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délibératif, on montre les raisons pourquoi on doit l'embrasser. La maxime d'Horace, vraie dans tous les cas, l'est ici plus que jamais (a): il faut connottre à fond son sujet, et l'avoir considéré attentivement dans toutes ses faces, nonseulement réelles, mais possibles.

On propose une entreprise. Est-elle utile? Ne l'est-elle pas ? Il s'agit de déclarer la guerre, pour venger une injure reçue. Il faut calculer avec soin le pour et le contre des probabilités; ce qu'il y a à espérer; quelles sont les ressources de l'Etat, et celles de l'ennemi; quelles suites peuvent avoir les revers; par quels moyens ils seront réparés, enfin si le dommage auquel on s'expose ne sera point plus grand que celui qu'on a reçu.

Toutes ces choses pesées mûrement par un esprit solide, désintéressé, et paroissant tel; il ne reste qu'à les exposer avec force et simplicité. Il ne s'agit plus ici d'étaler les graces, de chatouiller l'oreille, de flatter l'imagination; c'est une éloquence de service; qui rejette tout ce qui a plus d'éclat que de solidité. Qu'on entende Démosthene, lorsqu'il donne son avis au peuple d'Athenes dé

(a). . . . . Cui lecta potenter erit res,

Nec facundia deseret hunc, nec lucidus ordo.....

libérant s'il déclarera la guerre à Philippe : cet orateur est riche, il est pompeux, mais il ne l'est que par la force de son bon seps.

III

Genre judiciaire.

Le premier pas que doit faire l'orateur dans le Genre judiciaire, est de fixer l'état de la question.

La question a pour objet le fait, ou le droit, ou le nom.

On demande qui a tué. L'accusateur dit, c'est vous. L'accusé répond: ce n'est pas moi. Il s'agit donc de prouver qui Ï'a fait est-ce vous; n'est-ce pas vous? Il faut réunir les circonstances qui établiront la vérité ou la fausseté du fait. C'étoit votre ennemi, vous l'aviez menacé, vous étiez dans le même lieu vous l'avez pu sans peine, vous y étiez intéressé, vous avez disparu, etc. toutes circonstances qui prouvent que c'est vous. On les réfute par d'autres circonstances qui ne peuvent s'allier avec le fait j'étois à cent lieues de là le jour du meurtre, etc.

Mais j'avoue que je l'ai tué; parce que j'en avois le droit. C'est une autre ques tion. On peut tuer un homme qui attaque notre vie, quand il n'y a pas d'autre

moyen de la conserver. Clodius m'attaque, il veut m'assassiner : je me défends; il y périt. Les loix m'accordent ma grace, ou plutôt elles déclarert que je ne suis pas coupable.

La question de nom a pour objet de décider la qualité de la chose; laquelle étant décidée, toute contestation finit. Telle démarche d'un soldat est-elle déser tion? Ne l'est-elle pas? Il ne s'agit que du nom. Quand il sera décidé, tout sera dit. Dans le Genre judiciaire, il s'agit toujours d'un tort, ou réel, ou prétendu réel. On peut définir le tort (injuria) une action libre qui ôte son bien au possesseur légitime.

S'il n'y avait point de liberté, il n'y auroit point de torts faits. L'injustice suppose donc un droit contre lequel on a agi librement.

Or il y a en général deux especes de droits : l'un naturel, gravé dans le cœur de tous les hommes : l'autre civil, qui atteint tous les citoyens d'une même ville, d'une même république, tous les sujets d'un même royaume, à faire ou à ne pas faire certaines choses, pour le repos et l'intérêt commun. On ne peut violer cette loi, sans être mauvais eitoyen. On ne peut violer la loi naturelle, sans offenser l'humanité.

C'est à l'orateur à faire valoir l'autorité de ces loix. Il se fera écouter avec attention, s'il montre que l'intérêt commun, que l'humanitéest blessée, outragée dans l'action dont il demande justice. Ce n'est que par-là que l'intérêt particulier est touchant pour les autres hommes:

Nam tua res agitur panes cùm proximus ardet.

Comme notre objet n'est point de former un avocat, et que d'ailleurs nous sommés persuadés que les regles trop multipliées, offusquent les esprits médiocres, et inquietent en vain les génies heureux; on nous dispensera d'entrer ici dans un long détail. Nous observerons seulement qu'il ne faut pas croire que ces trois Genres soient tellement séparés les uns des autres, qu'ils ne se réunissentjamais. Le contraire arrive presque dans tous les. discours. Que sont la plupart des éloges et des panégyriques, sinon des exhortations à la vertu! On loue les saints et les héros pour échauffer notre cœur et ranimer notre foiblesse. On délibere sur le choix d'un général: l'éloge de Pompée déterminera les suffrages en sa faveur. On prouve qu'il faut mettre Archias au nombre des citoyens Romains: pourquoi? Parce qu'il a un génie qui fera honneur à l'Empire. Il faut déclarer

la guerre à Philippe ; pourquoi encore? Parce que c'est un voisin dangereux, dont les forces, si on ne les arrête, deviendront funestes à la liberté commune des Grecs. Il n'y a pas jusqu'au Genre judiciaire, qui ne rentre en quelque sorte dans le délibératif, puisque les Juges sont entre la négative et l'affirmative, et que les plaidoyers des avocats ne sont que pour fixer leur incertitude, et les attacher au parti le plus juste. En un mot, l'honnêteté, l'utilité, l'équité, qui sont les trois objets de ces trois Genres, rentrant dans le même point, puisque tout ce qui est vraiment utile est juste et honnête, et réciproquement; ce n'est pas sans raison que quelques Rhéteurs modernes ont pris la liberté de regarder comme peu fondée cette division si célebre dans la Rhétorique des Anciens...

CHAPITRE

I I.

Des Argumens Oratoires

POUR OUR expliquer ce que c'est qu'argument, il faut savoir qu'il y a trois sortes de pensées.

La premiere est une simple représentation de quelque chose dans l'esprit ;

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