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fameux quatre points que lord Cowley avait rapportés de Vienne, et qui devaient servir de thème à ce congrès hypothétique que la guerre frappa de stérilité. Seulement la Prusse prenait son temps pour obtenir le triomphe de ses vues favorables à l'Autriche; elle le prenait si bien, qu'au train qu'elle avait suivi jusqu'à la fin du mois de juin, l'on pouvait calculer que, la guerre continuant, l'Autriche eût été sans doute chassée du quadrilatère bien avant que la Prusse n'eût pu établir son concert avec l'Angleterre et la Russie sur des bases quelconques de médiation.

L'impatience de l'Autriche contre la Prusse, il faut donc le reconnaître, était naturelle; mais l'Autriche fournissait maladroitement elle-même des prétextes à la lenteur prussienne par l'incurable formalisme de ses prétentions. Certes le principal intérêt de l'Autriche était d'être secourue le plus tôt possible, n'importe à quel titre et sous quelle forme. Le cabinet de Vienne ne voyait pas tout à fait la chose ainsi : il voulait être secouru, mais à certains titres empruntés à la légalité des traités, dans de certaines formes correctes. Il prétendait que la Prusse était obligée à lui prêter main-forte par les traités de Vienne et par le lien de la confédération, que la voie de la médiation armée préférée par la Prusse pour introduire son intervention dans la lutte était vicieuse, parce que sous ce couvert le cabinet de Berlin s'arrogeait une véritable liberté d'action et échappait aux obligations positives d'alliance qu'on le sommait de remplir. Puis la cour de Vienne trouvait que le cabinet prussien devait au moins transformer les intentions qu'il manifestait en véritables engagemens, en se liant, sinon par un traité, du moins par un échange de notes. C'étaient là autant de sujets de controverses parasites que la Prusse acceptait, et dont elle se tirait avec une véritable supériorité de bon sens et de justice. Voilà ce qui s'agitait autour de la mission du général Willissen, qui donnait à la France de sérieuses préoccupations. La hauteur, la raideur et le pédantisme de l'Autriche envers la Prusse avaient si bien fait, qu'à la fin de juin, au moment où se livrait la bataille décisive de Solferino, M. de Schleinitz s'apprêtait seulement encore à appeler l'attention des cabinets de Londres et de Pétersbourg sur la convenance générale d'une médiation dont les termes n'étaient pas même indiqués. Ces cabinets n'avaient pas répondu, le principe et l'opportunité d'une médiation n'étaient point convenus, quand les préliminaires de Villafranca furent tracés. L'Autriche pouvait donc tout au plus se plaindre de la lenteur de la Prusse, si en effet elle conservait un droit pareil à l'égard d'un allié après avoir elle-même déclaré la guerre sans consulter cet allié et malgré sa désapprobation formelle; mais elle n'a pas le droit de lui attribuer un projet de médiation contraire aux intérêts autrichiens. C'est ce que M. de Schleinitz a parfaitement démontré à l'encontre du nouveau ministre des affaires étrangères de l'empereur François-Joseph, M. de Rechberg, qui n'a guère brillé dans ce débat.

Quant aux sept bases désignées à tort comme un projet de médiation, et à la publication desquelles nous sommes redevables de ces révélations sur les rapports des deux grandes cours allemandes, une interpellation très directe de M. Disraeli dans la séance de la chambre des communes où lord John Russell a présenté son exposé sur les affaires d'Italie a contraint lord

Palmerston à en expliquer l'origine et le caractère. A propos de ce prétendu plan de médiation, lord John Russell s'était contenté de dire qu'aucune puissance neutre n'avait, à sa connaissance, présenté à l'Autriche un projet de médiation quelconque. Cette dénégation, identique à celle de la Prusse, mettait à couvert la responsabilité du gouvernement anglais, et la Russie, à son tour, étant venue protester de son abstention, les trois puissances neutres démentaient également l'insinuation autrichienne; mais M. Disraeli, qui connaissait la chronique secrète de cet incident, dont l'Europe s'est tant occupée depuis quinze jours, a voulu mettre le public au courant de ce qui s'était réellement passé. Par une question très détaillée, et où était adroitement mêlée une incrimination contre la responsabilité du ministère anglais, il a ouvert la bouche à lord Palmerston. Le noble lord nous a donc appris qu'à un certain moment de la guerre, M. de Persigny avait donné à lord John Russell «< un petit papier » (a small bit of paper) sur lequel étaient écrites certaines conditions d'arrangement conçues en termes généraux, avec prière de transmettre ce mémorandum au gouvernement autrichien, en le lui recommandant comme un projet sur lequel la paix pourrait se conclure. Le gouvernement anglais, désirant la fin de la guerre, ne crut pas devoir refuser de servir d'intermédiaire à des communications qui avaient la paix pour objet, et fit la commission. Le mémorandum français fut transmis au ministre d'Autriche; mais lord Palmerston a eu bien soin de dire que lord John Russell avertit le ministre autrichien que c'était là une proposition française, sur laquelle le gouvernement anglais n'avait aucune opinion à exprimer, et que c'était à l'Autriche de décider quel usage elle en voudrait faire. Lord John Russell a-t-il apporté réellement dans la transmission du petit papier la circonspection, la discrétion et la réserve que, soucieux de prouver qu'il n'a point enfreint la ligne de neutralité que l'opinion anglaise imposait au gouvernement pendant la guerre, lord Palmerston revendique pour son collègue? De nouvelles révélations diplomatiques nous l'apprendront sans doute plus tard. Pour le moment, il est permis de considérer comme vidé cet incident bizarre. Que si l'on tenait absolument à mettre d'accord les déclarations des deux empereurs, ne pourrait-on pas supposer que l'Autriche, par une de ces étourderies dont elle a donné tant de preuves depuis quelques mois, a voulu voir la malveillance des neutres dans ce petit papier qu'elle a considéré à tort comme exprimant leur pensée, et qu'envers la France le mauvais vouloir de l'Europe a été justement la répugnance des neutres à s'approprier le mémorandum remis par M. de Persigny à lord John Russell?

Mais bien que ces discussions aient leur importance, elles paraissent presque futiles, si on les compare aux soucis que doivent inspirer l'état actuel de l'Italie et l'installation du régime nouveau que le traité préliminaire de Villafranca veut donner à la péninsule. Il est difficile, quand on réfléchit sur ces préliminaires, de n'être point un peu de l'avis de lord John Russell, qui jeudi dernier disait dans la chambre des communes que ce traité, si on tient compte de son objet, qui est le règlement des affaires italiennes, porte les traces de la hâte avec laquelle il a été conçu et rédigé. Nous ne parlerons pas des arrangemens territoriaux fixés par ces préliminaires. Nous ne

ferons pas remarquer que la conservation de la Vénétie par l'Autriche laisse subsister le principe de toutes les anciennes réclamations du patriotisme italien. Si ces réclamations étaient justes lorsqu'elles portaient à la fois sur la Lombardie et sur la Vénétie, ne conserveront-elles pas la même justice lorsqu'elles s'appliqueront à Venise? Nous ne dirons rien de l'annexion à la Sardaigne de la Lombardie mutilée de ses forteresses, et par cela même devenant pour le Piémont une possession précaire et ruineuse, si l'on se croit obligé d'opposer sur la rive droite du Mincio des murailles et des canons au formidable carré des citadelles autrichiennes. Nous considérons ces conditions comme un fait accompli, à propos duquel les regrets seraient aujourd'hui stériles. C'est une expérience nouvelle qui commence en assurant à l'Autriche un nouveau bail en Italie: sur la durée et le succès de cette expérience, nous ne voulons rien préjuger. Ce qui serait d'un mauvais présage, ce sont les forfanteries imprudentes de quelques journaux autrichiens qui osent dire déjà que la Lombardie ne sera perdue pour l'Autriche que pour peu de temps; ce sont encore les dispositions du parti clérical, qui ne se montre pas plus content que les autres, et qui, dans son mécontentement, semble dire que rien n'est fini dans aucun sens. Les plénipotentiaires français et sarde obtiendront-ils à Zurich une interprétation des préliminaires plus favorable sur quelques points de détail? Nous le souhaitons sans oser * l'espérer. La tâche du plénipotentiaire sarde sera pénible dans cette négociation. Si pourtant la finesse, l'habileté et l'expérience des affaires y peuvent quelque chose, la Sardaigne a droit d'attendre de bons services de son représentant. M. Des Ambrois de Nevache, président du conseil d'état et viceprésident du sénat, est un de ces ministres du roi Charles-Albert qui ont eu l'honneur de signer le statut, ce pacte des nouvelles grandeurs de la maison de Savoie et des espérances de l'Italie. Il sera accompagné de M. C. Nigra, qui, depuis un an, a joué un rôle discrètement, mais activement mêlé aux grandes affaires diplomatiques de la Sardaigne, et cette adjonction n'est point non plus faite pour décourager les espérances que comporte la situation des choses.

Si nous renonçons pour le moment à discuter les questions territoriales, c'est que les autres questions indiquées dans le traité, ou léguées par la guerre, nous paraissent bien plus graves. Les préliminaires annoncent d'une part que les deux empereurs favoriseront la création d'une confédération italienne, et d'autre part, que le grand-duc de Toscane et le duc de Modène rentreront dans leurs états. Ces deux questions, jointes à la situation des légations et à la question du gouvernement pontifical ont entre elles une étroite et sérieuse connexité. Elles n'excitent pas seulement l'anxiété des libéraux italiens, elles doivent inspirer une profonde sollicitude à tous les libéraux de l'Europe, et surtout à toutes les nuances de l'opinion libérale en France, car c'est en elles que viennent se concentrer les responsabilités que nous venons de contracter envers l'Italie, et c'est de la solution qu'elles recevront que dépend la justification morale de la guerre entreprise par la France au nom de l'indépendance italienne.

Le lien qui unit ces trois questions est aisé à discerner. Il saute aux yeux que la confédération que l'on se propose d'organiser en Italie recevra son

caractère de la nature même des gouvernemens qui seront appelés à en faire partie. Si l'on suppose l'autorité du pape rétablie dans les légations, le duc de Modène et le grand-duc de Toscane rentrés dans leurs états, et les gouvernemens de ces souverains revenant à leurs anciens erremens, que sera la confédération, sinon le sépulcre scellé de l'indépendance et de la liberté italiennes? En Italie, en France, parmi les esprits qui se permettent encore de penser en matière politique, — en Angleterre, c'est le sentiment unanime. Un Florentin, M. de' Gori, vient, dans une brochure, d'exprimer avec autant de mesure que de fermeté l'opinion des libéraux italiens sur le leurre et le péril d'une confédération ainsi composée. La confédération italienne ne serait peut-être acceptée par aucun libéral italien dans de telles données; mais elle serait bien sûrement combattue avec énergie par le Piémont, seul gouvernement vivant de l'Italie, que l'on chercherait ainsi à lier à des cadavres. C'est la même pensée qu'exprimaient l'autre jour dans le parlement lord Palmerston et lord John Russell, lorsqu'ils évoquaient, pour en faire ressortir la chimère, l'hypothèse du roi de Sardaigne excommunié siégeant autour de la même table en face du pape, du Piémont, qui vit par la liberté de la presse, de la tribune, de la conscience, associé à l'Autriche, liée à l'absolutisme religieux et politique par un concordat digne du moyen âge. Mais, dit-on, tous les souverains italiens, à commencer par le pape, feront des réformes indispensables, des réformes salutaires... Des réformes! soit; il faut en tout cas que ces réformes soient accomplies avant la constitution de la confédération, et il faut que ces réformes soient des garanties certaines qui assurent l'influence constante du sentiment et de l'opinion des populations sur l'esprit des gouvernemens. Malheureusement, le jour où la question serait ainsi posée, il y aurait lieu de le craindre, ce seraient les gouvernemens eux-mêmes qui en haine des réformes repousseraient la confédération. Et que l'on n'allègue point l'exemple des confédérations déjà existantes dans le monde, et où le lien fédéral comporte une certaine diversité et jusqu'à un certain point même un principe d'antagonisme entre les états dont elles sont formées; que l'on ne cite pas l'exemple de l'Allemagne ou de la Suisse: ce sont là des confédérations naturelles, vieilles de plusieurs siècles, et dont les diversités intérieures se sont développées comme le lien fédéral qui les embrasse avec le temps. Votre confédération italienne au contraire est une conception artificielle, qu'il s'agit d'appliquer à des antagonismes préexistans et envenimés par de violentes et longues haines. Une fédération nouvelle ne peut être adoptée que par des populations et des gouvernemens homogènes, unis dans la même pensée et voulant assurer par leur association le triomphe des mêmes idées et des mêmes intérêts. L'Italie ne se confédérera que si elle est tout entière libérale ou tout entière absolutiste. Hors de là, le dernier terme de la confédération serait ou la révolution ou l'oppression.

Les empereurs qui ont signé les préliminaires de Villafranca ont bien compris qu'il ne leur appartenait pas de décréter une confédération qui ne peut être formée que par la libre adhésion de souverainetés indépendantes; aussi n'ont-ils pris d'autre engagement que de favoriser une combinaison semblable. Nous aurions voulu que la même réserve eût été observée à l'é

gard des restaurations annoncées dans les duchés de Modène et de Toscane. Nous attendons avec curiosité les conférences de Zurich pour savoir quelle sanction l'on donnera au rétablissement des archiducs qui ont quitté leurs états plutôt que de se rendre aux vœux des populations et de s'unir au mouyement national. Ces princes seront-ils rappelés par leurs propres sujets? Personne assurément n'y compte, pas plus pour le duc de Modène que pour la dynastie toscane. Les Modenais et les Toscans ne s'occupent que d'exprimer par des votes populaires leur inébranlable résolution de ne plus se laisser gouverner par des princes autrichiens. Quant au danger que le duc de Modène puisse rentrer dans son duché avec les troupes qui lui sont restées fidèles, personne en Italie ne s'en effraie. L'on vient en Piémont d'adresser aux chefs de tous les corps ou régimens nouvellement formés (celui du général Garibaldi est du nombre) une circulaire qui les autorise à donner des congés aux soldats volontaires. L'on calcule que douze ou quinze mille volontaires des diverses parties de l'Italie seront ainsi libérés, et comme ils peuvent se porter où ils voudront, il n'est pas vraisemblable qu'aucun des princes fugitifs accomplisse sa restauration avec ses seules ressources. Il ne leur resterait donc que le concours étranger, mais lequel? Ce n'est pas assurément celui de la France : nous ne pouvons oublier que c'est notre entrée même en campagne qui a déterminé les révolutions de Toscane et de Modène, et que ces mouvemens étaient au moins un concours moral à la cause que nous allions défendre en Italie, qu'ils étaient la justification la plus saisissante de notre entreprise. La France ne peut pas mettre et ne mettra pas la main de ses soldats dans de telles restaurations, et nous n'avions pas besoin d'être prévenus par lord John Russell des intentions de l'empereur sur ce point. Est-ce l'Autriche qui ramènera ses archiducs à Modène et à Florence? Nous doutons que l'Autriche osât en ce moment essayer une telle tentative, et nous sommes persuadés que la France ne là tolérerait point. Ce que nous disons des duchés peut s'appliquer en grande partie aux légations, et l'on voit que, malgré l'article des préliminaires relatif aux restaurations, une grande incertitude continue à régner sur la situation future de l'Italie centrale.

Au règlement libéral des affaires de l'Italie centrale est, suivant nous, subordonné le succès, au point de vue libéral aussi, de la confédération projetée. L'une et l'autre questions échappent à l'autorité des deux puissances qui ont signé la paix de Villafranca, car cette autorité ne va pas jusqu'à lier des populations à des gouvernemens qu'elles repoussent hautement, ni à lier des états souverains dans un pacte qu'il ne leur conviendrait pas d'accepter. Nous ne verrions pour notre compte aucun inconvénient à la durée pendant un certain temps de la situation actuelle dans l'Italie centrale, afin que le divorce qui s'y est prononcé si énergiquement entre les populations et leurs anciens gouvernemens fût établi d'une façon irrécusable dans la conscience de l'Europe. Il y a quelque chose à la fois d'absurde et de monstrueux à vouloir perpétuer des gouvernemens qui tombent devant leurs peuples dès qu'ils se trouvent seuls en face d'eux, et qui ne peuvent se relever et se soutenir que par l'appui étranger. Cette intervention étrangère, appelée sans cesse par les mauvais gouvernemens italiens, a ouvert à toutes les

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