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ment ne méritera donc d'être examiné que sous le rapport purement littéraire, abstraction faite des connaissances qui lui manquaient pour apprécier le texte : ce qui d'ailleurs dépose déjà contre lui.

Sans doute la chanson est une plante que le caractère français a depuis long-temps acclimatée sur notre sol; c'est une des plus précieuses richesses de notre riant domaine; et nous possédons surtout une foule de ces bluettes où la délicatesse de la pensée le dispute à la suavité du pinceau. L'oserai-je dire néanmoins?... nous avons beaucoup de chansons, et très-peu de chansonniers: comment trouver, de bonne foi, même parmi les modernes les plus fameux dans ce genre, cette grâce d'expression que l'on a comparée aux nymphes demi-nues, ce

besoin si naïf d'aimer, cette tendress sans emportement, cette volupté sans excès, ce délire des sens en quelque sorte calme et sans nuage?... Voltaire étincelle d'esprit, il est plus instructif et fait plus réfléchir; mais en amour, les réflexions valent-elles de simples rêveries? Quant à Chaulieu, que les flatteries hyperboliques de l'amitié surnommèrent l'Anacréon du Temple, il serait Anacréon sans doute, s'il était moins incorrect. Comme le poète grec, il caresse le petit dieu d'un ton familier; mais quelquefois il le caresse de trop près; plus sensuel que passionné, plus passionné qu'aimable et sensible. Oui, quand on savoure ses morceaux de verve et d'inspiration, on s'imagine revoir d'abord le chantre de Téos, la tête couronnée de roses penché négligemment sous

un myrte, entre les bras de sa maîtresse....... Mais ici finit l'illusion : ce n'est bientôt plus sa douce langueur qu'il lui exprime; plein d'une brûlante ivresse, il voudrait l'embraser de ses feux : l'agréable moraliste, le délicat épicurien, le favori des rois et des dieux a disparu; à la place du plus sage et du plus sensé des vieillards, on ne retrouve que le convive blasé des ducs de Vendôme.

Après Voltaire et Chaulieu, fautil, pour rencontrer des émules d'Anacréon, descendre jusqu'à ces infatigables buveurs d'eau par système, lesquels composent des refrains bachiques, en dépit du dieu des vendanges, et dont

« La triste voix chante d'un gosier sec,
Le vin mousseux, le frontignan, le grec. »

race impitoyable de rimailleurs anti-poétiques, fléau de la joie comme des bons vers, qui ne sauraient pardonner au ministre des jeux et des ris, d'être parfois plein de son sujet quand il célèbre Bacchus?... Serait-ce également parmi les pâles successeurs de Dorat que nous lui chercherions des rivaux ?... Mais qu'il y a loin de leurs pointes musquées, de leurs stériles équivoques, de leurs épigrammes si détournées et si fines, au tour délicat et gracieux, à la simplicité antique du poète grec!...

On admire encore aujourd'hui, par habitude, la fameuse chanson de Ségur, l'Amour et le Temps et cependant elle ne roule que sur un froid jeu de mots! C'était là, vers certaine époque, le naturel exquis de nos boudoirs : ce jargon antithé

tique heureusement commence à n'être plus de mode; nous en sommes revenus aux airs simples et touchans de nos bons aïeux; c'est ce qui nous a fait, avant d'entreprendre ce travail, relire, non sans fruit, la version de Rémy Belleau, poète estimable bien que suranné, et auquel on pourrait presque appliquer

ce vers:

Dans son vieux style encore a des grâces nouvelles.»

Laissons donc nos modernes à l'eau rose prodiguer dans leurs bouquets érotiques des fleurs qui se fanent aussitôt; que chacun de leurs hémistiches nous les montre comme ayant dérobé la ceinture de Vénus; Anacréon est le seul, le véritable enchanteur qui la déroba réellement, lorsqu'il produisit sans effort ses chansons immortelles. Son cadre

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