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parvenir à son but. L'Eloquence a pour objet d'instruire; et si elle songe à plaire, c'est qu'elle n'ignore pas que la voie la plus certaine pour arriver à la persua sion est celle qui est semée de fleurs (a). La Poésie se sert de tout, pourvu qu'il aille à ses fins: vrai, faux, fable, histoire, merveilleux, naturel, possible impossible, tout est bien reçu chez elle sa raison s'appelle fureur. Elle bâtit sanst poser de fondemens : une chimere qu'un souffle détruit, l'occupe aussi sérieusement que le salut d'un Empire. L'Eloquence; toujours grave et mesurée, ne songe qu'au service réel: la raison est soir appui, le bon sens ne la quitte jamais.

Tels sont les droits et les limites de ́ces deux empires. Ils s'étendent l'un et l'autre sur toute la Nature: mais dans l'un c'est la vérité qui tient le sceptre, et dans l'autre c'est le goût. Et tout se regle selon leurs loix souveraines. Rentrons dans la carriere.

Ce Traité sera divisé en trois Parties: dans la premiere, il sera question du Genre oratoire dans la seconde, du Récit historique: dans la troisieme, du Genre épistolaire.

() Voyez le I Traité, I. Partie, Chap. VI.

PREMIERE PARTIE.

DU GENRE ORATOIRE.

I.

Ce que c'est que l'Oraison.

LA Rhétorique, la Logique, la Gram

maire, sont trois Arts qui devroient toujours marcher de compagnie. La Logique est l'Art de bien penser. La Grammaire est l'Art de bien parler. La Rhétorique est l'Art de bien dire. Bien penser, c'est mettre de la précision et de la netteté dans ses idées, de la circonspections dans ses jugemens, de la liaison et de la justesse dans ses raisonnemens. Bien parler, c'est se servir de termes reçus et de constructions légitimes; c'est éviter le barbarisme dans les mots, et le solécisme dans les phrases. Bien dire, c'est parler de maniere à nous faire écouter, et à persuader ceux qui nous écoutent: trois instrumens universels, c'est-à-dire, dont l'usage s'étend à tous les Genres, dans les Sciences et dans la Littérature; et qui, dans ceux qui les réunissent, caractérisent la bonne éducation, la droiture d'esprit, et la fécondité de génie.

Si on considere seulement l'étymologie, le mot Oraison est d'une signification fort étendue : il désigne toute pensée exprimée par le discours, ore ratio expressa: c'est dans ce sens qu'il est employé par les Grammariens. Ici il signifie un discours préparé avec art pour opérer la persuasion.

Il faut observer qu'il y a une grande différence entre le talent de l'oraison, et l'art qui aide à le former. Le talent s'appelle Eloquence; l'art, Rhétorique: l'un produit, l'autre juge : l'un fait l'Orateur, l'autre ce qu'on nomme Rhéteur.

I I.

Quatre fonctions à remplir par l'Orateur:

Quelque sujet que l'orateur entreprenne, il a à remplir d'abord trois fonctions: la premiere est de trouver les choses qu'il doit dire : la seconde est de les mettre dans un ordre convenable : la troisieme de les exprimer avec décence. C'est ce qu'on appelle Invention, Disposition, Elocution: Quid dicat, et quo loco, et quo modo. Čic. Orat. 14.

Pour donner une idée nette et précise de ces trois opérations, qui ont lieu dans tous les Arts, comme on a pu le voir dans toute la suite de cet Ouvrage; nous

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allons les présenter dans un exemple court et facile à saisir. Il n'importe de quel genre'; prenons celui de l'Apologue.

Un jeune Prince demanda une fable à La Fontaine, et lui en donna le sujet : le Chat et la Souris. Comment s'y prit le poëte pour la traiter?

Du premier coup d'oeil il vit les rôlesque devoient faire les acteurs : le chat est fait naturellement pour prendre, la souris pour être prise. Mais cette premiere idée ne menoit encore à rien.

Le Poëte suppose que la souris est jeune, et le chat vieux. On ne pouvoit lui refuser ces deux circonstances qu'il invente; parce qu'elles ne changent rien au sujet. Cependant ce sont elles qui vont produire l'action.

Si la souris est jeune, elle est sans expérience; si le chat est vieux, il n'est rien moins que sot: nous voilà tout à côté de ce que nous cherchons. Voilà des acteurs, des caracteres : mais où est l'action?

La voici une jeune souris attrapée par une vieux chat, voulu le fléchir :. mais le vieux chat se moqua des prieres de la souris, et dévora sa proie.

Voilà le fonds de l'Apologue, ce qu'on appele les choses: c'est la premiere et. Ja principale opération du génie, celle. qu'on nomme Invention..

Il y a ensuite le développement de ces premieres parties. La souris voulut fléchir le chat, par conséquent elle lui fit un petit discours. Le chat s'en moqua; par conséquent il lui fit une petite réponse. Ou' prendre ce discours? Dans la maxime d'Horace : Dicat debentia dici. La souris parlera selon son âge, sa taille, sa situation : le chat de même. L'invention, comme on voit, a fourni toutes les pieces de l'édifice. Venons à la disposition.

Cette seconde partie tient presque à la premiere; parce que le génie, lorsqu'il enfante, étant mené par la nature, va d'une chose à celle qui doit la suivre. La souris doit être attrapée d'abord, ensuite prier; le chat doit répondre : enfin la souris est immolée.

Vient ensuite l'Elocution qui revêt de mots les pensées dont la fable est composée. Ces mots sont de deux sortes : les uns sont employés seulement pour rendre la chose: les autres y ajoutent des graces. Examinons l'art et le goût du poëte, dans cette partie de son ouvrage

Une jeune Souris de peu d'expérience,

Crut fléchir un vieux Chat, implorant sa clémence, En payant de raison le Romina grobis :

Laissez-moi vivre : une Souris

De ma taille et de ma dépense

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