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MASCARILLE.

Laissons là ce discours, et parlons d'autre chose.
Je ne m'apaise pas, non, si facilement;

Je suis trop en colère. Il faut premièrement
Me rendre un bon office, et nous verrons ensuite
Si je dois de vos feux reprendre la conduite.

LÉLIE.

S'il ne tient qu'à cela, je n'y résiste pas.

As-lu besoin, dis-moi, de mon sang, de mon bras1?

MASCARILLE.

De quelle vision sa cervelle est frappée !

Vous êtes de l'humeur de ces amis d'épée 2
Que l'on trouve toujours plus prompts à dégaîner
Qu'à tirer un teston 3, s'il falloit le donner.

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Oui; mais non pas pour nous.
Je l'ai fait, ce matin, mort pour l'amour de vous;
La vision le choque, et de pareilles feintes

Aux vieillards comme lui sont de dures atteintes,
Qui, sur l'état prochain de leur condition,
Leur font faire à regret triste réflexion.

Le bon homme, tout vieux 4, chérit fort la lumière,
Et ne veut point de jeu dessus cette matière;
Il craint le pronostic, et, contre moi fâché,
On m'a dit qu'en justice il m'avoit recherché.
J'ai peur,

si le logis du roi fait ma demeure,

De m'y trouver si bien dès le premier quart d'heure,
Que j'aie peine aussi d'en sortir par après.

Contre moi dès longtemps l'on a force décrets;

'VAR. As-tu besoin, dis-moi, de mon sang, de mes bras? C'est-à-dire les seconds dans les duels.

'Monnaie du temps de Louis XII, valant dix sous tournois, ainsi nommée parce qu'elle portait l'effigfe, la teste, de ce prince.

Sous-entendu, qu'il est.

Car enfin la vertu n'est jamais sans envie,

Et dans ce maudit siècle est toujours poursuivie.

Allez donc le fléchir.

LÉLIE.

Oui, nous le fléchirons :

Mais aussi tu promets...

MASCARILLE.

Ah! mon Dieu, nous verrons.

(Lélie sort.]

Ma foi, prenons haleine après tant de fatigues.
Cessons pour quelque temps le cours de nos intrigues,
Et de nous tourmenter de même qu'un lutin.

Léandre, pour nous nuire, est hors de garde enfin,
Et Célie arrêtée avecque l'artifice...

SCÈNE VI.

ERGASTE, MASCARILLE.

ERGASTE.

Je te cherchois partout pour te rendre un service,
Pour te donner avis d'un secret important.

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Nous sommes amis autant qu'on le peut être :

Je sais tous tes desseins et l'amour de ton maître 1;
Songez à vous tantôt. Léandre fait parti
Pour enlever Célie; et j'en suis averti
Qu'il a mis ordre à tout, et qu'il se persuade
D'entrer chez Trufaldin par une mascarade,
Ayant su qu'en ce temps, assez souvent le soir,
Des femmes du quartier en masque l'alloient voir.

MASCARILLE.

Oui! Suffit; il n'est pas au comble de sa joie,
Je pourrai bien tantôt lui souffler cette proie;
Et contre cet assaut je sais un coup fourré
Par qui je veux qu'il soit de lui-même enferré.

VAR. Je sais bien tes desseins et l'amour de ton maître.

Il ne sait pas les dons dont mon ame est pourvue. Adieu; nous boirons pinte à la première vue.

SCÈNE VII. — MASCARILLE, seul.

Il faut, il faut tirer à nous ce que d'heureux
Pourroit avoir en soi ce projet amoureux,
Et, par une surprise adroite et non commune,
Sans courir le danger, en tenter la fortune.
Si je vais me masquer pour devancer ses pas,
Léandre assurément ne nous bravera pas,
Et là, premier que lui, si nous faisons la prise,
Il aura fait pour nous les frais de l'entreprise,
Puisque par son dessein déja presque éventé
Le soupçon tombera toujours de son côté,

Et que nous, à couvert de toutes ses poursuites,
De ce coup hasardeux ne craindrons point de suites.
C'est ne se point commettre à faire de l'éclat,
Et tirer les marrons de la patte du chat.

Allons donc nous masquer avec quelques bons frères;
Pour prévenir nos gens, il ne faut tarder guères.
Je sais où gît le lièvre, et me puis, sans travail,
Fournir en un moment d'hommes et d'attirail.
Croyez que je mets bien mon adresse en usage :
Si j'ai reçu du ciel les fourbes en partage,
Je ne suis point au rang de ces esprits mal nés
Qui cachent les talents que Dieu leur a donnés.

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Il n'est rien plus certain. Quelqu'un de sa brigade
M'ayant de ce dessein instruit, sans m'arrêter,
A Mascarille alors j'ai couru tout conter1,
Qui s'en va, m'a-t-il dit, rompre cette partie
Par une invention dessus le champ bâtie;
Et, comme je vous ai rencontré par hasard,
J'ai cru que je devois de tout vous faire part.

'VAR. A Mascarille lors j'ai couru tout conter.

LÉLIE.

Tu m'obliges par trop avec cette nouvelle :
Va, je reconnoîtrai ce service fidèle.

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Mon drôle assurément leur jouera quelque trait;
Mais je veux de ma part seconder son projet.
Il ne sera pas dit qu'en un fait qui me touche
Je ne me sois non plus remué qu'une souche.
Voici l'heure, ils seront surpris à mon aspect.
Foin! Que n'ai-je avec moi pris mon porte-respect!
Mais vienne qui voudra contre notre personne,
J'ai deux bons pistolets, et mon épée est bonne.
Hola! quelqu'un, un mot.

SCÈNE X.

TRUFALDIN, à sa fenêtre; LÉLIE.

TRUFALDIN.

Qu'est-ce? qui me vient voir?
LÉLIE.

Fermez soigneusement votre porte ce soir.

Pourquoi ?

TRUFALDIN.

LÉLIE.

Certaines gens font une mascarade Pour vous venir donner une fâcheuse aubade; Ils veulent enlever votre Célie.

TRUFALDIN.

O dieux!
LÉLIE.

Et sans doute bientôt ils viennent en ces lieux.
Demeurez; vous pourrez voir tout de la fenêtre.
Hé bien! qu'avois-je dit? Les voyez-vous paroître?
Chut! je veux à vos yeux leur en faire l'affront.
Nous allons voir beau jeu, si la corde ne rompt

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LÉLIE, TRUFALDIN, MASCARILLE et sa suite, masqués.

TRUFALDIN.

Oh! les plaisants robins1, qui pensent me surprendre!

Robin, bcmme de robe, suivant les uns, niais, sot, suivant les autres. On a

LELIE.

Masques, où courez-vous? Le pourroit-on apprendre?
Trufaldin, ouvrez-leur pour jouer un momon.

(A Mascarille, déguisé en femme.)

Bon Dieu, qu'elle est jolie, et qu'elle a l'air mignon!
Eh quoi! vous murmurez? mais, sans vous faire outrage,
Peut-on lever le masque, et voir votre visage?

TRUFALDIN.

Allez, fourbes méchants, retirez-vous d'ici,
Canaille; et vous, seigneur, bonsoir et grand merci.

SCÈNE XII.

LÉLIE, MASCARILLE.

LÉLIE, après avoir démasqué Mascarille.

Mascarille, est-ce toi?

MASCARILLE.

Nenni dà, c'est quelque autre.
LÉLIE.

Hélas! quelle surprise! et quel sort est le nôtre!
L'aurois-je deviné, n'étant point averti
Des secrètes raisons qui t'avoient travesti1?
Malheureux que je suis d'avoir, dessous ce masque,
Elé, sans y penser, te faire cette frasque!

Il me prendroit envie, en mon juste courroux2,
De me battre moi-même, et me donner cent coups.

MASCARILLE.

Adieu, sublime esprit, rare imaginative.

LÉLIE.

Las! si de ton secours la colère me prive,

A quel saint me vouerai-je?

MASCARILLE.

Au grand diable d'enfer.
LÉLIE.

Ah! si ton cœur pour moi n'est de bronze ou de fer, Qu'encore un coup du moins mon imprudence ait grace! S'il faut pour l'obtenir que tes genoux j'embrasse,

Vois-moi...

robin mouton, parceque cet animal a' comme une robe de laine, et par extension on a appelé robins les gens simples d'esprit, parceque le mouton est peu intelligent.

'VAR.
Des secrètes raisons qui l'avoient travesti ?
VAR. Il me prendroit envie, en ce juste courroux.

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