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HISTOIRE UNIVERSELLE

DE

L'ÉGLISE CATHOLIQUE

LIVRE TRENTE-CINQUIÈME.

DE LA MORT DE JULIEN L'APOSTAT, 363, a la mort de l'EMPEREUR VALENS, 378.

Les églises affligées de l'Orient n'attendent leur salut que de l'Occident et de Rome, et les nations barbares commencent

à exécuter la justice de Dieu sur l'empire romain.

Par suite des imprudences de Julien, l'armée romaine se trouvait dans une position très-fâcheuse : au delà du Tigre, n'ayant aucun moyen de le repasser; au milieu d'un pays ennemi, sans provisions et sans moyen de s'en procurer; dévorée par la faim, par la soif, par les ardeurs d'un soleil brûlant; harcelée sans cesse par d'innombrables cavaliers, qui ne combattaient pas moins en fuyant que de pied ferme. La dernière bataille avait été sanglante. Avec l'empereur, on avait perdu quelques-uns des plus braves généraux; les autres s'assemblèrent pour lui donner un successeur. Il se trouva deux partis : celui de l'ancienne cour et celui de la nouvelle, mais bientôt toutes les voix se réunirent sur Salluste Second, préfet du prétoire d'Orient; il n'avait échappé à la mort dans la dernière bataille, que grâce au courageux dévouement d'un de ses aides de camp; il était païen, mais d'une conduite presque chrétienne. Il refusa l'empire, s'excusant sur sa vieillesse et sur ses infirmités 1.

Pendant qu'on délibérait à la hâte, quelques-uns proclamèrent Jo

1 Amm., 1. 25, n. 5.

vien empereur. Aussitôt on le revêtit de la pourpre et on le conduisit hors de la tente, et il fut reconnu, aux acclamations de l'armée. Il avait été capitaine des gardes, qu'on appelait alors les domestiques, et, comme tel, avait conduit le corps de Constance de Cilicie à Constantinople. Julien, faisant une exception pour lui, l'avait emmené à cette expédition quoiqu'il fût zélé chrétien. Il était âgé de trentedeux ans et se recommandait près des soldats par l'estime dont jouissait Varronnien, son père, longtemps chef de la première et la plus illustre des légions; d'une taille si haute, qu'on eut peine à trouver un vêtement impérial qui pût lui aller, il avait une corpulence proportionnée à sa taille, un esprit vif, une humeur gaie, des manières engageantes, beaucoup de goût pour les lettres. D'un naturel trèsgénéreux, il conserva dans la pourpre l'affabilité et la modestie qui le distinguaient comme particulier. Ammien loue son caractère bienveillant et la circonspection avec laquelle il choisit les magistrats. Il lui reproche d'avoir été gourmand, adonné au vin et aux femmes ; vices, ajoute-t-il, dont il se serait peut-être corrigé par respect pour la pourpre impériale 1.

L'élection ainsi faite, on consulta pour Jovien les entrailles des victimes, et les aruspices déclarèrent qu'il fallait se résoudre à partir ou à tout perdre 2. Voilà ce que raconte non-seulement Zosime, mais encore Ammien-Marcellin, témoin oculaire et digne de foi. Ceci rend un peu suspect le récit de quatre historiens ecclésiastiques, dont trois auront suivi le premier, et celui-ci un bruit incertain. Théodoret en parle avec le plus de détail. Il rapporte que Jovien, ayant été proclamé empereur par les soldats, leur dit sans détour qu'il était chrétien et qu'il ne voulait pas commander à des idolâtres; que, là-dessus, tous les soldats répondirent qu'eux aussi étaient chrétiens, et que le règne si court de Julien n'avait point effacé les instructions qu'ils avaient reçues au temps de Constantin et de Constance 3. Certainement, si toute l'armée avait tenu ce langage, on n'y aurait pas fait pour l'empereur un acte d'idolâtrie en consultant les entrailles des victimes. Quelques soldats, quelques légions, peut-être les gardes du corps, auront parlé ainsi. Encore faut-il se rappeler que, dans ce siècle, il y avait beaucoup d'hommes qui professaient le christianisme, mais qui différaient leur baptême pour n'être pas obligés de mener une vie chrétienne et se livrer plus librement à leurs passions, sûrs qu'ils étaient d'être purifiés de tous leurs crimes en recevant le baptême au moment de la mort. C'était surtout le cas des hommes de guerre; en effet, la plupart des généraux les plus distingués de

1 Amm., 1. 25, n. 5 et 10.

2

Amm., ibid., n. 6.

3 Theod., 1. 4, c. 1.

Julien se montrèrent chrétiens plus tard. On conçoit que, dans une révolution politique, des chrétiens de cette espèce n'y regardassent pas de si près. Aussi verrons-nous des légions entières prêter serment de fidélité, au nom de Jupiter, à l'usurpateur Procope. Si donc Jovien, à qui Ammien rend le témoignage d'avoir été un chrétien zélé 1, n'a point empêché qu'on ne consultât à son sujet les entrailles des victimes, c'est qu'il n'aura point osé, à cause des préjugés dominants de la multitude d'idolâtres qui composaient l'armée.

:

La première tâche du nouvel empereur était de sauver cette armée; ce qui n'était pas facile. A peine se fut-elle mise en marche, qu'elle vit attaquer ses derrières par les Perses. Et ce n'étaient plus les Perses du temps de Xénophon, ne connaissant d'autre tactique que le nombre, et au travers desquels dix mille Grecs purent se tirer par leur valeur et leur discipline. Depuis ce temps, les Perses avaient appris l'art de la guerre, et des Grecs et des Romains. D'ailleurs, ils n'étaient pas seuls les Sarrasins, que Julien avait eu la maladresse d'irriter contre les Romains par une fierté pédantesque, les harcelaient sans cesse de toutes parts, avec la même fureur et la même rapacité qu'on voit encore de nos jours aux Bédouins. Au milieu de tant d'ennemis acharnés, il y eut un jour où l'armée ne put avancer que de cinq quarts de lieue; les deux jours suivants, elle ne put avancer d'un pas. Et il y avait une trentaine de lieues jusqu'à la Corduène, à travers des déserts ou des pays ravagés exprès par les Perses. Si on n'avait pas brûlé la flotte, on aurait encore eu quelques vivres; maintenant on se voyait réduit à mourir de faim. Si on n'avait pas brûlé la flotte, on aurait pu passer le Tigre, au bord duquel on campait. Tout à coup, s'imaginant que les terres romaines sont à l'autre rive, l'armée s'écrie d'une voix menaçante : Passons le fleuve! En vain l'empereur et les généraux en montrent l'impossibilité, le fleuve étant devenu plus profond et plus rapide par la fonte des neiges de l'Arménie, et ses rives étant occupées par l'ennemi; la multitude, incapable d'entendre raison, allait se soulever, si Jovien n'avait ordonné à cinq cents hommes d'élite d'en tenter l'essai. C'étaient des Gaulois et des Germains, habitués à traverser à la nage les fleuves de leurs pays. Ils essayèrent pendant la nuit, en vinrent à bout, trouvèrent les gardes endormis et firent un horrible carnage. Il devint impossible d'arrêter davantage l'armée; tout ce qu'on put obtenir, c'est qu'elle attendit que les ingénieurs eussent construit un pont flottant sur des vessies et des outres. On y travailla deux

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1 Amm., 1. 25, n. 10.

De 363 jours, sans aucun succès, tant le fleuve était rapide. Le dernier vœu de l'armée au désespoir fut de mourir les armes à la main. La Providence vint à leur secours d'une manière inespérée. C'est Ammien lui-même qui le dit 1. Dès avant la mort de Julien, Sapor, qui avait marché contre le roi d'Arménie, envoya des ambassadeurs pour traiter de la paix. Ils furent reçus par Jovien. Les négociations traînèrent quatre jours. Ce furent quatre jours d'angoisse pour l'armée romaine, qui mourait de faim. Les Romains cédèrent cinq provinces au delà du Tigre, avec les villes de Singara et de Nisibe en deçà, dont les habitants se retirèrent sur les terres de l'empire. Ce traité est appelé honteux, mais nécessaire, par Eutrope, qui était de l'expédition 2. Ammien dit que jamais auparavant les Romains n'avaient cédé un pouce de terrain : c'est une erreur. Adrien avait cédé de plus grandes provinces; Rome elle-même, au commencement de la république, s'était rendue au roi Porsenna, sous les conditions les plus humiliantes. Ammien dit encore que si, pendant ces quatre jours, on avait marché en avant, on aurait pu atteindre la Corduène, province de l'empire qui n'était éloignée que d'une trentaine de lieues 3. Mais lui-même nous apprend que le troisième jour avant les négociations, l'armée n'avait pu avancer que de cinq quarts de lieue, et que les deux jours suivants elle ne put même avancer d'un pas; mais, après la conclusion de la paix et lorsque cette même armée n'avait plus d'ennemi à combattre, il en périt encore une partie considérable, soit en traversant le Tigre, soit en traversant des pays déserts ou ravagés. S'il y a quelqu'un à blâmer, c'est celui qui, par sa témérité, avait mis l'armée dans un si grand péril. La paix conclue, il était de l'honneur d'un empereur romain d'en observer les conditions, autant du moins que les observerait la partie adverse: c'est ce que fit Jovien. Aussi, quelque désastreux que pût paraître ce traité, il procura une assez longue paix entre les deux empires; pendant bien des années, il n'y eut plus entre eux de guerre directe: Nisibe même reviendra aux Romains.

Ammien déplore encore, comme une impiété funeste, l'engagement pris par les Romains de ne plus secourir Arsace, roi d'Arménie, leur allié toujours fidèle. Arsace était un prince versatile, peu aimé de ses sujets et peu digne de l'être. Tant qu'il fut docile aux conseils du patriarche Nersès, il fut un prince vertueux; mais le patriarche ayant été, contre le droit des gens, exilé pour son orthodoxie par l'empereur Constance, Arsace se pervertit prodigieusement. Monté sur le trône par l'abdication de son père, il fit mourir ce père ;

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