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Es-tu là, pâle Aimée?... O terrible silence!
Ce qui double le mal, ce qui navre le cœur,
C'est ton calme, ô Nature, et ton indifférence
Est la pire douleur.

On demeure atterré devant ce froid mystère,
Et moins on le comprend, plus augmente l'effroi,
Et plus on veut chercher, et plus on désespère.

On s'irrite, on blasphème, on crie à Dieu : — Pourquoi?

-

Et quand, las de creuser l'insondable problème,
On sent son cœur faillir, sa tête s'égarer,
La Nature verdit, sourit, toujours la même...
Et l'on reste à pleurer.

Pleurons donc, soyons homme... O larme solitaire,
Tombe, détache-toi; puissent de blanches sœurs
Te succéder encore au bord de ma paupière
Et rouler comme toi, fille de mes douleurs!

Car, ô larme d'argent, tu me rends à la vie,
Tu soulages mon cœur par le doute oppressé,
Et je me sens plus près de l'enfant endormie
Dans son tombeau glacé.

Et vous, chênes, oiseaux, toi, rivière sonore,
Poursuivez vos soupirs, vos murmures, vos chants;
O soleil triomphant, illumine et colore
Les forêts et les champs.

Maintenant je comprends votre joie immuable;
Dans l'univers immense où Dieu le fait errer,
L'homme n'est qu'un atome, un pauvre grain de sable,
Mais cet atome pense, et seul il peut pleurer.

Et je bénis le Dieu qui verse comme un charme
La rosée aux sillons desséchés et poudreux,

Le Dieu clément et doux qui fait sourdre une larme
Aux yeux des malheureux.

ANDRÉ THEUriet.

CHRONIQUE DE LA QUINZAINE

31 juillet 1859.

La paix qui met fin à la guerre même la plus courte ne se fait point en un jour nous en avons la preuve sous les yeux. Nous sommes dans cette situation singulière et grave: il n'est encore possible ni de mesurer toutes les conséquences de la guerre qui vient de finir, ni de discerner clairement le caractère et les tendances du brusque arrangement par lequel la paix est inaugurée. Jusqu'où ira l'ébranlement donné aux intérêts et aux esprits non-seulement en Italie, mais dans l'Europe entière, par notre récente lutte contre l'Autriche? Un ordre nouveau, et quel peut-il être ? va-t-il s'établir pour l'Italie sur les bases convenues à Villafranca? Et quelle influence les derniers incidens exerceront-ils sur les relations réciproques des grands états de l'Europe? Nous croyons que la toute-puissance elle-même ne fournit point à ceux qui la possèdent des lumières suffisantes pour percer l'obscurité crépusculaire où plongent encore ces difficiles questions. Ceux qui, comme nous, sont privés de toute action directe sur les événemens sont, à plus forte raison, tenus d'être sobres dans leurs prévisions et réservés dans leurs conjectures.

L'ensemble des faits qui se sont produits depuis quinze jours n'a point été assurément de nature à redresser les incertitudes et les perplexités de l'opinion. Avant de connaître les détails précis des préliminaires de Villafranca, nous avons appris par un discours de l'empereur que ce traité n'était point la complète exécution de son programme, et que ce n'est pas sans regret qu'il s'est cru forcé de le conclure. L'on avait été généralement surpris de la soudaineté de la paix, et l'on se demandait avec curiosité quelles avaient pu être les raisons d'une résolution si imprévue. L'empereur a indiqué quelques-uns des motifs qui l'ont décidé à offrir la paix à l'Autriche; mais voilà que l'empereur d'Autriche, se croyant tenu de son côté à justifier sa prompte adhésion aux offres de la France, a exposé, lui aussi, ses

motifs. Il a allégué que ses alliés naturels lui proposaient des conditions plus dures que celles qui lui étaient accordées par son ennemi vainqueur, et cette déclaration a soulevé en Allemagne une vive controverse, qui, amenant les cabinets de Berlin et de Vienne à rendre publiques leurs communications récentes, a jeté quelques lumières sur les circonstances diplomatiques au milieu desquelles le désir de la paix s'est emparé des souverains belligérans. Ces débats curieux et instructifs n'étaient point pourtant le principal intérêt du moment. L'on se demandait si l'arrangement de Villafranca serait accepté tel quel dans la portion de l'Italie, l'Italie centrale, dont les préliminaires ont semblé vouloir régler la condition dans des termes qui paraissent peu conformes aux dispositions actuellement connues des populations; l'on se demandait surtout si, pour assurer au moins quelque durée à l'état nouveau de l'Italie, l'Europe entière consentirait à sanctionner par une délibération collective des grandes puissances la constitution qu'il s'agit de donner à la péninsule. Sur ce point, l'opinion et les déterminations de l'Angleterre devaient être d'une grande importance; mais une émotion étrange, éclatant à l'improviste, comme tout ce qui arrive dans cette bienheureuse année 1859, envahit tout à coup l'opinion anglaise et se communique à la France. L'Angleterre, au moment où la paix se conclut, s'alarme de l'insuffisance de ses défenses, se croit menacée par le développement de la puissance militaire et maritime de la France, et s'exhorte, par l'organe de ses orateurs et de ses journaux, à faire sur une échelle considérable des armemens défensifs. La croisade des préparatifs anglais offense chez nous quelques esprits peu éclairés; le Moniteur lui-même la dénonce, non sans aigreur, et toute une presse dépouillée d'initiative propre, platement routinière, essaie de ranimer les vieilles rivalités. L'on redoutait qu'une nouvelle complication, la plus grave de toutes, ne vînt s'ajouter aux inextricables difficultés que la guerre d'Italie suivant les uns, la paix suivant les autres, nous ont léguées, lorsque le Moniteur, cette fois mieux inspiré, nous a annoncé que l'empereur avait décidé le prompt rétablissement du pied de paix dans notre armée et notre marine. C'est donc dans un milieu moralement fort troublé encore que nous avons d'abord à juger les arrangemens de Villafranca, et que nous devrons ensuite assister à la réalisation du nouveau régime préparé à l'Italie. Nous venons d'indiquer les principaux élémens de ce milieu; nous allons les étudier de plus près et essayer en même temps de découvrir les devoirs que l'exécution du traité de Villafranca impose à l'opinion libérale en Italie et en Europe.

Nous ne pouvions avoir, quant à nous, aucune hésitation à nous féliciter du rétablissement de la paix, considérée comme un fait général. Non-seulement l'état de paix nous paraît en lui-même préférable à l'état de guerre, mais nous pensions que la France, retournant à la liberté et exerçant dans la paix la féconde propagande de l'exemple, pouvait faire pour l'affranchissement de l'Italie une œuvre plus vraie, plus solide et plus durable que celle qu'on la provoquait à tenter par la simple initiative du pouvoir et par la force des armes. L'œuvre de la dernière guerre ne pouvait être pour nous une déception, car nous avions prévu les difficultés morales que cette guerre devait soulever et les contradictions qui devaient en marquer le dénoû

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ment. Nous avons été néanmoins frappés autant que tout le monde du discours où l'empereur, devançant le jugement de l'opinion, encore ignorante des conditions précises de Villafranca, a lui-même apprécié la paix qu'il venait de conclure. La courageuse franchise du discours impérial n'est certes pas son moindre mérite. Aux grands personnages qui étaient venus le féliciter, et dont les discours, illustrés parfois des souvenirs de l'antiquité romaine, ne respiraient, comme il est naturel, que l'admiration et l'allégresse, l'empereur n'a point dissimulé qu'il était moins satisfait qu'eux des résultats politiques de la guerre. En leur répondant, il semblait parler à un grand interlocuteur invisible, l'opinion publique. Et en effet, après avoir eu connaissance des préliminaires, dont les journaux allemands nous ont révélé le texte avec une exactitude reconnue par lord John Russell, nous ne pouvons qu'approuver le ton de regret qui règne dans le discours impérial. Non-seulement il est douloureux de terminer la guerre qui devait rendre l'Italie libre jusqu'à l'Adriatique sans avoir affranchi Venise, mais il est pénible de laisser les forteresses lombardes, Peschiera et Mantoue, entre les mains de l'Autriche, et de ne donner à la Sardaigne qu'une province menacée par les citadelles qui auraient dû être ses défenses naturelles. Nous ne pouvons que nous incliner devant les raisons qui ont décidé l'empereur à souscrire à ces conditions, car ce sont justement celles que nous faisions valoir nous-mêmes au commencement de cette année comme devant détourner la France d'entreprendre cette guerre, et ces raisons, que la prévision seule pouvait alors saisir, nous reviennent avec l'autorité de l'expérience, achetée par ce sang précieux dont l'empereur a parlé. Tout en faisant la part des mécomptes, l'empereur a cependant exprimé des espérances dans la fécondité de la paix. qu'il a conclue. Nous nous associons volontiers à ces espérances, et nous dirons tout à l'heure, en revenant sur les termes des préliminaires, à quelles conditions elles peuvent, suivant nous, se justifier.

Parmi les obstacles que l'empereur a signalés comme l'ayant arrêté dans son entreprise italienne, celui sur lequel il a le plus insisté est le mauvais vouloir de l'Europe. Il a montré l'Europe en armes prête à disputer nos succès ou à aggraver nos revers; il a hardiment avoué qu'il avait fait la guerre contre le gré de l'Europe, et même devant le corps diplomatique il s'est plaint de l'injustice de l'Europe envers lui. Sur ce point, l'empereur savait assurément mieux que nous l'état exact des choses: nous ne pouvons que recueillir une pareille révélation et en faire notre profit; mais une déclaration analogue de l'empereur d'Autriche a, comme nous l'avons dit, produit des contestations qui ont répandu de nouvelles lumières sur les dispositions de l'Europe à l'égard des belligérans. L'empereur d'Autriche s'est plaint, lui aussi, du mauvais vouloir de l'Europe : il est allé jusqu'à dire que, s'il a consenti à un traité qui lui coûte la Lombardie, c'est nonseulement parce que l'appui de ceux sur lesquels il avait cru pouvoir compter lui faisait défaut, mais encore parce que ses alliés naturels voulaient lui imposer des conditions plus désavantageuses que celles qui lui étaient proposées par la France. Cette déclaration a excité une surprise universelle dans le monde politique : l'on ne pouvait s'expliquer en effet comment le mauvais vouloir de l'Europe était ainsi doublement invoqué, et devenait le

motif décisif d'une paix offerte et acceptée des deux côtés comme un pisaller, comment il aurait pu peser sur l'un des deux souverains sans agir par cela même en faveur de l'autre. La cour de Vienne a senti apparemment cette fausse position, et pour justifier l'assertion de l'empereur FrançoisJoseph, elle a cru devoir livrer à la publicité certaines bases de pacification, en les représentant comme un projet de médiation qui lui aurait été transmis par les puissances neutres. Ce projet demandait en effet à l'Autriche des sacrifices plus considérables que ceux qu'elle a faits à Villafranca. Il comprenait sept articles: l'Italie devait être rendue à elle-même; elle devait former une confédération; la Sardaigne devait avoir la Lombardie, les forteresses comprises, avec une portion des duchés; un état indépendant comprenant Venise et Modène serait constitué sous un archiduc; la duchesse de Parme devait avoir la Toscane; les légations formeraient une vice-royauté, avec une administration laïque, sous la suzeraineté du saint-père; enfin un congrès devait être réuni pour transformer l'Italie sur ces bases, en ayant égard aux droits acquis et aux vœux des populations. Certes, une fois la guerre entreprise, de pareilles conditions paraissaient devoir en être l'objet raisonnable et modéré; mais était-il vrai, comme le donnait à entendre le cabinet de Vienne, que ce fût à un tel programme que les puissances neutres, la Prusse et l'Angleterre, se seraient arrêtées dans ce plan de médiation que l'on croyait la Prusse occupée à élaborer ?

Nous savons aujourd'hui l'histoire de ces sept articles; la discussion qu'ils ont excitée nous a même appris quelque chose de plus : elle nous a mis au courant des relations diplomatiques engagées entre la Prusse et l'Autriche au sujet de la guerre, et nous a fait assister au début du travail de médiation que la Prusse commençait à peine, lorsque la surprise de Villafranca est venue si à propos affranchir Berlin d'une tâche si difficile. Le cabinet prussien a eu à cœur de se laver du reproche que le cabinet de Vienne faisait planer sur lui. Il n'a pas voulu rester sous le coup d'une imputation qui représentait l'Autriche comme plus maltraitée par la Prusse, son alliée et sa confédérée, que par la France, son ennemie. Il a publié ses vieilles dépêches; Vienne a riposté. Les deux chancelleries allemandes, d'ordinaire si mystérieuses, ont livré tous leurs secrets. Nous savons maintenant ce que l'Autriche demandait à la Prusse, et ce que la Prusse voulait faire. Ces divulgations rétrospectives, nous le disons franchement, font peu d'honneur à la diplomatie allemande. Il faut les envoyer dans ces limbes encombrées de paperasses soi-disant politiques auxquelles devait songer Oxenstiern quand il disait à son fils: «Allez voir, mon enfant, combien est petite la sagesse qui préside au gouvernement des états! » Nous n'avons pas à nous plaindre, nous autres Français, de cette manie procédurière qui paralyse la diplomatie allemande. C'est donc avec une complète liberté d'esprit que nous en constatons la stérilité. La Prusse, on doit lui rendre cette justice, n'avait pas les intentions que lui prête le cabinet de Vienne; elle se proposait avec sincérité, croyons-nous, d'obtenir pour l'Autriche, par sa médiation, les meilleures conditions possibles : elle voulait par exemple maintenir le statu quo territorial, tout en obtenant des garanties pour un meilleur gouvernement intérieur de l'Italie. Son programme au fond n'allait pas au-delà des

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