie mo>> derne est exempte d'idolâtrie et de superstition, mais il faut » qu'on convienne aussi qu'elle n'est pas exempte d'impureté ; » qu'au contraire cette honnêteté apparente, qui avoit été lé » prétexte des approbations mal fondées qu'on lui donnoit, com» mence présentement à céder à une immodestie ouverte et sans » ménagement, et qu'il n'y a rien, par exemple, de plus scanda» leux que la cinquième scène du second acte de l'École des Fem>>mes, qui est une des plus nouvelles comédies. »>

Heureusement pour Molière, Louis XIV se rangea au nombre de ses défenseurs, et comme compensation des insultes de la critique, Boileau lui adressa pour étrennes le 1er janvier 1663, des stances où se trouvent ces vers :

En vain mille jaloux esprits,
Molière, osent avec mépris
Censurer un si bel ouvrage;
Ta charmante naïveté

S'en va pour jamais d'âge en åge
Enjouer la postérité.

Ceux même qui attaquaient la nouvelle comédie avec le plus d'acharnement, lui donnaient à côté du blâme les plus pompeux éloges, témoin ce passage où de Visé, l'un des critiques les plus ardents, après avoir dit « qu'on ne vit jamais tant de méchantes choses ensemble,» ajoute : «Mais il y en a de si naturelles, qu'il semble que la nature ait elle-même travaillé à les faire : il y a des endroits qui sont inimitables, et qui sont si bien exprimés, que je manque de termes assez forts et assez significatifs pour les bien faire concevoir. Il n'y a personne au monde qui les pût si bien exprimer, à moins qu'il n'eût son génie, quand il seroit un siècle à les tourner. Ce sont des portraits de la nature qui peuvent passer pour des originaux: il semble qu'elle y parle elle-même; et ces endroits ne se rencontrent pas seulement dans ce que dit Agnès, mais dans tous les rôles de la pièce. »

Les avis, on le voit, au moment même de l'apparition de l'Ecole des Femmes, furent très- partagés; et depuis Molière jusqu'à nos jours, on retrouve la même divergence entre les diverses opinions des critiques. Fénelon, Jean-Jacques Rousseau et Geoffroy, entre autres, se sont montrés fort sévères.

« Molière, dit Geoffroy à propos de la pièce qui nous occupe, a flatté le goût du siècle qui voulait secouer le joug de l'ancienne sévérité, et opérer un plus grand rapprochement entre les sexes. De son temps la galanterie, la politesse et les plaisirs étaient concentrés à la cour et dans les premières maisons de la ville. La bourgeoisie et le peuple étaient encore dans l'état d'une demi-barbarie; c'est Molière qui a poli l'ordre mitoyen et les

dernières classes; c'est lui qui a ébranlé ces vieux préjugés de l'éducation, soutiens des vieilles mœurs; c'est lui qui a brisé les entraves qui retenaient chacun dans la dépendance de son état et de ses devoirs, et cette impulsion qu'il a donnée aux penchants de son siècle, a beaucoup contribué à son succès. »>

En d'autres termes, Molière, d'après Geoffroy, introduisait dans la comédie la morale relâchée des nouveaux casuistes, et c'était surtout par l'attrait du scandale qu'elle attirait la foule. « Aujourd'hui, ajoute Geoffroy, on joue encore de temps en temps l'École des Femmes... mais les changements survenus dans nos mœurs, le grand progrès de nos lumières ont proscrit le ridicule attaqué dans cette pièce... c'est un chef-d'œuvre comique, comme don Quichotte, sur un travers qui n'existe plus. Le préjugé qui attachait l'honneur d'un mari à la vertu de sa femme, est absolument détruit ; la folie d'un homme qui regarde l'infidélité conjugale comme le premier des affronts et le dernier des malheurs, n'est plus au nombre des folies convenues qui circulent librement dans la société. Aujourd'hui toutes les plaisanteries sur le mariage et ses accidents sont ignobles et du plus mauvais ton. Le silence est recommandé sur cet article délicat. »

M. Aimé Martin, qui ne laisse jamais passer, sans essayer de les réfuter, les critiques adressées à Molière, s'est livré à une discussion approfondie pour montrer que si l'on avait accusé l'auteur de l'École des Femmes de donner un ton gracieux au vice et une austérité ridicule et odieuse à la vertu, c'était faute d'avoir suffisamment compris la pièce. Comme notre rôle, dans cette édition variorum, est avant tout un rôle de rapporteur, nous compléterons l'exposé de ces appréciations critiques, en citant l'opinion de M. Aimé Martin. « Il est évident, dit le commentateur que nous venons de citer, que Molière a voulu avertir les femmes qu'elles doivent surtout éviter d'unir leur sort à celui d'un égoïste. Arnolphe n'a qu'un but: il veut asservir l'innocence, la jeunesse, la beauté, aux caprices de sa bizarre humeur; peu lui importe de rendre sa femme heureuse, son propre bonheur lui suffit. Voilà justement ce qui doit causer sa perte; et l'on verra tous ses efforts, tous ses soins, toutes les ruses de son égoïsme, tomber devant le simple bon sens d'une jeune fille. Molière est plein de ces combinaisons, souvent inaperçues des commentateurs, bien qu'elles fassent rire le vulgaire et penser les bons esprits..... Dans cette pièce, dit encore le même écrivain, Molière a voulu montrer un de ces hommes qui, s'éloignant encore plus des goûts de la jeunesse par leur austérité que par leur âge, ne laissent pas de s'abandonner à toutes les passions; prennent les conseils de leur égoïsme pour ceux de l'expérience, les systèmes les plus bizarres pour les inspirations de la sagesse, et prétendent changer les lois éternelles de la ná

ture en assujettissant à leurs caprices tout ce qui les environne. Tel est le caractère d'Arnolphe ; et il faut remarquer que le développement de ce caractère fait tout le sujet et toute l'intrigue de la pièce. La simplicité d'Agnès, la sottise des valets, les confidences d'Horace, les raisonnements de Chrysalde, tendent à faire ressortir le travers d'esprit de ce singulier personnage; son ridicule système met tout en mouvement; lui seul porte le poids de l'action. Toujours en scène pendant les cinq actes, il va, il vient, s'agite, combine, gronde, s'adoucit; et, quoique toujours averti, il ne peut rien empêcher : tout est déception, ruse, adresse, dans sa conduite; tout est simplicité, innocence, naï. veté, dans celle d'Agnès. Veut-il la surprendre, la séduire, la tromper, lui exagérer ses bienfaits, elle oppose la vérité au 'mensonge; et c'est en montrant le fond de son cœur qu'elle punit son tyran. Mais ce qui rend la situation plus vive et la leçon plus frappante, c'est que les précautions d'Arnolphe ne servent qu'à assurer son malheur; sa punition ressort de l'accomplissement de tous ses vœux ; il a voulu des valets imbèciles, les siens le sont à l'excès; il a voulu qu'Agnès ne fût qu'une sotte, elle a toute la sottise que donne l'ignorance. Elle avoue avec la même naïveté son amour pour Horace, son indifférence pour Arnolphe, et son goût pour le mariage; enfin elle se sauve avec son amant,

Et ne voit pas de mal à tout ce qu'elle a fait.

Quelle profondeur dans ce vers! il résume la pièce, il justifie Agnès, il confond Arnolphe, il commence son châtiment; car enfin la voilà telle qu'il l'a souhaitée. Mais la justice ne seroit pas entière, si chaque travers de ce personnage ne recevoit sa punition. Arnolphe s'est moqué des maris trompés, il sera moqué par Chrysalde; il s'est joué de la confiance d'Horace, il le verra triompher; il a sacrifié le bonheur d'Agnès au sien, il sera le plus malheureux des hommes. Faire recueillir à chacun le fruit de ses œuvres, c'est la morale du théâtre; et jamais Molière n'a mieux atteint ce but que dans l'École des Femmes. »

Le passage que l'on vient de lire résume ce qui a été dit de plus saillant par les commentateurs pour justifier l'École des Femmes, on verra plus loin comment Molière a lui-même défendu son œuvre, en se moquant de ceux qui l'attaquaient.

La Précaution inutile, de Scarron, le Jaloux, de Cervantes, onl été utilisés dans le premier et le second acte de la comédie qu'on va lire. La Quatrième nuit de Straparole a fourni quelques données aux actes trois et quatre. Quant au cinquième acte, il est tout entier de création originale.

A MADAME

MADAME,

Je suis le plus embarrassé homme du monde, lorsqu'il me faut dédier un livre; et je me trouve si peu fait au style d'épître dédicatoire, que je ne sais par où sortir de celle-ci. Un autre auteur, qui seroit en ma place, trouveroit d'abord cent belles choses à dire de VOTRE ALTESSE ROYALE, sur ce titre de l'École des Femmes, et l'offre qu'il vous en feroit. Mais, pour moi, MADAME, je vous avoue mon foible. Je ne sais point cet art de trouver des rapports entre des choses si peu proportionnées; et, quelques belles lumières que mes confrères les auteurs me donnent tous les jours sur de pareils sujets, je ne vois point ce que VOTRE ALTESSE ROYALE pourroit avoir à démêler avec la comédie que je lui présente. On n'est pas en peine, sans doute, comment il faut faire pour vous louer. La matière, MADAME, ne saute que trop aux yeux; et, de quelque côté qu'on vous re garde, on rencontre gloire sur gloire, et qualités sur qualités. Vous en avez, MADAME, du côté du rang et de la naissance, qui vous font respecter de toute la terre. Vous en avez du côté des graces, et de l'esprit, et du corps, qui vous font admirer de toutes les personnes qui vous voient. Vous en avez du côté de l'ame, qui, si l'on ose parler ainsi, vous font aimer de tous ceux qui ont l'honneur d'approcher de vous je veux dire cette douceur pleine de charmes dont vous daignez tempérer la fierté des -grands titres que vous portez; cette bonté tout obligeante, cette affabilité généreuse que vous faites paroître pour tout le monde. Et ce sont particulièrement ces dernières pour qui je suis, et dont je sens fort bien que je ne me pourrai taire quelque jour. Mais encore une fois, MADAME, je ne sais point le biais de faire entrer ici des vérités si éclatantes; et ce sont choses, à mon avis, et d'une trop vaste étendue, et d'un mérite trop élevé, pour les vouloir renfermer dans une épître, et les mêler avec des bagatelles. Tout bien considéré, MADAME, je ne vois rien à faire ici pour moi que de vous dédier simplement ma comédie, et de

Henriette d'Angleterre, première femme de MONSIEUR, frère de Louis XIV, petite-fille de Henri IV, dont l'oraison funebre a été prononcee par Bossuet. Elle mourut à Saint-Cloud le 30 juin 1670, à l'âge de vingt-six ans.

« PrécédentContinuer »