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scène d'Alain et de Georgette dans le logis, que quelques uns ont trouvée longue et froide, il est certain qu'elle n'est pas sans raison; et de même qu'Arnolphe se trouve attrapé pendant son voyage par la pure innocence de sa maîtresse, il demeure au retour longtemps à sa porte par l'innocence de ses valets, afin qu'il soit partout puni par les choses dont il a cru faire la sûreté de ses précautions.

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Pour le discours moral que vous appelez un sermon, il est certain que de vrais dévots qui l'ont ouï n'ont pas trouvé qu'il choquât ce que vous dites; et sans doute que ces paroles d'enfer et de chaudières bouillantes sont assez justifiées par l'extravagance d'Arnolphe, et par l'innocence de celle à qui il parle1. Et quant au transport amoureux du cinquième acte, qu'on accuse d'être trop outré et trop comique, je voudrois bien savoir si ce n'est pas faire la satire des amants, et si les honnêtes gens même, et les plus sérieux, en de pareilles occasions, ne font pas des choses...

LE MARQUIS.

Ma foi, chevalier, tu ferois mieux de te taire.

DORANTE.

Fort bien. Mais enfin si nous nous regardions nous-mêmes, quand nous sommes bien amoureux...

LE MARQUIS.

Je ne veux pas seulement t'écouter.

DORANTE.

Écoute-moi si tu veux. Est-ce que, dans la violence de la

passion...

LE MARQUIS.

La, la, la, la, lare, fa, la, la, la, la, la.

Quoi...!

DORANTE.

(Il chante.)

Ce fut là la première dispute que Molière eut avec les faux dévots.

(Petitot.)

LE MARQUIS.

La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la.

Je ne sais pas si...

DORANTE.

LE MARQUIS.

La, la, la, la, lare, la, la, la, la, la, la,

Il me semble que.......

URANIE.

LE MARQUIS.

La, la, la, lare, la, la, la, la, la, la, la, la, la, la.

URANIE.

Il se passe des choses assez plaisantes dans notre dispute. Je trouve qu'on en pourroit bien faire une petite comédie, et que cela ne seroit pas trop mal à la queue de l'École des Femmes.

Vous avez raison.

DORANTE.

LE MARQUIS.

Parbleu! chevalier, tu jouerois là-dedans un rôle qui ne te seroit pas avantageux.

Il est vrai, marquis.

DORANTE.

CLIMÈNE.

Pour moi, je souhaiterois que cela se fit, pourvu qu'on traitât l'affaire comme elle s'est passée.

ÉLISE.

Et moi, je fournirois de bon cœur mon personnage.

LYSIDAS.

Je ne refuserois pas le mien, que je pense.

URANIE.

Puisque chacun en seroit content, chevalier, faites un mémoire de tout, et le donnez à Molière, que vous connoissez, pour le mettre en comédie.

CLIMÈNE.

Il n'auroit garde, sans doute, et ce ne seroit pas des vers á sa louange.

URANIE.

Point, point; je connois son humeur : il ne se soucie pas qu'on fronde ses pièces, pourvu qu'il y vienne du monde.

DORANTE.

Oui. Mais quel dénoûment pourroit-il trouver à ceci? Car

il ne sauroit y avoir ni mariage, ni reconnoissance; et je ne sais point par où l'on pourroit faire finir la dispute.

URANIE.

Il faudroit rêver quelque incident pour cela.

SCÈNE VIII.

CLIMÈNE, URANIE, ÉLISE, DORANTE, LE MARQUIS, LYSIDAS, GALOPIN.

GALOPIN.

Madame, on a servi sur table.

DORANTE.

Ah! voilà justement ce qu'il faut pour le dénoûment que nous cherchions, et l'on ne peut rien trouver de plus naturel. On disputera fort et ferme de part et d'autre, comme nous avons fait, sans que personne se rende; un petit laquais viendra dire qu'on a servi, on se lèvera, et chacun ira souper.

URANIE.

La comedie ne peut pas mieux finir, et nous ferons bien d'en demeurer là.

FIN DE LA Critique de L'ECOLE DES FEMMES.

COMÉDIE EN UN ACTE.

1663.

NOTICE.

Les adversaires de Molière avaient reçu dans la Critique de l'École des Femmes une trop rude leçon pour ne point essayer de rendre à l'auteur satire pour satire. Il y eut donc dans le camp ennemi une véritable prise d'armes. De Visé composa sous le titre de Zélinde, ou la véritable Critique de l'École des Femmes, et - Critique de la Critique, une comédie en un acte et en prose, imprimée chez Barbin en 1663, mais qui ne paraît pas avoir été représentée. De plus, Boursault, qui pensait se reconnaître dans le personnage de Lysidas, crut se venger en composant et en annonçant une autre comédie en un acte et en vers le Portrait du Peintre, ou la Contre-Critique de l'Ecole des Femmes. Non content de cette menace, il fit courir le bruit, sans doute dans le but de susciter des ennemis à Molière, que celui-ci faisait circuler une clef imprimée des personnages qu'il avait voulu ridiculiser dans la Critique. Les prudes, les précieuses et les courtisans qui leur faisaient cortége, prirent parti pour de Visé et Boursault. Le roi lui-même, si l'on en croit un biographe, qui assure tenir le fait d'un témoin oculaire, engagea Molière à évoquer de nouveau sur la scène ses ennemis titrés et non titrés'. L'auteur de la Critique obéit volontiers. Et pour se venger pår anticipation de Boursault, et se moquer des gens de qualité qui se moquaient de sa pièce, il composa et fit représenter dans l'espace de buit jours l'Impromptu, qui fut joué entre le 15 et le 21 octobre 1663, à Versailles, sur le théâtre Royal. « Là, dit M. Bazin, parurent Molière et ses camarades, non pas figurant des personnages, mais agissant et parlant pour leur compte, ainsi que cela se pratique aux répétitions intimes, quand l'huis de la salle est

Vie de Molière, en tête des OEuvres. Amsterdam, 1725. Tome I, page 25 et suivantes.

clos, quand les chandelles ne sont pas allumées, quand il n'y a de spectateurs ni aux loges, ni au parterre. Cette révélation de la comédie derrière le rideau, faite en un tel lieu et devant un pareil monde, pouvait sembler déjà passablement hasardée. »

Quoi qu'il en soit, et peut-être même parce qu'elle était hasardée, la nouvelle comédie enleva tous les suffrages, et peu de temps après, lorsqu'elle fut jouée à Paris, elle obtint le même succès.

« Ces portraits des marquis ridicules, dit M. Aimé Martin, produisirent un effet surprenant. De Visé raconte qu'étant au spectacle, à la représentation de l'Impromptu de Versailles, il y avait auprès de lui une jeune fille qui disait qu'on voulait lui faire épouser un marquis, mais que depuis qu'elle les avait vu jouer, elle n'en voulait point. Ils sont toutefois bien mignons et bien propres, ajoute de Visé; et il faut qu'elle soit bien dégoûtée, car enfin c'est une jolie chose qu'un marquis. >>

Le seul reproche sérieux qu'on ait adressé à l'Impromptu de Versailles, c'est que Molière y nomme en toutes lettres son adversaire Boursault. Voltaire dit que jamais la licence de l'ancienne comédie grecque n'est allée plus loin; Palissot est du même avis, et Chamfort, exagérant encore sur Voltaire et Palissot, dit que cette personnalité contre Boursault est la seule action blamable de la vie de Molière.

A la comédie de Molière, on répondit, comme à la Critique de l'École des Femmes, par des comédies nouvelles. De Villiers fit jouer la Vengeance des Marquis, et Montfleury, comédien de l'Hôtel de Bourgogne, dont la troupe n'avait guère été mieux traitée que Boursault, opposa, mais sans succès, à l'Impromptu de Versailles, l'Impromptu de l'Hôtel de Condé. Quant à de Visé, il s'en tint à la Zélinde, en essayant toutefois de soulever toute la noblesse de France contre Molière, et en l'accusant du crime de lèse-majesté.

Ici se présente une question que sans doute quelques-uns ́de nos lecteurs se sont adressée déjà! Comment Louis XIV laissait-il ainsi un simple comédien attaquer devant lui ce qu'au déclin de son règne, l'un de ses ministres, dans une ordonnance revêtue du nom même du roi, appelait « le corps sacré de la noblesse? » La réponse est toute simple. C'est que comme homme, et comme homme d'esprit, Louis XIV aimait à rire des ridicules, que, mieux que personne, il était à même d'étudier des hauteurs de son rang, et que, comme roi, en cette période ascendante et glorieuse de sa vie, il continuait l'œuvre de Richelieu et se souvenait encore de la fronde.

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