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glise et tous les livres qu'il pouvait avoir dans la maison, pour ceux qui viendraient après lui. Possidius raconte que la ville d'Hippone ayant été incendiée quelque temps après, cette bibliothèque fut conservée au milieu des flammes et du pillage des Barbares 1. On met la mort de saint Augustin au 28 août 430. Il avait vécu soixante-seize ans, et servi l'Église près de quarante, en qualité de prêtre ou d'évêque.

Avec saint Augustin mourut en quelque sorte l'Afrique chrétienne et civilisée. Car, depuis cette époque jusqu'à ce qu'elle expira sous le fer des musulmans, son existence ne fut qu'une longue agonie. Aujourd'hui il semblerait que la Providence veuille la ressusciter, et la ressusciter par la province même que saint Augustin a illustrée par sa vie et par sa mort, le pays d'Alger et de Bone 2.

1 Possidius, Vita S. Aug. 2 Ces paroles s'écrivaient au mois de mai 1838.

NOTE RELATIVE A LA PAGE 559.

Ce que nous avons cru devoir dire sur ce que saint Augustin laisse à désirer dans ses ouvrages contre les Pélagiens, nous a valu certaines observations de la part de quelques amis. L'un d'eux a même fait imprimer les siennes à la fin du septième volume de l'édition belge. Ces observations, nous les avons lues attentivement. Voici nos réponses et nos excuses.

Nos amis nous indiquent des théologiens à consulter. Nous avons prévenu leurs désirs il y a plus de vingt ans. Avant même d'écrire le premier livre de cette histoire, nous avons voulu éclaircir en particulier la question fondamentale de la grâce divine et de la nature humaine. Nous avons recueilli avec tout le soin possible ce que l'Église catholique, apostolique et romaine croit et enseigne sur cette matière; nous avons surtout considéré attentivement les propositions y relatives qu'elle condamne en Luther, Calvin, Jansenius, Baïus et Quesnel, afin de connaître d'une manière plus nette et plus précise, non-seulement ce qu'elle croit et enseigne, mais encore les expressions qu'elle approuve ou improuve. Nous avons consulté les théologiens les plus autorisés dans l'Église, principalement saint Thomas. Le résultat de nos études, nous l'avons communiqué de vive voix et par écrit à plusieurs personnes capables d'en juger : et c'est sur leur avis que nous l'avons publié sous le titre De la Grâce et de la Nature, en 18381, quatre ans avant la publication du premier volume de cette histoire. Nos amis peuvent donc penser que nous n'avons rien fait à la légère. C'est d'après la doctrine de l'Église, ainsi constatée, que nous jugeons, sans acception de personnes, les ouvrages qui traitent de la grâce divine et de la nature humaine. Notre but n'est point d'accuser ou de justifier telle ou telle époque, tel ou tel personnage de l'histoire, mais de rendre témoignage à la vérité. Car, encore une fois, à nos yeux, l'histoire universelle de l'Église catholique est le jugement de Dieu en première instance sur la famille humaine. Or, le premier caractère de ce jugement, c'est la vérité, sans accep

(1) Chez Gaume et Chalandre.

tion d'époques, de nations, ni de personnes. Notre unique ambition est d'être un témoin fidèle; et, Dieu aidant, nous le serons jusqu'au bout, dussions-nous y perdre la bienveillance de tous nos amis, même y perdre la vie.

L'auteur de la note, insérée dans l'édition belge, convient avec nous, pour le fond, que saint Augustin laisse quelque chose à désirer dans ses ouvrages contre les pélagiens. « En combattant les pélagiens, dit-il, saint Augustin a parlé d'une manière obscure du libre arbitre de l'homme depuis sa chute. » Or, nous pensons tout à fait la même chose. Nous pensons que, dans ses ouvrages contre les pélagiens, saint Augustin ne donne pas une idée aussi nette que saint Thomas, et que les décisions modernes de l'Église, sur le libre arbitre de l'homme avant et après sa chute, ni par conséquent sur les graves questions qui s'y rattachent. Nous pensons de plus que, depuis deux siècles, cette obscurité fâcheuse se rencontre dans bien des auteurs et des prédicateurs; obscurité qui va plus d'une fois jusqu'à nous donner pour la doctrine de l'Église, des propositions que l'Église a condamnées formellement 1; obscurité qui ne contribue pas peu à l'envahissement du rationalisme, du naturalisme, du panthéisme doctrinal et politique. Car si les prédicateurs et les écrivains cathotiques eux-mêmes ne donnent pas une idée juste et nette de la grâce divine et de la nature humaine, du libre arbitre de l'homme avant et après sa chute, etc., comment veut-on que les autres ne confondent pas la grâce avec la nature, la foi avec la raison, l'Église avec l'État, le sacerdoce avec l'empire, le Créateur avec la créature, Dieu avec le monde?

Comme nous avons pour but, dans tout notre travail, d'éclaircir cette confusion, nous croyons devoir en conscience signaler tout ce qui peut l'entretenir. L'estimable auteur de la note pense que, d'après saint Augustin, le libre arbitre de l'homme n'a point péri, mais qu'il a conservé non-seulement la puissance de pécher, mais encore celle de faire quelque bien dans l'ordre naturel. Il cite en preuve cette parole du saint docteur: « Nous ne disons pas que le libre arbitre ait péri dans l'homme par le péché d'Adam, mais qu'il a la puissance de pécher dans les hommes soumis au diable; quant à bien vivre, il n'en a la puissance, que quand la volonté de l'homme aura été délivrée par la grâce de Dieu, et aidée à tout bien d'action, de pensée et de parole 2. » Nous l'avouons humblement : ce texte nous

1 En voir un exemple, t. 5, p. 40. La proposition signalée est tirée d'un ouvrage qui circule avec éloge et approbation, même en Belgique. 2 Peccato Adæ liberum arbitrium de hominum naturâ periisse non dicimus, sed ad peccandum

paraît prouver tout le contraire de ce que pense l'auteur de la note, savoir que le libre arbitre de l'homme n'a plus par lui-même aucune puissance de faire aucun bien ni même de le penser.

L'auteur de la note dit p. 532: « Jamais saint Augustin n'a enseigné que les vertus des païens fussent des péchés ou des crimes par rapport à la loi naturelle: au contraire, il a dit mainte fois que leurs actions morales étaient bonnes et louables dans l'ordre naturel. » D'après cela, saint Augustin aurait distingué nettement entre les vertus et les œuvres surnaturellement bonnes et méritoires de la vie éternelle, et les vertus et les œuvres naturellement bonnes, mais stériles pour la vie éternelle, les premieres ayant Dieu pour motif, et non pas les secondes.

Il est vrai, cette distinction se trouve dans l'ouvrage contre Julien d'Eclane; mais elle est de Julien. Et voici ce que l'évêque d'Hippone y répond : « On ne saurait dire combien vous trompe l'opinion d'après laquelle vous avez dit : « Toutes les vertus sont des affections par lesquelles nous sommes ou fructueusement ou stérilement bons. >>> Car il est impossible que nous soyons bons stérilement. En effet, un bon arbre produit de bons fruits. Or, comment Dieu, qui destine la hache aux arbres qui ne produisent pas de bons fruits, pourrait-il couper et jeter au feu de bons arbres 2. Par conséquent, les hommes ne sont d'aucune manière stérilement bons; mais ceux qui ne sont pas bons, peuvent être les uns moins, les autres plus mauvais 1. » Ces paroles ne contredisent-elles pas un peu l'auteur de la note 2.

Nous pensons que, si saint Augustin s'exprime d'une manière si obscure, pour le moins, c'est qu'il s'est mépris sur le sens de ces paroles de saint Paul: Omne quod non est ex fide peccatum est: tout ce qui n'est pas selon la foi, est péché. Ce que saint Paul entend de la bonne foi de ceux qui mangeaient, contre leur intime persuasion, des viandes défendues par la loi de Moïse. Saint Augustin suppose, au contraire, que l'Apôtre l'entend de la foi qui opère par la charité. Luther reconnaît jusqu'à deux fois que c'est une méprise. Luther, cepen

valere in hominibus subditis diabolo; ad benevi vendum non valere, nisi ipsa voluntas hominis Dei gratià fuerit liberata, et ad omne bonum actionis, cogitationis, sermonis adjuta. (Lib. 2. ad Bonif., c. 15.)

1 Quapropter dici non potest quantúm te ista fallat opinio, quâ dixisti : « Omnes virtutes affectus esse, per quos aut fructuosè aut steriliter boni sumus. >> Fieri enim non potest ut steriliter boni simus. Arbor enim bona bonos fructus facit. Absit autem ut Deus bonus, a quo securis paratur arboribus non facientibus fructum bonum, excidat et in ignem mittat arbores bonas. Nullo modo igitur homines steriliter sunt boni: sed qui boni non sunt, possunt esse alii minùs, alii magis mali. (Contre Julien d'Eclane, 1. 4, c. 3, n. 22.)

dant, et, après lui, Jansénius abusent de cette méprise évidente du saint docteur, pour soutenir que toutes les actions des infidèles sont des péchés.

L'estimable auteur de la note dit à ce propos : « Lorsque saint Augustin employa ces paroles, il distingua toujours la valeur morale des œuvres dans l'ordre naturel, de leur valeur morale dans l'ordre surnaturel.» Il apporte en preuve le passage suivant de saint Augustin parlant à Julien d'Éclane : « Si un païen, dites-vous, revêt un homme nu, est-ce un péché, parce que ce n'est pas selon la foi? Absolument en tant que ce n'est pas selon la foi, c'est un péché; non pas que de soi le fait même, qui est de couvrir un homme nu, soit un péché; mais de se glorifier d'une telle œuvre non dans le Seigneur, un impie seul niera que c'est un péché 1. » Il nous semble que ce texte prouve tout le contraire de ce que veut l'auteur de la note. Saint Augustin convient seulement que l'acte matériel de couvrir un homme nu n'est pas de soi un péché, mais son raisonnement suppose que cet acte est toujours un péché de la part d'un païen. Autrement, que signifierait son argumentation? D'ailleurs, est-il bien vrai, est-il bien conforme à la doctrine de l'Église, de dire que se glorifier d'une bonne œuvre, d'une aumône, non dans le Seigneur, mais dans le fond de son âme, et sans penser plus loin, est-il bien vrai, est-il bien conforme à la doctrine de l'Église, de dire que ce soit là un péché? L'auteur de la note le pense-t-il vraiment?

Julien s'expliquait : « J'appelle stérilement bons les hommes qui, ne faisant pas pour Dieu le bien qu'ils font, n'obtiennent point de lui la vie éternelle. » L'evêque d'Hippone traite cette réponse de vaine. Quoi donc, s'écrie-t-il, un Dieu juste et bon enverra des bons dans la mort éternelle? Je suis las de répéter combien il est absurde de dire, d'écrire, et de penser des choses pareilles. - Comprenez donc une fois ce que dit le Seigneur: Si votre œil est mauvais, tout votre corps sera ténébreux; mais si votre œil est simple, tout votre corps sera lumineux et comprenez que cet œil est l'intention avec ·laquelle chacun fait ce qu'il fait; et apprenez par là que celui, qui ne fait pas les bonnes œuvres avec l'intention d'une foi bonne, c'est-àdire, de celle qui opère par la dilection, il est tout entier tel qu'un corps composé d'œuvres, ainsi que de membres, qu'il est tout entier

1 « Si gentilis, inquis, nudum operuerit, numquid quia non est ex fide eccatum est ? » Prorsus in quantum non est ex fide, peccatum est; non quia per se ipsum factum, quod est nudum operire, peccatum est: sed de tali opere non in Domino gloriari, solus impius negat esse peccatum. (Contra Julian, 1. 4, c. 3, n. 30.)

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