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ques, comme dans ceux où elles montrent le plus d'ac

tivité.

Aussitôt qu'une maladie épidémique se déclare dans une contrée, la première pensée des magistrats et celle du peuple est d'en chercher les causes matérielles dans. les altérations des objets qui les environnent et qui frappent immédiatement leurs sens. C'est alors qu'on a lieu de s'étonner de la rapidité avec laquelle s'entretiennent les opinions les plus extravagantes, dès qu'une fois on est frappé ou prévenu. Les croyances les plus absurdes, les idées les plus bizarres, suffisent alors pour tout expliquer aux yeux du public.

C'est ainsi qu'on vit autrefois les Romains attribuer la peste qui, sous le règne de l'empereur Marc-Aurelle et des Antonins, sembla menacer l'Europe et l'Asie d'une dépopulation totale; c'est ainsi, dis-je, qu'on les vit attribuer ce grand fléau à une misérable cassette qu'un soldat avait trouvé à Séleucie dans le temple d'Appollon, lors de la prise de cette ville par Lucius Verus (1). Les historiens Ammien Marcellin et Julius Capitolinus, qui nous ont transmis ce fait, disent sérieusement que ce soldat ayant eu l'imprudence d'ouvrir cette cassette qui était d'or, et qui ne contenait que de ridicules secrets des anciens Chaldéens, il sortit de cette nouvelle boîte de Pandore un esprit pestilentiel, dont les effets furent si étendus et si rapides qu'il infecta toute cette portion du globe qui s'étend depuis les frontières de la Perse jusqu'au Rhin et à l'extrémité des Gaules.

On lit dans Forestus, écrivain d'ailleurs fort estima

(1).Je rappelle ce fait extraordinaire dans la description que j'ai donnée de la peste de Villefranche. (Voyez ma Physiologie des passions, t. 11.)

ble, que la peste qui se déclara en Hollande au seizième siècle, et qui ravagea principalement le territoire d'Egmont, fut occasionée par une baleine qu'il avait vue lui-même s'échouer sur le rivage, et qui s'y était putréfiée. Qu'au moment de l'invasion d'une épidémie pestilentielle, il arrive une seule pièce d'étoffe d'un endroit où ce fléau ait existé; qu'il se présente un étranger arrivant d'une contrée lointaine, il n'en faudra pas davantage pour l'accuser lui ou cette misérable pièce d'étoffe d'avoir apporté le germe de l'infection; l'étranger sera renvoyé, et l'étoffe, après avoir été brûlée, sera vouée à mille fois plus d'imprécations que ne le fut autrefois l'innocente robe de Déjanire, tandis que le peuple, satisfait de cette explication, se dispense de pousser plus loin ses recherches, et se résigne à son malheureux sort.

Qu'au défaut de cette pièce d'étoffe ou de ce malheureux étranger, arrivés dans le pays vers le temps de l'invasion dont nous parlons, il se soit livré une bataille près du lieu qui est le théâtre de l'épidémie ; qu'on ait creusé dans le voisinage, vers cette époque, quelque puits ou quelque fosse d'où il se soit exhalé quelque vapeur; qu'une rivière voisine se soit débordée, et qu'elle ait laissé un peu de limon sur le rivage; qu'on ait enfin négligé la propreté des rues ou celle des maisons, le plus léger foyer de corruption suffit pour expliquer aux yeux de la multitude la naissance du plus inconnu comme du plus terrible des fléaux.

Cette explication est même saisie par le peuple avec avidité, parce qu'elle n'exige de sa part aucun effort de méditation; le médecin lui-même s'en contente ordinairement, parce que, d'une part, elle l'affranchit de toute responsabilité; et que, de l'autre, elle le dispense

des études nécessaires pour remonter aux véritables causes enfin, elle flåtte sans qu'on s'en doute l'amourpropre national; on serait secrètement humilié d'appartenir à une contrée favorable à la production de la peste, et on est bien plus satisfait de penser ou de faire croire que la maladie est étrangère, ou que son apparition n'est due qu'à un accident dont, avec un peu de surveillance, il sera facile de se garantir une autre fois. En attendant, on néglige la recherche des causes naturelles, et on ne prend aucune mesure raisonnable pour se mettre à l'abri des ravages épidémiques.

Quelques faits relatifs aux propriétés essentielles de l'air prouveront le peu de fondement qu'ont les préjugés dont nous venons de parler. Ils ont bien peu étudié les propriétés dissolvantes de ce fluide, ceux qui pensent que quelques miasmes fournis par des moyens d'infection, aussi bornés que ceux que nous venons de mentionner, puissent résister à un agent qui décompose à la longue la lave vitrifiée, et le métal le plus dur; ils sont surtout bien peu fondés ceux qui s'imaginent que ces miasmes, transportés dans des pays éloignés, peuvent, sans éprouver aucune altération de la part de cet agent, conserver au loin leurs qualités malfaisantes, et venir à des milliers de lieues corrompre l'immense atmosphère de toute une contrée.

Pour se désabuser de cette croyance, on n'a qu'à considérer quelques-uns des phénomènes qu'on voit se produire tous les jours par l'action du fluide aérien ; qu'on examine, par exemple, cette fosse profonde d'aisance, dont les émanations sont si délétères qu'elles donnent une mort certaine à tous ceux qui ont l'imprudence de s'exposer à leur action, et qu'on mette en contact avec

l'atmosphère, l'immense quantité de miasmes qu'elle conțient, on verra tout aussitôt ces miasmes pénétrés et dénaturés par la masse d'air ambiant; on pourra respirer librement et sans péril dans un lieu où, peu de temps auparavant, on eût pu craindre l'asphyxie.

Ajoutons que toutes ces vapeurs méphitiques pourront se répandre dans le fluide aérien sans que la salubrité de ce dernier en soit diminuée. Telle est en effet la manière d'être de ce fluide, qu'il n'est point de substance dans la nature qui possède au plus haut degré, dans son essence même, la faculté de corriger les altérations qu'elle est susceptible d'éprouver. Entraînés dans la fluctuation continuelle qui les agite, il n'est point de miasmes qui ne s'y trouvent bientôt volatilisés ou décomposés, et qui ne finissent par céder à l'action dévorante de cet élément.

Qu'on réfléchisse à ces vastes excavations que rencontrent souvent les ouvriers qui exploitent les mines dans l'intérieur de la terre. La masse de méphitisme qu'elles contiennent, suffirait souvent pour donner la mort à toutes les espèces qui respirent. Les premiers hommes qui ont eu la témérité de les visiter ont été surle-champ victimes de leur imprudence, et le même sort attend tous ceux qui auront la témérité de les imiter. Cependant si on pratique des ouvertures à ces excavations, si on établit des communications grandes et libres avec l'air atmosphérique, si on facilite surtout l'accès de ce fluide par le moyen des ventilateurs appropriés, bientôt tous ces principes méphitiques sont dissous, et l'on pourra dès-lors pénétrer dans ces grottes sans danger.

Les exhalaisons qui s'élèvent des marais, lorsque l'écoulement ou l'évaporation des eaux les laissent à dé

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