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chiens, les Enfants sans souci, les Cornards ou Conards, les Enfants de la Mère Sotte.

Les Basochiens, qui existaient déjà en 1505, étaient à Paris des clercs du Palais, et en province des étudiants de l'Université, dirigés par le roi de la Basoche. Comme ils s'attaquaient aux classes les plus élevées, il leur fut à différentes reprises ordonné de cesser leurs représentations, et l'on peut dire qu'ils provoquèrent le premier établissement de la censure dramatique.

Les Enfants sans souci, dirigés par le Prince des Sots, se recrutaient en général parmi les fils des riches bourgeois. Leur théâtre, sur lequel figura longtemps Pierre Gringore, était situé dans les Halles de Paris. existait aussi dans quelques villes de province, sous le nom de Cornards, Enfants de la Mère Folle, de l'abbé Maugouverne, etc., des associations burlesques qui donnaient leurs représentations dans les rues, et défrayaient leur répertoire avec des chroniques scandaleuses 1.

Tandis que toutes ces associations égayaient les villes de la province, les Confrères de la Passion, qui s'étaient établis à Paris en 1598, continuaient d'édifier la capitale par la représentation des drames sacrés. Ces confrères, qui sont notre première troupe d'acteurs et les fondateurs de notre premier théâtre, s'établirent d'abord à Saint-Maur, puis en 1402 à Paris, dans l'hôpital de la Trinité. Leur théâtre était placé sous la sauvegarde royale et la surveillance de sergents nommés par le prévôt de Paris. Les représentations avaient lieu les dimanches et fêtes de midi à cinq heures, et le prix des places était fixé à deux sous. Cet établissement permanent, desservi par des acteurs de profession, est du reste un fait exceptionnel, et en suivant sur les divers points de la France l'histoire des représentations dramatiques, on reconnaît qu'il est impossible de déterminer

L'une des tétes les plus bizarres du moyen âge, était à Lyon celle du Cheval fou. Or. habillait un homme avec les attributs de la royauté, depuis la tête jusqu'à la ceinture; et depuis la ceinture jusqu'aux pieds on le déguisait en cheval. Cet homme, entouré de musiciens et de populace, courait la ville en faisant des folies. Cette fête avait été instituée en mémoire de la sagesse d'un quartier de la ville qui n'avait pas pris part à une sédition populaire. (Clerjon, Hist. de Lyon, t. III, p. 431.)

par des dates précises les époques auxquelles les drames sacrés cessèrent d'être représentés dans les églises, de même que celles où s'établirent des théâtres fixes. Ces époques ont varié suivant les lieux, et les statuts synodaux d'Orléans, la date de 1525 et de 1587, constatent encore des représentations dramatiques dans les temples chrétiens.

A côté des genres que nous venons d'indiquer, nous mentionnerons divers autres spectacles qui se rattachent plus ou moins directement à notre sujet, mais qui doivent trouver place ici, par cela seul qu'ils ont eu dans le passé une très-grande importance. Ces spectacles sont les jeux muets par personnages, les dialogues, les danses macabres, les allégories, les pantomimes et les jeux sur des chars. Ils avaient lieu principalement à l'entrée des princes dans les villes et à l'occasion des événements importants. Les plus célèbres sont, en 1313, la pantomime offerte à Philippe le Bel lors de la promotion de son fils à l'ordre de chevalerie; en 1424, la danse macabre que les Anglais firent jouer à Paris dans le cimetière des Innocents en réjouissance de leur victoire de Verneuil; en 1457, le combat des sept Péchés Capitaux contre les Vertus Théolo-· gales et les quatre Vertus Cardinales, représenté à l'entrée de Charles VIII à Paris; en 1468, le Jugement de Pâris, dans lequel les trois déesses étaient entièrement nues. En 1550, à Rouen, lors de la visite que Henri II fit dans cette ville, on offrit à ce prince la mise en scène de toute la chronologie des rois de France, à partir de Pharamond, et le roi entra dans la ville à la suite de ses prédécesseurs.

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Les mystères, les farces, les soties, les moralités, les allégories, les danses macabres, les jeux sur des chars, les processions du renard, les fêtes des fous, de l'âne, des Innocents, toutes ces scènes bizarres, pieuses, cyniques, qui sont comme autant d'intermèdes dans le drame splendide du moyen âge, s'étaient produites presque simultanément pendant quatre siècles. L'art était morcelé comme le sol féodal, varié à l'infini comme les coutumes, simple, sauvage et croyant comme les bourgeois des villes municipales; mystique dans les mystères, railleur et sceptique dans les soties, et toujours indépendant, parce que la société elle-même n'é

tait encore qu'à l'état de chaos, et qu'à part l'autorité de la foi, chaque auteur avait sa règle individuelle comme chaque ville avait sa charte. On avait laissé tout dire, mais le moment était venu où l'unité du pouvoir allait se fonder, où les vieilles croyances étaient forcées de se défendre. L'autorité civile, jusqu'alors étrangère à la police du théâtre, intervint pour réprimer et poser des limites aux libertés de l'esprit. Des sources nouvelles s'ouvrirent à l'inspiration, et la renaissance marqua l'agonie de notre vieille littérature dramatique, en même temps que l'avènement de la société moderne.

IV

Les premières tragédies et les premières comédies de la renaissance furent des traductions de l'antiquité grecque ou romaine et des imitations de la littérature italienne. Baif, Thomas Sibilet, Ronsard, essayèrent de reproduire Sophocle, Euripide, Aristophane. Charles Estienne et Jean de la Taille firent passer dans notre langue le Négromant de l'Arioste, et les Abusés, de l'Académie siennoise. Après avoir traduit, on imita. Jodelle, qui fit jouer en 1552, pour son début, Cléopâtre captive, est le premier représentant de l'école tragique du seizième siècle. « Nulle invention dans les caractères, les situations et la conduite de la pièce; une reproduction scrupuleuse, une contrefaçon parfaite des formes grecques; l'action simple, les personnages peu nombreux, des actes fort courts, composés d'une ou deux scènes et entremêlés de chœurs; la poésie lyrique de ces choeurs, bien supérieure à celle du dialogue; les unités de temps et de lieu observées moins en vue de l'art que par un effet de l'imitation; un style qui vise à la noblesse et à la gravité, » voilà, d'après M. Sainte-Beuve, ce qui distingue Jodelle, et nous ajouterons que ces remarques si justes nous paraissent s'appliquer exactement, non-seulement à Jodelle, mais à ses nombreux contemporains qui firent aussi des tragédies, tels que Charles Toustain, Jacques Grévin, Jean de la Péruse, Jean de la Taille, Marc Papillon, Jean Dehais, Théodore de Bèze,

Pierre de Laudun, Jean de Beaubreuil, Antoine de Mont-
chrétien, et Dumonin, auteur d'une tragédie intitulée la
Peste de la peste, ou le Jugement divin, dans laquelle figu-
rent Aulan, lieutenant de la peste, vent du midi; Aquilon,
rent de santé, etc.

Robert Garnier, qui débuta vers 1575, mérite d'être dis-
tingué au milieu de tous ces versificateurs. « Il est le pre-
mier, dit avec raison Suard, qui ait su puiser avec quelque
goût dans les anciens. Il donna en général à la tragédie le
langage qui lui convient. Ses ouvrages doivent faire époque
dans l'histoire du Théâtre, non par la beauté des plans, il
n'en faut chercher de bons dans aucune des tragédies du
seizième siècle, mais les sentiments qu'il exprime' sont
nobles; son style a souvent de l'élévation sans enflure et
beaucoup de sensibilité. »

Les principales tragédies de Garnier sont Hippolyte, la
Troade et les Juives. Racine n'a pas dédaigné de faire à ces
pièces quelques emprunts 1.

La plupart des écrivains du seizième siècle s'essayèrent
dans les genres les plus divers; on imita Plaute et Térence
comme on avait imité, pour la tragédie, Euripide, Sénèque
et Sophocle. On tenta aussi quelques pièces dans le goût plus
moderne, des pièces d'intrigue, telles que les Esbahis et la
Trésorière, de Grévin; les Corrivaux, de Jean de la Taille;
les Neapolitains, de François d'Amboise; les Contents, d'Odet
Turnebe; la Rencontre, de Jodelle; la Reconnue, de Remi
Belleau; le Ramoneur, de Lebreton; les Escoliers, de Perrin.
«Des vieillards imbéciles, dit Suard, des jeunes gens liber-
tins, des femmes de toutes les espèces, excepté de l'espèce
honnête, deux ou trois déguisements, trois ou quatre sur-
prises, et autant de reconnaissances, voilà le fond de toutes
les intrigues des comédies de ce temps. Si peu de comique
dans la comédie et de grandeur dans la tragédie laissent
facilement concevoir qu'on peut se livrer aux deux genres
sans posséder beaucoup de génie ou de talent; aussi, presque

'Voir, pour les rapprochements du théâtre de Racine et de celui de Garnier,
Suard, Mélanges de Littérature, t. I, Hist. du Théâtre français, p. 82
et suiv,

tous les tragiques de ce temps-là furent-ils auteurs comédies. »

Un seul écrivain, Pierre de Larivey, astrologue et chanoine de Saint-Étienne de Troyes, qui vivait dans la seconde moitié du seizième siècle, mérite véritablement, à cette époque, le nom d'auteur comique, et ce qui justifie cet éloge, c'est qu'il a été imité par Molière et Regnard. Larivey composa douze comédies, dont la plus célèbre est celle des Esprits, qu'on peut regarder comme la meilleure de notre vieux répertoire, après la farce de Patelin. On y trouve une grande entente de la scène, beaucoup d'esprit, des situations comiques; mais, comme la plupart des pièces du seizième siècle, elle est souillée par l'effronterie des mœurs, et Larivey sentait si bien combien il était coupable sous ce rapport, que dans l'une de ses préfaces il cherche à s'excuser en disant que « pour bien exprimer les façons et affections du jourd'hui, il faudroit que les actes et les paroles fussent la lascivité même. »>

L'école classique de Jodelle et de Garnier fit place, sous le règne de Henri IV, à une école nouvelle plus aventureuse, qui donna à la fantaisie une place beaucoup plus grande, et qui eut pour fondateur Alexandre Hardi. « A cette époque, dit Suard, il se forma à Paris deux troupes de comédiens : l'une, en 1598, loua le privilége des confrères de la Passion, et c'est celle-là qui depuis, toujours renouvelée et jamais Hissoute, s'est perpétuée jusqu'à nos jours sous le nom de Comédie-Française; l'autre, en 4600, s'établit au Marais, à l'hôtel d'Argent, et donna des représentations trois fois par semaine. » C'est pour cette troupe, dont il était l'un des acteurs, qu'Alexandre Hardi composa ses huit cents pièces de théâtre. Quarante et une seulement ont été jouées et sont arrivées jusqu'à nous. Tous les genres, tous les styles, tous les tons se confondent dans le théâtre de Hardi. Il prend ses sujets dans les âges héroïques de l'antiquité, dans les mœurs de la bourgeoisie parisienne, dans les romans espagnols, dans les contes italiens. Il imite, il invente; il est tout à la fois classique et romantique; il fait les tragédies morales, des bergeries, des tragi-comédies, des martyres, des journées, etc. La meilleure de ses tragédies

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