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28 0.20. EHOW

PREFACE.

L faut être aussi téméraire que je le fuis, pour ofer mettre au jour une Traduction en vers des Ouvrages d'un ancien Poëte, & d'un Poëte tel qu'ANACREON: outre que c'eft ne vouloir pas convenir avec le célébre Mr. LE CLERC, de l'inutilité, & du danger de la Poëfie, c'eft donner atteinte à l'éloquente digreffion de Mr. DE FONTENELLE fur les Anciens ; & c'est fe revolter contre la décifion de l'illuftre Me. DACIER en faveur des Traductions en profe.

Quelque danger qu'il y ait à combattre les Jentimens de ces fameux Auteurs, le zéle que j'ai pour la vérité, fait que je n'hésite point à entrer en Lice pour foutenir un parti, qui me paroit avoir la raifon de fon coté. Dans ce deffein je diviferai ce Difcours en trois parties; dans la premiére je ferai voir l'utilité de la Poëfie

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contre les attaques de fes Adverfaires; dans la feconde je m'éforcerai de maintenir la préférence due aux Anciens fur les Modernes ; & dans la troifiéme j'espére prouver invinciblement que les vers font préférables à la profe, quand il s'agit de traduire les Ouvrages des Poëtes.

DISCOURS APOLOGETIQUE

ΕΝ

FAVEUR DE LA POESIE

DES POETES.

Quoique la Poëfie foit par elle-même fi fublime & fi eftimable, & qu'elle ne craigne point les infultes de ceux qui ofent l'attaquer; je crois cependant qu'il eft bon de repouffer les calomnies de fes Adverfaires afin qu'ils ne tirent point de notre filence le fujet d'un vain triomphe. Je fuis furpris que Mr. DE LA MOTTE, loin de prendre le parti d'un art dans lequel il excelle ait fourni un nouveau prétexte à ceux qui le méprifent par l'aveu qu'il a fait de fon peu d'utilité. Je suis d'un sentiment bien contraire, étant convaincu que fi la Poëfie n'eft pas d'une utilité abfolue, elle eft au moins d'une utilité néceffaire. Pour prouver ce que j'avance, il n'y a qu'à donner une jufte idée de la Poefie: c'eft l'art d'ex

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primer fes Penfées de la maniére la plus parfaite, & de plaire, ravir, enchanter & perfuader par la beauté des images, & par l'harmonie des Paroles.

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Quoi! va-t-on d'abord s'écrier Théologien, un Philosophe, un Jurifconfulte ne raisonne pas mieux qu'un Poëte. Voilà fans doute une de ces propofitions qui tiennent du Paradoxe. Paradoxe tant qu'il vous plaira; mais fi je prouve une fois que la Poëfie produit tous les plus folides éfets du raifonnement, il fera hors de doute que le Poëte ne foit celui de tous les bommes qui raifonne avec le plus de folidité.

Or afin que le Lecteur dégagé de toute prévention foit plus difpofé à fe rendre aux preuves que j'efpére lui donner de l'utilité de la Poëfie; je crois qu'avant toutes chofes il eft à-propos de réfuter l'objection générale que l'on fait contre elle.

Cette objection confifte à dire, que la Poëfie eft contraire aux bonnes mœurs. Mr. LE FEVRE, fils du fameux Mr. LE FEVRE, pere de Me. DACIER, l'a étalé il y a quelques années avec beaucoup d'oftentation dans un petit Traité intitulé de Futilitate Poëtices, où il prétend démontrer que la Poëfie eft une fource criminelle d'ignorance, d'impiété, & de

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tous

tous les Crimes imaginables. La preuve qu'il en donne, c'eft, dit-il, que les Poëtes font eux-mêmes des Ignorans des Athées, des Impies & des Scélerats.

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Si ce raifonnement avoit lieu, il ne feroit pas dificile de prouver que la Profe eft encore pire que la Poëfie; puifque s'il y a des Poëtes fcélerats, il y a infiniment plus de Scélerats qui ne font point Poëtes.

Cette objection eft fi frivole, que je l'abandonnerois à fa propre foibleffe, fi le favant Mr. LE CLERC ne l'avoit orné de fon éloquence, & ne la faifoit valoir dans fon Parrhafiana, d'une maniére capable d'éblouir. * Quand on fe met, dit-il, à lire un Poëte, il faut fe dire que c'est l'Ouvrage d'un Menteur, qui nous veut entretenir de chimeres, ou au moins de véritez fi gâtées, qu'on a bien de la peine à diftinguer le vrai du faux. Il faut fe reffouvenir que les expreffions dont il fe fert, ne font le plus fouvent que pour furprendre notre raifon; & que la cadence, qu'il emploie, n'eft que pour flatter nos oreilles; afin de nous faire admirer fon fujet, & de nous donner une grande idée de lui-même, &c.

Cette peinture d'un Poëte, quoique fort adou

* Parrhafiana, tom. 1. pag. 2.

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