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Mais les conseils de mes nouveaux amis,
Un grain d'amour ou de libertinage,
La vanité, le bon air, tout m'engage
Dans les filets de certaine Laïs
Que Belzébut fit naître en mon pays,
Et qui depuis a brillé dans Paris.
Elle dansait à ce tripot lubrique
Que de l'église ún ministre impudique
(Dont Marion fut servie assez mal)
Fit élever près du Palais-Royal.

Avec éclat j'entretins donc ma belle:
Croyant l'aimer, croyant être aimé d'elle,
Je prodiguais les vers et les bijoux;
Billets de change étaient mes billets doux:
Je conduisais ma Laïs triomphante
Les soirs d'été dans la lice éclatante
De ce rempart, asile des amours,
Par Outrequin rafraîchi tous les jours.
Quel beau vernis brillait sur sa voiture !
Un petit peigne orné de diamans
De son chignon surmontait la parure;
L'Inde à grands frais tissut ses vêtemens;
L'argent brillait dans la cuvette ovale
Où sa peau blanche et ferme autant qu'égalo
S'embellissait dans des eaux de jasmin.
A son souper un surtout de Germain

Et trente plats chargeaient sa table rondo
Des doux tributs des forêts et de l'onde.
Je voulus vivre en fermier général.
Que voulez-vous, hélas! que je vous dise,
Je payai cher ma brillante sottise:
En quatre mois je fus à l'hôpital.

Voilà mon sort, il faut que je l'avoue.

Conseillez-moi.

Mon ami, je te loue

D'avoir enfin déduit sans vanité
Ton cas honteux, et dit la vérité.
Prête l'oreille à mes avis fidelles:
Jadis l'Egypte eut moins de sauterelles
Que l'on ne voit aujourd'hui dans Paris
De malotrus, soi-disant beaux esprits,
Qui, dissertant sur les pièces nouvelles,
En font encor de plus sifflables qu'elles;
Tous l'un de l'autre ennemis obstinés,
Sifflés, sifflans, chansonneurs, chansonnés,
Nourris de vent au temple de mémoire,
Peuple crotté qui dispense la gloire.
J'estime plus ces honnêtes enfans
Qui de Savoie arrivent tous les ans,
Et dont la main légèrement essuie
Ces longs canaux engorgés par la suie :
J'estime plus celle qui dans un coin
Tricote en paix le bas dont j'ai besoin ;

Le cordonnier qui vient de ma chaussure
Prendre à genoux la forme et la mesure,
Que le métier de tes obscurs Frérons.
Maître Abraham et ses vils compagnons
Sont une espèce encor plus odieuse.
Quant aux catins j'en fais assez de cas;
Leur art est doux, et leur vie est joyeuse;
Si quelquefois leurs dangereux appas
A l'hôpital mènent un pauvre diable,
Un grand benêt qui fait l'homme agréable,
Je leur pardonne; il l'a bien mérité.

Ecoute il faut avoir un poste honnête:

:

Les beaux projets dont tu fus tourmenté

Ne troublent plus ta ridicule tête;
Tu ne veux plus devenir conseiller:

Dans mon logis il me manque un portier;
Prends ton parti; réponds-moi, veux-tu l'être?
Oui-dà, monsieur. — Quatre fois dix écus

Seront par an ton salaire; et de plus,
D'assez bon vin chaque jour une pinte
Rajustera ton cerveau qui te tinte.
Va dans ta loge; et surtout garde-toi
Qu'aucun Fréron n'entre jamais chez moi.

J'obéirai sans réplique à mon maître,
En bon portier; mais en secret peut-être
J'aurais choisi dans mon sort malheureux
D'être plutôt le portier des Chartreux.

Par VOLTAIRE,

LE COCHE,

ALLEGORIE.

JADIS

ADIS était un coche bien monté
Qui, franchissant le sommet du Parnasse,
Nous menait droit à l'immortalité.

Quarante en tout y pouvaient avoir place:
Mais à quel prix? Chacun payait pour soi,
En bonne espèce, en rime bien sonnante,
Prose de poids, pièce de bon aloi,

Le tout suivant la taxe et la patente

Du dieu Phébus, qui, jusqu'au dernier tems,
Sans embourber, sans mauvaise aventure,
Sut équiper et mener la voiture.

En est-il las? des soins plus importans
L'occupent-ils? ou les dieux

par malice Ont-ils commis Momus à l'exercice?

Quoi qu'il en soit, Momus a pris le bail,
Et s'est chargé de tout cet attirail.

Le nouveau maître établit lois bizarres,
Fait bon marché des places, prend des arrhes
De tous venans, palots et tonsurés,
Et gros commis, et robins désœuvrés,
Et les amis de leurs amis encore,

Même histrions; tout est bon, tout l'honore.
Qu'apportaient-ils? Des pièces de billon;
Nulle monnaie au vrai coin d'Apollon.
Crédit aux uns, aux autres pleine grâce.
Le corbillard est-il plein? Il entasse
Dans les paniers leurs apprentis auteurs,
Petits goujats timbrés de leurs couleurs,
Auteurs forains avec espoir très-proche
D'être à leur tour introduits dans le coche.
Les voilà donc en route avec ballots,
Et leur bon guide agitant les grelots
De sa marote: on roule; mais leur joie
Ne dure guère et dès le premier pas
Le vrai chemin se perd, on se fourvoie,
On suit sentier qu'Apollon ne prit pas,
Contre rochers l'on marche, l'on tournoie;
Au premier choc l'essieu vole en éclats,
La masse croule et nos gens sont à bas.
Qui me rendra tous les cris lamentables,
Les juremens de ce peuple embourbé?
Sous son Homère et son livre de fables,

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