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il fit mourir son neveu et en épousa la femme, appelée Pharandsem. Il était sur le point de la répudier pour épouser une fille de Sapor, dont il était l'allié contre les Romains, lorsqu'il fit mourir l'ambassadeur que Sapor lui envoyait à ce sujet. Irrités de tant de crimes, les seigneurs d'Arménie se soulevèrent. Le patriarche Nersès ménagea une réconciliation. Arsace jura l'oubli du passé, et invita les seigneurs à un festin, où il les fit égorger avec leurs femmes et leurs enfants. Constance, le voyant brouillé avec le roi de Perse, voulut se l'attacher en lui faisant épouser Olympias, veuve de son frère l'empereur Constant, à qui elle avait été fiancée. A la mort de Constance, Arsace renvoya Olympias et reprit Pharandsem, dont il avait un fils, et qui finit par empoisonner sa rivale. Tel était ce fidèle allié des Romains.

Comme c'était Pharandsem principalement qui l'avait poussé à faire mourir l'ambassadeur persan, elle le poussa aussi à faire la guerre au roi de Perse, lors de l'expédition de Julien; et c'était pour le repousser que Sapor s'était avancé vers l'Arménie. Même délaissé par les Romains, Arsace aurait peut-être pu se défendre tout seul, s'il ne s'était aliéné les grands de son royaume. Il s'était.avancé avec son armée sur le territoire persan, lorsqu'il reçut la nouvelle d'une défection générale. L'exemple en fut donné par une famille princière, qui descendait du fameux Sennacherib, roi d'Assyrie. Le connétable Vasag, chef de la famille chinoise de Mamgon, lui resta fidèle, ainsi - que le patriarche Nersès, qui, par ses remontrances, empêcha au moins le parti de la défection de passer à l'ennemi. Au milieu de cette révolution, suscitée par ses intrigues, Sapor invita Arsace, sous les assurances les plus solennelles, à venir le trouver pour traiter de la paix; puis, au milieu d'un festin, il le fit enchaîner, lui creva les yeux et l'enferma au château de l'Oubli, ainsi nommé parce qu'il était défendu de prononcer le nom de ceux qui y étaient enfermés. L'Arménie fut envahie par une armée persane, commandée par deux seigneurs apostats d'Arménie. Plusieurs villes considérables furent mises à feu et à sang, entre autres Artaxate, fondée par le fameux Hannibal, pour Artaxias, roi d'Arménie, auprès duquel il était réfugié, et Schamiramakerd, c'est-à-dire la ville de Sémiramis, bâtie autrefois par cette fameuse reine d'Assyrie. Dans le nombre des maisons brûlées ou détruites, il y en avait plus de quatre-vingt mille habitées par des Juifs, qui descendaient de ceux que Tigrane le Grand ou Teglath-Phalassar avait jadis emmenés captifs de la Palestine, et dont une partie assez considérable s'était convertie au christianisme. Sapor les envoya sans distinction, les uns dans l'Assyrie, les autres dans la Susiane; la plupart furent placés à Ispahan,

et ils y formèrent le gros de la population, tellement que pendant plusieurs siècles, cette ville cessa de porter son antique nom d'Ispahan, et n'était plus désignée que par celui de Iehoudyah, c'est-à-dire la Juiverie.

Les Arméniens d'origine ne furent pas traités si humainement. Irrité au dernier point de ce que la plupart des seigneurs d'Arménies'étaient dérobés à ses atteintes, en cherchant un asile chez les Romains, Sapor tourna toute sa rage contre leurs femmes et leurs enfants, qui étaient tombés entre ses mains. On rassembla toutes ces innocentes victimes et on les amena, avec la foule des captifs, en présence de ce cruel despote. Il semblait qu'il voulût exterminer la nation arménienne tout entière; par ses ordres on sépare les hommes, et aussitôt on les livre à ses éléphants, qui les écrasent sous leurs pieds; les femmes et les enfants sont empalés; des milliers de malheureux expirent ainsi dans d'horribles tourments; les femmes des nobles et des dynastes fugitifs furent seules épargnées, mais, par un raffinement de cruauté, pour éprouver des traitements et des supplices plus odieux que la mort. Traînées dans un hippodrome, elles y furent exposées nues aux regards de toute l'armée persane, et Sapor lui-même se donna le lâche plaisir de courir à cheval sur le corps de ces malheureuses, qu'il livra ensuite aux insultes et à la. brutalité de ses soldats. On leur laissa la vie après tant d'outrages, et on les confina dans divers châteaux forts, pour qu'elles y fussent des ôtages de leurs maris.

Ce qui irritait le plus Sapor contre les Arméniens, c'était leur attachement au christianisme. Pour la souveraineté du pays, il l'avait abandonnée aux deux seigneurs traîtres et apostats. L'un d'eux, appelé Méroujan, était devenu son beau-frère, avec la promesse d'obtenir encore le titre de roi, s'il achevait de réduire les autres dynastes arméniens, et s'il parvenait à détruire le christianisme en Arménie, en faisant fleurir à sa place la loi des Mazdezants, c'est-à-dire des serviteurs d'Ormuzd. Excité ainsi par deux passions également puissantes, l'ambition et la haine contre le christianisme qu'il avait jadis professé, l'apostat Méroujan parcourut l'Arménie, brûlant et renversant les églises, les oratoires, les hospices et tous les édifices élevés et consacrés par le christianisme. Sous divers prétextes, il s'emparait des prêtres et des évêques, et aussitôt il les faisait partir pour la Perse, comptant que l'éloignement des pasteurs faciliterait d'autant son entreprise. Son zèle destructeur ne se borna pas là pour sépa-rer à jamais les Arméniens des Romains, et pour porter des coups plus profonds à la religion chrétienne, il fit brûler tous les livres. écrits en langue et en lettres grecques, et il défendit, sous les peines.

les plus sévères, d'employer d'autre caractère d'écriture que celui qui était en usage chez les Perses. Des mesures aussi tyranniques ne s'exécutaient pas sans de sanglantes persécutions; aussi l'Arménie souffrit-elle des calamités inouïes. Les princesses qui étaient retenues prisonnières furent exposées à de nouveaux outrages. Pour les deux apostats, leur fanatisme ne fut pas arrêté par la parenté qui les unissait à ces femmes infortunées. Ils voulurent les contraindre de renoncer à la religion chrétienne pour adorer le feu, à la manière des Perses. N'y réussissant point, ils commandèrent de les dépouiller nues et de les suspendre ainsi, attachées par les pieds, à des gibets placés sur de hautes tours, pour que tout le pays fût frappé d'épouvante à la vue de ces terribles supplices. Ainsi périrent misérablement une foule d'honorables princesses, parmi lesquelles la propre sœur d'un des apostats, qui avait ordonné sa mort. Par un raffinement de barbarie, elle fut livrée aux bourreaux dans la ville même où elle résidait ordinairement : c'était la capitale de sa souveraineté, la ville de Sémiramis. Malgré tant de cruauté, les deux apostats séduisirent peu de monde; l'un d'eux même vit son propre fils, par horreur de son apostasie, prendre les armes, lui déclarer la guerre et le mettre à mort.

La reine Pharandsem, assiégée dans sa forteresse, eut l'adresse de gagner les chefs des assiégeants et d'envoyer son fils Para sur les terres des Romains, d'où il revint bientôt avec une faible escorte, que grossirent les seigneurs fugitifs, et qui mit en déroute l'apostat Méroujan. Sapor, rentré en Arménie, poursuivit le jeune roi, qui se retira dans les montagnes. Sa mère Pharandsem, forcée de se rendre à Sapor, fut abandonnée à tous les outrages de la soldatesque, et ensuite empalée. Arsace périt vers ce temps dans le château de l'Oubli. Après le départ de Sapor, leur fils Para descendit des montagnes. Mouschegh, le nouveau connétable, fils du connétable Vasag, que Sapor avait fait écorcher vif lorsqu'il vint, sur sa parole, le trouver avec Arsace, réussit non-seulement à chasser les Perses de l'Arménie, mais à les attaquer chez eux. Il gagna entre autres, sur Sapor en personne, une bataille terrible, où il y eut parmi les prisonniers la femme même du monarque persan, un grand nombre d'autres princesses et beaucoup d'officiers et de généraux. Mouschegh, pour venger la mort de son père, fit écorcher vifs ces derniers, et envoya à son souverain leurs peaux garnies de paille; quant à la reine et aux autres captives, il les traita avec les plus grands égards, défendit qu'on se permit envers elles la moindre insulte, puis il leur donna la liberté et les renvoya avec honneur auprès de Sapor, qui ne fut pas moins touché de sa générosité qu'effrayé de sa valeur. La

plupart de ces événements se passèrent après la mort de Jovien 1. En Perse même, la persécution contre les chrétiens n'avait pas cessé. L'an 362, cinquante-troisième de Sapor, vingt-troisième de sa persécution, les Perses, ayant fait une irruption sur les terres des Romains, emportèrent d'assaut la forteresse de Bethsabe, sur le Tigre, massacrèrent la garnison et firent neuf mille prisonniers, qu'ils emmenèrent avec eux. Parmi ces prisonniers, on comptait Héliodore, évêque; Dausas et Mariabe, anciens prêtres; plusieurs autres ecclésiastiques, et un grand nombre de moines et de religieuses. Héliodore mourut sur la route, mais après avoir ordonné Dausas pour le remplacer, et après lui avoir remis l'autel qu'il portait avec lui. Les prisonniers s'assemblaient tous les jours avec Dausas, qui célébrait les divins mystères. Les mages, auteurs de la persécution générale, le virent avec dépit. Ils accusèrent les prisonniers chrétiens auprès de Sapor, qui ordonna d'agir à leur égard de la manière qui suit. Un jour qu'ils étaient assemblés au nombre de trois cents auprès de l'évêque, l'archimage vint leur annoncer que le roi, touché de bienveillance, leur accordait pour demeure une montagne trèsfertile du voisinage, et qu'il l'avait chargé de les y conduire. Ils se mirent en route avec joie.

Mais, arrivé au pied de la montagne, le mage perfide les arrête et leur annonce qu'ils sont coupables de lèse-majesté et condamnés à périr, dans cet endroit même, du dernier supplice; qu'un seul moyen de salut leur restait de se laisser initier aux mystères du soleil et de la lune, d'abjurer la religion du César et d'adorer les dieux de Sapor; qu'à cette condition, ils auraient en propriété la montagne qui était devant eux. L'évêque Dausas répondit à haute voix qu'il n'était pas étonnant qu'une race assez cruelle pour tremper ses mains dans le sang de ses compatriotes, eût encore soif de celui des étrangers; mais qu'après tout, comme les martyrs de Perse, ils ne demandaient qu'à sacrifier leur vie pour le vrai Dieu. Aussitôt cinquante hommes et femmes sont égorgés sous les yeux des autres; la boucherie continue déjà deux cent septante-cinq gisent par terre; il n'en reste plus que vingt-cinq; la peur les prend et les rend apostats. Comme Judas, ils obtiennent, pour prix de leur infamie, des champs dans le voisinage. Parmi les morts, se trouvait un diacre nommé Ébediésu, qui n'était que blessé. Après le coucher du soleil, il se leva et entra dans la cabane d'un pauvre, qui lui pansa ses plaies. Le lendemain, avec l'aide de cet homme, il donna la sépulture à l'évêque et aux

1 Hist. du Bas-Empire, additions de Saint-Martin, 1. 10, n. 2-23; 1. 17, n. 313; n. 57-67..

prêtres, et fixa sa demeure auprès des reliques des martyrs. Il y prêchait et convertissait du monde, lorsqu'il fut saisi par le gouverneur de la contrée et mis à mort 1.

Cependant, après avoir rejoint l'armée de Mésopotamie, sous le commandement de Procope et de Sébastien, et rempli ses engagements avec les Perses, l'empereur Jovien chargea Procope de conduire à Tarse en Cilicie le corps de Julien, conformément aux dernières volontés du mort. La pompe funèbre de cet apostat répondit à son caractère. Des farceurs et des comédiens accompagnaient le convoi. Au milieu des chants lugubres et des lamentations, ils jouaient d'une manière bouffonne la vie et la mort de Julien; contrefaisant sa voix, sa démarche, ses gestes, ses travers; tournant en ridicule son expédition, sa défaite, son apostasie même 2. Voilà de quelle manière il fut conduit à Tarse, et enterré dans un des faubourgs, tout à côté de Maximin Daïa, le plus féroce des persécuteurs. On dit qu'un tremblement de terre jeta son cadavre hors du sépulcre.

Vers le même temps, saint Grégoire de Nazianze prononçait ses deux discours contre Julien. Il y trace le portrait de l'apostat, dont il avait prédit les travers à Athènes; il relève l'injustice de sa persécution, l'absurdité de son entreprise d'anéantir la religion chrétienne, l'extravagance du paganisme, et conclut par cet avis aux fidèles : De ne pas se prévaloir du temps pour se venger des païens, mais de les vaincre par la douceur. « Que celui, dit-il, qui est le plus animé contre eux, les réserve au jugement de Dieu. Ne songeons ni à faire confisquer leurs biens, ni à les traîner devant les tribunaux pour être bannis ou frappés de verges, ni en un mot à leur rien attirer de ce qu'ils nous ont fait souffrir. Rendons-les, s'il est possible, plus humains par notre exemple. Si quelqu'un des vôtres a souffert, votre fils, votre père, votre parent, votre ami, laissez-lui la récompense entière de ses souffrances. Contentons-nous de voir le peuple crier publiquement, contre nos persécuteurs dans les places et dans les théâtres, et eux-mêmes reconnaître enfin que leurs dieux les ont trompés 3. >>

Les païens, se voyant à la discrétion d'un prince, ennemi zélé de l'idolâtrie, étaient sans doute dans de vives alarmes. Jovien se hâta de les rassurer par une loi qui les maintenait dans le libre exercice de leur religion, et permettait de rouvrir les temples dans les lieux où, par voie de fait et sans l'autorité du prince, on pouvait les avoir fermés depuis la mort de Julien.

1 Assem., Acta Mart. orient., p. 131. 3 Ibid., t. 1, p. 130-152.

2 Greg. Naz., Orat., 4, p. 119.

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