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sujet de scandale, et aux ecclésiastiques qui demeuraient avec lui une occasion de tentation, ou du moins une matière de mauvais soupçons pour les méchants. Si des femmes voulaient le voir, il ne les recevait point sans se faire accompagner de quelques clercs, et ne leur parlait jamais seul à seul. Il ne visitait les monastères de femmes qu'en cas de pressante nécessité. Si des malades le demandaient pour prier Dieu sur eux et leur imposer les mains, il y allait aussitôt; hors de là, il ne visitait que les personnes affligées, comme les veuves et les orphelins.

Il confiait l'administration des biens de l'église à ceux de ses clercs qu'il croyait les plus propres à cet emploi, et leur faisait rendre compte chaque année des recettes et des dépenses. Quoiqu'il n'eût point de trésor pour y conserver de l'argent, il avait une espèce de tronc pour recevoir les aumônes et les oblations des fidèles, dont il usait en faveur des pauvres. Quelques-uns murmuraient de ce qu'il faisait difficulté de recevoir des successions; mais il s'en mettait peu en peine, et, croyant qu'il fallait en ces rencontres user de beaucoup de discrétion, il ne recevait point les donations qui étaient peu honorables à l'église ou qui auraient pu lui être à charge, mais seulement celles qui étaient saintes. Il exhortait même les fidèles à compter Jésus-Christ au nombre de leurs enfants, et à lui laisser une part dans leur succession.

S'il n'aimait point à faire de nouveaux édifices à cause de l'embarras qui en revient, il n'empêchait pas les autres de bâtir, à moins qu'ils ne donnassent dans l'excès. Nous lisons dans un de ses discours, qu'il commanda au prêtré Léporius de construire un hôpital pour les étrangers, de l'argent qu'on avait donné à l'église pour cet effet, et que, du reste de cet argent, Léporius bâtit aussi, par son ordre, la basilique des Huit-Martyrs. Il donnait souvent aux pauvres du fonds même d'où il prenait sa subsistance et celle de sa communauté, et, quand l'argent lui manquait, il en avertissait le peuple, afin d'avoir toujours de quoi donner aux pauvres. C'est ce qui paraît par un discours qu'il fit le jour de son ordination, et par un autre qu'il finit en ces termes : Je suis mendiant pour les mendiants, et je veux bien l'être, afin que vous soyez vous-mêmes du nombre des enfants de Dieu 1. Il parle dans un autre discours d'une coutume qu'il avait établie parmi son peuple, de vêtir tous les ans les pauvres. Comme on y manqua une fois pendant son absence, il en reprit aussitôt son clergé et son peuple par une lettre qu'il leur écrivit. Enfin, sa compassion pour les malheureux alla jusqu'à lui faire rompre les

1 Serm. 356, n. 15. Ibid., 339, c. 3. Possid. n. 23, 24.

vases sacrés et les faire fondre, pour en assister les pauvres et les captifs 1.

Suivant exactement les règles que saint Paul prescrivait à Timothée, il reprenait publiquement ceux dont les crimes étaient publics, afin de donner de la crainte aux autres. Il y avait, néanmoins, certains vices qu'il ne combattait que comme en riant, quoiqu'ils fussent publics, de crainte de porter les pécheurs à la colère et de passer pour un novateur. Telles étaient les observations superstitieuses des jours, qui, quoique condamnées par saint Paul, étaient si communes en Afrique, qu'on les pratiquait ouvertement et sans aucun scrupule. Quant aux péchés secrets, lorsqu'ils étaient considérables, comme les homicides ou les adultères, il avertissait en secret ceux qui en étaient coupables, et ne négligeait rien pour leur persuader d'en faire pénitence. Quelquefois il refusait de manger avec certains chrétiens d'une vie déréglée, afin de leur faire confusion, et les engager par là à rentrer dans leur devoir, et, au contraire, il mangeait souvent avec des païens et des impies, en les recevant à sa table, plutôt qu'avec de mauvais catholiques, se conformant en cela au précepte de saint Paul. Il employait l'excommunication envers les pécheurs qui le méritaient, autant que la paix de l'Église le pouvait souffrir et qu'il jugeait cette censure utile pour leur salut. Mais il n'osait en user de même à l'égard de ceux qui étaient sujets à l'ivrognerie, quoiqu'ils le méritassent, parce que, n'étant point persuadés de la grandeur de leurs fautes, ce châtiment aurait peut-être contribué à les rendre pires. Il était plus sévère envers les maris qui ne gardaient pas la foi conjugale, et avertissait ceux qui savaient que leurs désordres lui étaient connus, de s'abstenir de la communion, de peur que, s'ils s'y présentaient, il ne les fit chasser de l'autel. Il avait pour maxime, qu'un homme consacré au service de Dieu ne doit point se mêler de faire des mariages, de peur que les mariés, venant à se quereller, ne maudissent celui qui leur avait procuré un engagement où ils se trouvent malheureux; ni appuyer de ses recommandations ceux qui veulent entrer dans les offices de la cour, de crainte que, s'ils ne réussissent pas, on ne jette la faute sur celui qui les a produits; et aussi qu'il doit s'abstenir d'aller manger chez personne dans le lieu de sa demeure, parce que l'occasion s'en présentant souvent, il se mettrait en danger de s'accoutumer à passer les bornes de la tempérance 2.

Saint Augustin n'était encore que prêtre quand il reçut une lettre charmante de suavité, d'élégance, d'amitié et de louanges, de la part d'un illustre sénateur et consul romain, qui, avec sa femme, ve

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nait d'embrasser la vie monastique. La lettre était accompagnée d'un pain bénit, en signe d'union. Elle portait en tête: Au seigneur Augustin, frère unanime et vénérable, Paulin et Thérèse, pécheurs. C'était saint Paulin, né à Bordeaux en 353. On comptait une longue suite de sénateurs illustres dans sa famille, tant du côté paternel que du côté maternel. Son père, Pontius-Paulinus, était préfet du prétoire dans les Gaules, et le premier magistrat de l'empire d'Occident. A cette haute naissance Paulin joignait un esprit élevé et pénétrant, un génie riche et fécond, une facilité merveilleuse à s'exprimer. H cultiva ces dispositions dès son enfance, par une étude assidue des différentes branches de la littérature. Il eut pour maître d'éloquence et de poésie le célèbre Ausone, qui fut consul l'an 379. On l'éleva, quoique jeune encore, aux premières dignités, et il fut déclaré consul avant Ausone, son maître. Il épousa une Espagnole nommée Thérasie ou Thérèse, qui lui apporta de grands biens, et qui était surtout distinguée par son mérite personnel et par sa piété. Il se fit un grand nombre d'amis en Italie, en Espagne et dans les Gaules, où il avait déployé, durant l'espace de quinze ans, ses rares talents et sa merveilleuse capacité pour l'administration des affaires, tant publiques que particulières. Mais la mort d'un frère, les révolutions politiques qui suivirent le meurtre de l'empereur Gratien, et plus encore les entretiens qu'il eut avec saint Ambroise de Milan, avec saint Martin de Tours, avec saint Victrice de Rouen, avec saint Delphin de Bordeaux, de la main duquel il reçut le baptême vers l'an 380, lui donnèrent du goût pour la retraite et le pénétrèrent d'un désir sincère de mener une vie plus chrétienne. Enfin, encouragé par sa femme, ils se retirèrent l'un et l'autre dans une petite terre qu'ils avaient en Espagne, et s'y occupèrent uniquement de leur sanctification, depuis l'an 390 jusqu'à l'an 394. Ce fut là qu'ils perdirent le fils unique que Dieu leur avait donné. Ils l'enterrèrent à Alcala, auprès des saints martyrs Just et Pasteur. Depuis ce temps-là, ils s'engagèrent d'un consentement mutuel à vivre dans une continence perpétuelle. Bientôt après, Paulin changea d'habit, afin d'annoncer au monde qu'il n'auraît plus rien de commun avec lui; il prit aussi la résolution d'abandonner le sénat, son pays, ses biens, et d'aller s'ensevelir dans un monastère ou dans un désert. Ses biens devaient être fort considérables, puisque Ausone témoigne du regret de voir partager. entre cent personnes différentes les royaumes de Paulin, son père..

Le saint vendit toutes ses possessions et en distribua le prix aux malheureux.. Il ouvrit ses greniers et ses celliers à tous venants. Non content des pauvres de son voisinage, il les appelait de toutes parts

pour les nourrir et les vêtir. Il racheta une infinité de captifs et de pauvres débiteurs réduits à l'esclavage faute d'avoir de quoi payer. Il vendit également les biens de sa femme, qui n'aspirait pas avec moins de ferveur que lui à la pratique de la pauvreté volontaire. Une telle action fut admirée et louée par tous les grands saints qui se voyaient alors dans l'Église. Mais les gens du siècle la traitèrent de folie. Paulin fut abandonné de tout le monde, même de ses proches et de ses esclaves, qui refusaient de lui rendre les devoirs les plus communs de l'humanité. Ausone, son maître, qui était chrétien, mais tout juste ce qu'il fallait pour n'être pas un païen, se plaignit de son changement à lui-même par plusieurs lettres en vers. Le saint lui répondit par plusieurs petits poëmes d'une urbanité exquise, où il l'assure que sa conversion à Dieu ne fera que rendre plus intime leur ancienne amitié.

Toutefois, au milieu de ce blâme universel, il vit deux de ses amis les plus illustres se mettre en devoir de suivre son exemple. Le premier fut saint Sulpice Sévère, né en Aquitaine, aux environs de Toulouse, d'une famille également noble et riche. L'étude des lettres occupa ses premières années. Il lut si bien les bons auteurs du siècle d'Auguste, qu'on le dirait l'un d'entre eux. Après s'être distingué dans le barreau quelque temps, il épousa une femme de famille consulaire, qui lui apporta des biens considérables, mais qui lui fut bientôt enlevée par la mort. Il continua de vivre dans la plus parfaite intelligence avec sa belle-mère, qui était une chrétienne fervente, et qui l'aimait comme son fils. La perte de sa femme, les bons exemples de sa belle-mère, mais surtout l'exemple de saint Paulin, lui firent prendre la résolution de quitter le monde. Il l'exécuta vers l'an 392, étant encore à la fleur de son âge. Il employait tous ses revenus en aumônes et en d'autres bonnes œuvres ; de sorte qu'il était moins le propriétaire de son bien que l'économe de l'église et des pauvres. Ses amis du siècle le blâmèrent; mais il n'en fut point ébranlé, et se retira dans un village d'Aquitaine, où il fixa sa demeure dans une cabane. Ses serviteurs et ses esclaves, qui l'avaient suivi, devinrent ses frères et ses disciples, et se consacrèrent avec lui au service du Seigneur. Ils couchaient tous sur la paille ou sur des cilices étendus par terre. Ils ne se nourrissaient que de pain bis, de légumes et d'herbes bouillies, qu'ils assaisonnaient seulement d'un peu de vinaigre. La retraite de Sulpice ne fut point perdue pour la littérature chrétienne: il écrivit en deux livres une Histoire sacrée, autrement une histoire ecclésiastique, depuis l'origine du monde jusqu'à l'an 400 de Jésus-Christ. C'est un chef-d'œuvre de précision et d'élégance. Il écrivit de plus une Vie de saint Martin, dont il fut le disciple chéri,

trois dialogues, dont deux sur les vertus du même saint, et l'autre sur les vertus des moines de l'Orient. Encore hommes du monde, déjà Sulpice et Paulin étaient amis intimes: devenus saints l'un et l'autre, leur amitié n'en devint que plus affectueuse, comme on le voit par quatorze lettres de Paulin, qui sont des modèles d'élégance et de piété.

Nous avons encore trois lettres de saint Paulin à un autre de ses amis qui suivit son exemple. C'est saint Aper, vulgairement saint Evre. Il s'était fait remarquer dans le monde dès sa jeunesse, nonseulement par ses richesses et sa naissance, mais encore par son esprit, son éloquence, son savoir et par l'habileté qu'il avait pour les affaires. Il épousa une femme nommée Amande, dont il eut plusieurs "fils et une fille, et après avoir paru dans le barreau avec grande réputation, il exerça de même diverses magistratures, et comme assesseur et comme juge. Lorsque son ami Paulin eut émerveillé l'univers entier par son renoncement à toutes choses, il lui écrivit pour lui apprendre que lui-même aussi était changé; que Dieu avait enfin dissipé les ténèbres de son esprit, et que, convaincu de la vérité, il croyait d'une foi vive et invariable que Jésus-Christ est le Fils de Dieu et qu'il a été attaché à la croix pour le salut des hommes. Saint Paulin lui répondit aussitôt, tant pour le féliciter que pour l'affermir dans ces saintes résolutions et traiter avec lui des vrais moyens de servir Dieu. Sa femme le suivit ou plutôt le devança dans cette nouvelle voie. Ils firent profession d'une continence perpétuelle et ne vécurent plus ensemble que comme frère et sœur, et que pour veiller à l'éducation de leurs enfants. Ils avaient d'abord pris la résolution, à l'exemple de Paulin et de Thérasie, de se dépouiller entièrement de tous leurs biens; mais la considération de leurs enfants les empêcha. Saint Aper comptait goûter les douceurs de la piété dans la retraite et l'étude des divines Écritures, lorsqu'il en fut tiré pour recevoir la prêtrise. Afin qu'il fût plus libre de vaquer à son nouveau ministère, sa femme prit sur elle tout le soin de la famille et de ses biens. Baronius et plusieurs autres ont pensé que cet ami de saint Paulin est le même saint Aper ou saint Evre, qui fut évêque de Toul1.

Le dessein de Paulin, en renonçant au monde, était d'aller passer ses jours dans une solitude proche de Nole en Campanie, et de servir Jésus-Christ au tombeau de saint Félix, d'être le portier de son église, d'en balayer le pavé tous les matins, de veiller la nuit pour la garder, et de finir sa vie dans ce travail. Mais le peuple de Barcelone, édifié de la pureté de ses mœurs, se saisit de lui dans l'église,

1. Paulin, Epist. 30, 31, 32, t, 6. Bibl. PP..

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