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ELMIRE.

Je suis fort obligée à ce souhait pieux.

Mais prenons une chaise, afin d'être un peu mieux.

TARTUFFE, assis.

Comment, de votre mal, vous sentez-vous remise?

ELMIRE, assise.

Fort bien; et cette fièvre a bientôt quitté prise.

TARTUFFE.

Mes prières n'ont pas le mérite qu'il faut
Pour avoir attiré cette grâce d'en haut;
Mais je n'ai fait au ciel nulle dévote instance
Qui n'ait eu pour objet votre convalescence.

ELMIRE.

Votre zèle pour moi s'est trop inquiété.

TARTUFFE.

On ne peut trop chérir votre chère santé;
Et, pour la rétablir, j'aurois donné la mienne.

ELMIRE.

C'est pousser bien avant la charité chrétienne;
Et je vous dois beaucoup pour toutes ces bontés.

TARTUFFE.

Je fais bien moins pour vous que vous ne méritez.

ELMIRE.

J'ai voulu vous parler en secret d'une affaire,

Et suis bien aise, ici, qu'aucun ne nous éclaire.1

TARTUFFE.

J'en suis ravi de même; et, sans doute, il m'est doux, Madame, de me voir seul à seul avec vous.

C'est une occasion qu'au ciel j'ai demandée,

1. Éclairer, dans le sens d'épier, surveiller. Nous avons déjà rencontré ce mot employé avec cette acception (tome I, page 23; tome II, page 185).

Sans que, jusqu'à cette heure, il me l'ait accordée.

ELMIRE.

Pour moi, ce que je veux, c'est un mot d'entretien, Où tout votre cœur s'ouvre, et ne me cache rien.

(Damis, sans se montrer, entr'ouvre la porte du cabinet dans lequel il s'étoit retiré, pour entendre la conversation.)

TARTUFFE.

Et je ne veux aussi, pour grâce singulière,
Que montrer à vos yeux mon âme tout entière,
Et vous faire serment que les bruits que j'ai faits
Des visites qu'ici reçoivent vos attraits

Ne sont pas envers vous l'effet d'aucune haine,

Mais plutôt d'un transport de zèle qui m'entraîne,
Et d'un pur mouvement...

ELMIRE.

Je le prends bien aussi,

Et crois que mon salut vous donne ce souci.

TARTUFFE. Il lui serre les bouts des doigts.

Oui, madame, sans doute; et ma ferveur est telle...

ELMIRE.

Ouf! vous me serrez trop.

TARTUFFE.

C'est par excès de zèle.

De vous faire aucun mal je n'eus jamais dessein,

Et j'aurois bien plutôt...

(Il lui met la main sur le genou.)

ELMIRE.

Que fait là votre main?

TARTUFFE.

Je tâte votre habit: l'étoffe en est moelleuse.

ELMIRE.

Ah! de grâce, laissez, je suis fort chatouilleuse.

(Elle recule sa chaise et Tartuffe rapproche la sienne.)

TARTUFFE, maniant le collet d'Elmire.

Mon Dieu! que de ce point l'ouvrage est merveilleux !
On travaille aujourd'hui d'un air miraculeux :
Jamais, en toute chose, on n'a vu si bien faire.1

ELMIRE.

Il est vrai. Mais parlons un peu de notre affaire.
On tient que mon mari veut dégager sa foi,

Et vous donner sa fille. Est-il vrai, dites-moi ?

TARTUFFE.

Il m'en a dit deux mots: mais, madame, à vrai dire,
Ce n'est pas le bonheur après quoi je soupire;

Et je vois autre part les merveilleux attraits
De la félicité qui fait tous mes souhaits.

ELMIRE.

C'est que vous n'aimez rien des choses de la terre.

TARTUFFE.

Mon sein n'enferme pas un cœur qui soit de pierre.

ELMIRE.

Pour moi, je crois qu'au ciel tendent tous vos soupirs, Et que rien ici-bas n'arrête vos désirs.

TARTUFFE.

L'amour qui nous attache aux beautés éternelles
N'étouffe pas en nous l'amour des temporelles :
Nos sens facilement peuvent être charmés
Des ouvrages parfaits que le ciel a formés.
Ses attraits réfléchis brillent dans vos pareilles;
Mais il étale en vous ses plus rares merveilles :
Il a sur votre face épanché des beautés

1. Ce manége de Tartuffe est aussi celui de Panurge : « Quand il se trouvoit en compaignie de quelques bonnes dames, dit Rabelais (livre II, chapitre xvi), il leur mettoit sus le propos de lingerie, et leur mettoit la main au sein, demandant : « Et cest ouvraige est-il de Flandre ou de Haynault? >>

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