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Suivant l'article 32 (correspondant à l'article 271): « A compter du jour de la demande en divorce, l'état de « la communauté ne pourra être changé relativement à la femme, ni par les engagements que le mari pourra contracter, ni par les aliénations qu'il pourra faire. Le « mari en devra la garantie à sa femme, et celle-ci aura action pour prévenir, ou pour faire réparer les fraudes faites à son préjudice.

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Ce projet donnait à la femme les garanties les plus étendues droit de faire apposer des scellés qui ne seraient levés que moyennant inventaire et caution; interdiction pour le mari de modifier l'état de la communauté; et, afin que cette défense produise ses effets, droit pour la femme d'agir soit préventivement pour empêcher les fraudes, soit pour obtenir réparation du préjudice qu'elle aurait subi. Si ce projet protégeait les intérêts de la femme, il est clair qu'il pouvait avoir pour conséquence la suppression, pour le mari, du droit d'administrer la

communauté.

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Aussi Regnier fit-il remarquer que ces dispositions gêneraient beaucoup le mari dans l'administration de ses affaires. A quoi Portalis répondit que cependant, sans - la précaution établie par cet article, on doit craindre beaucoup de fraudes; qu'au surplus il suffirait peut-être de dire que les actes frauduleux seront déclarés « nuls ».

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A la suite de ces observations, le projet fut modifié. L'obligation pour le mari de fournir caution fut maintenue; le droit pour la femme d'agir préventivement pour empêcher la fraude fut supprimé (art. 40 et 41 du projet). La rédaction nouvelle fut adoptée sans discussion par le conseil d'Etat. (Séance du 6 nivôse an x.)

Elle fut amendée par la section de législation du Tribunat. Celle-ci proposa pour l'article 270 le texte du code, sauf que son projet visait l'ordonnance prévue par l'article 239: l'obligation pour le mari de fournir caution fut donc à son tour supprimée.

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Motivant son amendement, la section dit : « Il a été sage de prendre des mesures pour conserver provisoi

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rement à la femme les droits qu'elle devra avoir en définitif, si le divorce a lieu.

Mais il a paru que ces mesures ne doivent pas telle- ment grever le mari, qu'il lui soit impossible de conti« nuer la gestion de ses affaires ou de son commerce... Il « faut donc tâcher de concilier les intérêts respectifs. Ainsi, par rapport au mobilier de la communauté, qui est l'objet de l'article 40 (270 du code civ.)..., la nécessité prescrite par le projet de loi de donner caution de la part du mari, a paru trop dure... Le tempérament qui consiste à laisser les objets inventoriés au pouvoir du mari, en le rendant gardien judiciaire, ce qui entraîne « la contrainte par corps, ce tempérament, dit-on, a paru plus sage. Il veille également aux intérêts des deux époux.

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Ĉe résumé des travaux préparatoires montre que, dans le projet primitif, les droits de la femme étaient très étendus; elle avait non seulement le droit de poursuivre l'annulation des actes faits en fraude de ses droits; elle avait encore celui d'agir préventivement pour empêcher que ces actes ne soient commis; elle pouvait faire apposer les scellés et de plus exiger, à leur levée, que le mari donne caution. Au cours de la discussion, ces droits ont été successivement réduits on a supprimé le droit d'agir préventivement pour empêcher les actes frauduleux; on a rejeté l'obligation pour le mari de donner caution et on a admis le tempérament qui consiste à laisser les objets « inventoriés au pouvoir du mari, en le rendant gardien judiciaire, tempérament qui a paru le plus sage il veille également aux intérêts des deux époux ».

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Par conséquent, au delà de ce tempérament, de cette solution transactionnelle, pas de droit pour la femme; le législateur avait pensé à la protéger davantage, à lui permettre d'agir préventivement: il ne l'a pas voulu, à cause des inconvénients qui pourraient surgir. C'est donc violer cette volonté que de donner à la femme ces droits plus étendus; c'est anéantir le tempérament auquel le législateur a estimé devoir s'arrêter; c'est enfreindre, sans motif, le principe général rappelé par Laurent que toute

disposition, dérogeant, comme l'article 270, au droit commun, doit être interprétée restrictivement.

Pour admettre le système contraire, la jurisprudence, en dehors de cette affirmation, qui ne repose sur rien, que le juge a un pouvoir discrétionnaire d'ordonner toutes les mesures conservatoires qu'il estime utiles, n'invoque qu'un seul motif: c'est que, durant la procédure en séparation de biens, le juge peut ordonner toutes les mesures conservatoires qu'il croit utiles; or, le divorce amène la séparation des biens; donc les mêmes règles devraient être appliquées.

La séparation de biens est, il est vrai, une conséquence du divorce, mais là n'est pas la question. Ce qu'il s'agit de savoir, c'est si, durant l'instance en divorce, la situation des époux est identique à celle qu'ils auraient pendant une instance en séparation de biens. Il suffit de se rappeler l'objet du débat dans les deux litiges pour voir la différence. Durant la procédure en séparation de biens, on discute si la dot de la femme est mise en péril et si le désordre des affaires du mari donne lieu de craindre que les biens de celui-ci ne soient point suffisants pour remplir les droits et reprises de la femme (art. 1443 du code civ.). Durant la procédure en divorce, on se demande si la femme est adultère, si le mari s'est rendu coupable de sévices ou d'outrages vis-à-vis de la femme; l'administration des biens par le mari est totalement étrangère à cette procédure; bien plus, si en même temps que la femme agit en divorce, elle n'introduit pas une action en séparation de biens, on doit en déduire que le mari administre correctement.

Ces situations toutes différentes ont dû être soumises à des règles différentes. La base du procès en séparation de biens est le mauvais état des affaires du mari; son but est la protection des intérêts pécuniaires de la femme; on comprend que, pour la protection de ces intérêts, des mesures spéciales aient été autorisées durant l'instance. Au contraire, le procès en divorce ne fait nullement présumer une mauvaise administration de la part du mari; la seule chose qui soit à redouter de ce dernier, c'est la

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fraude; comme le dit la section de législation du Tribunat Le projet de divorce étant formé de la part de « l'un ou de l'autre des époux, on peut craindre que le mari, comme chef de la communauté, ne cherche à la « diminuer à son profit ". C'est contre cette fraude, que le législateur a trouvé que l'apposition des scellés, suivie d'un inventaire, et la responsabilité du mari comme gardien judiciaire sont une garantie suffisante.

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Le mari ne peut donc être obligé de fournir caution.

Le juge n'a donc pas le pouvoir d'ordonner que les biens de la communauté soient remis à un séquestre, ou que les deniers de la communauté soient versés à la caisse des consignations. Pareille décision dépasserait les limites du tempérament auquel s'est arrêté le législateur, et enlèverait au mari l'administration de tout ou partie de la com

munauté.

La femme ne peut pas non plus empêcher par des saisiesarrêts les tiers, débiteurs de la communauté, de payer au mari. L'inventaire a fait connaître à la femme les créances de la communauté; le mari est, comme gardien judiciaire, responsable de ces créances ou de leur montant; le législateur n'a pas entendu que la femme ait une garantie autre que cette responsabilité. Lui permettre d'empêcher les payements, ce serait en réalité l'autoriser à diminuer du montant des créances l'actif de la communauté dont le mari a l'administration; ce serait précisément une de ces mesures dont le législateur n'a pas voulu, une de ces mesures qui, disait la section de la législation du Tribunat, grèverait tellement le mari « qu'il lui serait impossible de continuer la gestion de ses affaires ou de son com- merce; car il pourrait en résulter un dérangement total qui conduirait quelquefois à des banqueroutes ».

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Enfin, la femme n'a pas le pouvoir de s'opposer à la levée des scellés avec inventaire et d'exiger que les scellés restent apposés. Cette mesure enlèverait en réalité au mari l'administration de la communauté; le texte de l'article 270 ne l'autorise pas, et les travaux préparatoires, rapportés plus haut, montrent que le législateur a formel

lement entendu donner au mari le droit de demander la levée des scellés, pourvu qu'inventaire soit fait.

Sic Bruxelles, 23 novembre 1896 (inédit); — trib. Liège, 21 janvier 1893, Pasic., 1893, III, 144; Pand. pér. belges, 1893, 404; trib. Bruxelles, 26 novembre 1881, Belg. jud., 1881, 1565;· ARNTZ, t. Ier, no 436; — Pand. belges, vo Divorce, nos 1146 et s.

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Contrà trib. Seine, 28 décembre 1886; Pand. pér. fr., 1887, 2, 226; Bordeaux, 8 janvier 1884, DALL., Rép., Supp., vo Divorce et séparation de corps, no 347, note 2.

Contrà, quant au séquestre, Liège, 3 mars 1897, Pasic., 1897, II, 265; trib. Bruxelles, 15 mars 1890, Pasic., 1890, III, 243; — trib. Bruges, 20 février 1893, Pasic., 1893, III, 168; Bordeaux, 29 mai 1883, DALL., Rép., Supp., vo Divorce et séparation de corps, no 347, note 1.

Contrà, quant aux saisies-arrêts, trib. Gand, 20 janvier 1894, Pasic., 1894, III, 140; Pand. pér. belges, 1894, 777; Bruxelles, 19 juillet 1893, Pasic., 1894, II, 180; Pand pér. belges, 1894, 201;-Verviers, 18 avril 1888, Pasic., 1889, III, 376; CL. et BONJ., t. XXXVII, 409; t. V, § 493, p. 196.

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AUBRY et RAU,

Contrà, quant à la levée des scellés, référé Bruges, 9 novembre 1888, Pasic., 1889, III, 65.

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Comp. Bruxelles, 26 décembre 1890, Pasic., 1891, II, 180; trib. Liège, 16 mai 1883, CL. et BONJ., t. XXXII, 407; trib. Anvers, 2 août 1879, Pasic., 1880, III, Gand, 6 février 1873, Pasic., 1873, II, 336; Belg. jud., 1873, 281; Paris, 2 mars 1886, D. P., 1887, 2, 200; SIR., 1886, 2, 161; Pand. pér. fr., 1887, II, 400; J. Pal., 1886, 963; AUBRY et RAU, t. V, § 493, p. 196 et 197; rapport de M. le conseiller Féraud-Giraud précédant arrêt de Cass. Fr., 26 mars 1889, D. P., 1889, 1, 444; J. Pal., 1890, 1, 629.

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742. En France l'article 270 du code civil est, depuis la loi de 1886, remplacé par l'article 242, dont le texte diffère légèrement : « L'un ou l'autre des époux », dit-il, peut, dès la première ordonnance, et sur l'autorisation « du juge donnée à la charge d'en référer, prendre pour « la garantie de ses droits des mesures conservatoires, notamment requérir l'apposition des scellés sur les biens de la communauté...

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<< Les scellés sont levés à la requête de la partie la plus diligente, les objets et valeurs sont inventoriés et prisés, l'époux qui est en possession est constitué gardien « judiciaire, à moins qu'il n'en soit décidé autrement. " L'article nouveau assimile expressément, quant au droit de prendre des mesures conservatoires, le mari et

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