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Est-elle à charge en ce logis?

Affamerois-je, à votre avis,

L'hôte, l'hôtesse et tout leur monde ?

D'un grain de blé je me nourris :

Une noix me rend toute ronde.

A présent je suis maigre. Attendez quelque tems,
Réservez ce repas à messieurs vos enfans.
Ainsi parloit au Chat la Souris attrapée.
L'autre lui dit : Tu t'es trompée ;

Est-ce à moi que l'on tient de semblables discours ?
Tu gagnerois autant de parler à des sourds.
Chat, et vieux, pardonner, cela n'arrive gueres
Selon ces loix descends là-bas :

Meurs, et va-t-en tout de ce pas
Haranguer les sœurs filandieres.
Il tint parole.

On voit dans cette fable une suite d'idées, de jugemens, de raisonnemens vrais, justes, clairs, revêtus de termes qui ont les mêmes qualités : sans cela i y auroit vice dans l'ouvrage. Mais s'il n'y avoit que ces qualités, il n'y auroit pas ce qu'on appelle beauté, ce qui fait l'assaisonnement du discours. Il falloit donc que l'auteur y joignît des agrémens: tantôt c'est une image: Une noix me rend toute ronde : c'est une expression forte. Affamerois-je : tantôt c'est le riant, payer de raisons le Rominagrobis : réservez ce repas à messieurs vos enfans: ce sont des circonstances piquantes, ainsi parloit la souris attrapée. Chat, et vieux, pardon

,

ner des expressions naïves et familieres, descends là-bas, et va-t-en de ce pas haranguer, terme de dérision et d'insulte: sœurs filandieres, allusion à la Fable. Telles sont les trois premieres opérations dont il s'agit de développer l'art dans ce Traité. On y en ajoute une quatrieme qui a pour objet la Prononciation, c'est-à-dire, l'art des gestes, des mouvemens et des tons de voix qui doivent accompagner l'action de l'Orateur par conséquent cette Partie sera divisée en quatre Sections.

SECTION PREMIERE.

DE L'INVENTION ORATOIRE.

L'OBJET de l'Orateur est de persuader. Or, pour persuader les hommes, il faut prouver, plaire, toucher. Quelquefois un seul de ces moyens suffit: quelquefois ce n'est par trop de les réunir tous trois. On prouve pas les argumens; on plaît par les mœurs, on touche par les passions.

Comme ces moyens regnent plus ou moins dans l'Oraison, selon la différence des genres, commençons par faire connoître ces Genres; après quoi nous parlerons des Argumens, des moeurs et des Passions.

CHAPITRE I.

Des Différens Genres d'Oraison.

ON les réduit ordinairement à trois :

le premier est le Genre démonstratif le second, le Genre délibératif; le troisieme, le Genre judiciaire. Le premier a pour objet, sur-tout le présent; le second l'avenir; le troisieme le passé. Dans le démonstratif on blâme, on loue. Dans le délibératif on engage à agir, ou à ne pas agir. Dans le judiciaire on accuse on défend.

I.

Genre démonstratif.

Le Genre démonstratif renferme les panégyriques, les oraisons funebres, les discours académiques, les complimens faits aux rois et aux princes, etc. Il s'agit dans ces occasions de recueillir tout ce qui peut faire honneur et plaire à la personne qu'on loue.

On loue sa naissance : c'est le sang généreux de ses peres qui coule dans ses veines: l'aigle courageuse n'enfante point de timides colombes.

Si son origine est obscure, c'est un

héros qui ne doit rien qu'à lui-même : sa gloire est l'ouvrage de sa seule vertu. Ön loue son éducation : il est né si heureusement, il a été élevé avec tant de soin, que l'un de ces deux avantages, sans le secours de l'autre, auroit suffi pour en faire un homme extraordinaire.

Si l'éducation lui a manqué, son naturel presque divin a pris de lui-même un essor généreux, et a franchi tous les obstacles.

On loue de même les moeurs, les actions d'éclat, la conduite extérieure la vie privée, l'esprit, les graces, les

vertus.

Mais l'Orateur doit songer qu'en voulant faire trop d'honneur à son héros, il peut quelquefois se déshonorer lui-même. Quoique l'auditeur ne soit alors ni juge, ni partie; il a cependant ses droits, dont il est jaloux, et qu'il exerce ordinairement dans toute leur étendue. Si vos preuves sont mal choisies, si elles sont tirées avec peine du fonds de la flatterie plutôt que du sein de la vérité, il s'irrite contre l'adulateur, qui veut le rendre complice de sa bassesse.

Il n'est pas difficile, disoit Socrate, de louer les Athéniens à Athenes: mais de réussir devant un Scythe, un Lacédémonien, un Philosophe, ce seroit le

comble de la gloire, et du héros, et du panégyriste. Un Scythe et un Philosophe ne se rendent qu'à la vérité. Et la vérité en ce genre est toute entiere dans les faits. Pour bien louer, il ne s'agit donc que de présenter les faits d'une maniere vive et frappante. Les éloges qui ne se soutiennent que par des mots et des phrases sonores, ressemblent aux bulles de savon qui brillent dans l'air, et que le moindre Souffle fait disparoître.

- Qu'on revête les faits de tout l'appareil de l'éloquence; qu'on emploie les termes nobles et magnifiques, les tours hardis, les périodes nombreuses, les chutes préparées, les figures brillantes; que tout paroisse choisi, mesuré, paré de fleurs et de guirlandes, l'auditeur y consent. Les panégyristes depuis Périclès jusqu'à nous, se sont maintenus dans cette possession. On sait que tout panégyrique est une sorte de triomphe accordé à la vertu. Loin de trouver mauvais qu'on le rende pompeux et magnifique, notre amourpropre semble payé pour y applaudir : mais il faut des faits.

I I.

Genre délibératif.

. Dans le genre démonstratif on loue la vertu; on la conseille dans le Genre

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