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roftre: il faut qu'elle entre dans l'esprit, et qu'elle s'y établisse, malgré toute résistance. Il y a grande apparence que c'est-là le Copia rerum et sententiarum des Latins, cette abondance vigoureuse qui fait que le discours, plein de verve, roule à grands flots et emporte tout avec lui.

Telles sont les principales especes de Figures, soit de mots, soit de pensées. Ce sont, dit l'Orateur Romain, comme les yeux du discours, ce qui lui donne de l'éclat, du feu, de la grace. Mais si ces yeux étoient répandus par tout le corps, que deviendroient les fonctions des autres membres, qui sont plus nécessaires encore et plus utiles? Ego hæc lumina orationis, velut oculos quosdam eloquentia credo; sed neque oculos esse toto corpore velim, nè cætera membra suum officium perdant.

CHAPITRE VII.

De Parrangement des mots par rapport

à l'Harmonie.

IL semble que l'idée et le goût de

l'Harmonie composent toute la nature de notre ame, comme l'ont dit allé, Tome IV.

E

goriquement quelques Philosophes de l'antiquité. Tout ce qui est harmonieux s'établit chez elle de plein droit, et y fait comme partie de son être.

L'Harmonie en général est l'accord de plusieurs choses qui sont dans le même genre ainsi les couleurs ont de l'harmonie dans un tableau; les lignes tracées, dans un parterre; les sons dans la musique; les pensées dans le discours; enfin les mots et les tours dans le style.

Pour donner une idée nette de l'Harmonie oratoire, il faut distinguer dans le discours trois sortes d'accords: celui des sons et des mots considérés comme une suite continue, un courant de choses qui se tiennent et s'emportent mutuellement: celui de ces parties entr'elles, en les considérant par rapport à une certaine étendue qu'elles ont, et comme des pieces de compartiment faites pour figurer ensemble: enfin l'accord de ces mêmes cons et de ces mots comparés avec les choses qu'ils signifient. Faute de cette division, le mot d'harmonie est vague, indéterminé et tout ce que les Anciens en ont dit nous paroît énigmatique.

Comme nous traiterons cette matiere exprès dans le volume qui aura pour objet la Construction oratoire, nous ne

présenterons ici que les résultats de ce que nous dirons alors.

La premiere espece d'accord peut se nommer Mélodie: c'est l'accord successif des sons, dont il n'existe à la fois qu'une partie; mais partie li ée par ses rapports avec les sons qui précedent et qui suivent; comme dans le chant musical, où les tons sont placés à des intervalles aisés à saisir : c'est le ruisseau qui coule. Il faut non-seulement que les lettres se lient entr'elles avec facilité et douceur, dans le même mot; mais que les mots se lient de même entr'eux dans une même phrase, les phrases dans une même période, les périodes dans tout le discours.

Les voyelles sont plus douces que les consonnes, parce que leur son est simple. Des consonnes, les unes sont plus fermes, comme p, t, f, q; les autres plus douces, comme b, d, v, c, l's est sifflante, let r sont coulantes, les deux ll sont quelquefois mouillées. Ces sons combinés entr'eux forment des syllabes douces ou rudes, maigres ou pleines, molles ou fermes, selon que les voyelles et les consonnes sont multipliées plus ou moins.

Les langues du Nord multiplient les consonnes, celles du Midi les voyelles.

La perfection dans ce genre est le milieu. Il faut éviter les bâillemens dans les voyelles, et les chocs dans les con

sonnes,

Ces deux défauts se font sentir sur-tout dans la liaison des mots entr'eux: Il a été un héros, blesse l'oreille par le choc des voyelles finales, qui se heurtent avec les initiales: discours dur, scabreux, ne la blesseroit pas moins par le choc des consonnes. L'art consiste en cette partie à faire en sorte qu'une voyelle finale s'appuie sur une consonne initiale, ou réciproquement qu'une consonne finale se lie à la voyelle initiale. Heureusement la nature vient au secours de l'art. On suit ces regles, même sans y faire attention: et ce qui est plus commode encore on peut les violer toutes les fois que le sens y autorise pour rendre l'expression ou plus courte, ou plus nette, ou plus simple. Il vaut mieux dans ce genre pécher par négligence que par affectation.

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La liaison des phrases entr'elles ne dépend pas seulement du choix des sons mais du rapport des espaces qui sem→ blent s'attirer les uns les autres par une sorte de sympathie c'est la seconde espece d'accord qu'on appelle Nombre. Le nombre n'est pas l'eau qui coule,

c'est la goutte qui tombe. Il consiste le plus souvent dans la distribution du repos, selon que l'exigent le sens et l'oreille. Numerus in continuatione nullus est. Distinctio et æqualium, et sæpè variorum intervallorum percussio numerum conficit; quem in cadentibus guttis, quòdintervallis distinguuntur, notare possu mus, in amni præcipitante non possumus. Cic. de Or. Il est évident que dans ce passage le nombre est pris pour une certaine étendue cadencée qu'on donne aux différentes parties du discours; et que nous expliquerons plus amplement ailleurs (a).

Ce mot est pris quelquefois pour la maniere dont une phrase se termine dans ses différentes parties: c'est en ce sens qu'on dit une chute nombreuse.

Enfin il se prend pour ce qu'on appe loit pieds ou metres chez les Anciens.

Le nombre considéré sous le premier aspect se fait sentir d'abord dans le besoin de respirer. L'organe a besoin de repos pour prendre son ressort. L'esprit a mis de même des especes de séparations entre ses pensées, qui se succedent par parties et qui se produisent l'une après l'autre distinctement. Enfin l'oreille

(a) Dans le Tome V.

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