Images de page
PDF
ePub

Ils aimaient les doux noms et de fille et de mère;

Le frère n'était point étranger à son frère;
Et par philosophie un fils dénaturé

Chez eux dit-il jamais à son père éploré:

<< N'attendez rien de moi pour prix de ma naissance: << Ma vie est-elle un fruit de votre bienfaisance? Pressé de l'aiguillon des amoureux desirs,

<< Cherchiez-vous mon bonheur au sein de vos plaisirs? << Des faiblesses du sang ma raison me délivre:

Non, je ne vous dois rien que le malheur de vivre. »

Gloire vous soit rendue, ô sublimes penseurs
Qui nous dénaturez pour nous rendre meilleurs!
Des Français convertis en un peuple de sages
Recevez à jamais l'encens et les hommages;
Que vos dogmes fameux, semés dans tous les rangs,
Soient l'oracle du peuple et la leçon des grands;
Que d'un commun effort le mortier et la crosse
De l'Encyclopédie élèvent le colosse;

Et, dans ce nouveau ciel peuplé de vos élus,
Soyez enfin les dieux de ceux qui n'en ont plus.
Par CLÉMENT.

A MIDAS,

OU

LE BONHEUR DES SOTS.

En vain des beaux esprits la tourbe vous condamne; Laissez-les en riant vous comparer à l'âne:

Qu'ils barbouillent vos traits de bizarres couleurs; Vos destins ici bas sont plus doux que les leurs.

On méprise les sots : que je leur porte envie !
Jamais l'ambition ne tourmenta leur vie ;
Paresseux par calcul, philosophes par goût,
Ils ne produisent rien, et jouissent de tout.
Ils semblent gouverner ce peuple qui les fronde:
Je crois les voir, assis sur le trône du monde,

Excitant leurs sujets, par l'attrait d'un vain bruit,
A cultiver les arts dont ils cueillent le fruit.
Tandis que ce savant mesure la durée,
Sur les pas de Newton traverse l'empirée,
Suit les astres errans, ou devance leur cours,
Immole à ses calculs son repos et ses jours,
Ils livrent au sommeil leur robuste indolence;
Et, sitôt que l'airain réveille l'opulence,
Ils savent tout : ils vont publiant à grands cris
Les célestes secrets que Lalande a surpris.
Ce guerrier répond seul des destins d'un empire:
A l'aspect des dangers il tressaille et soupire;
La nature, l'honneur, la prudence, l'orgueil
Lui montrent tour à tour la palme et le cercueil.
Il n'en est point ému. Qu'importent ses défaites?
Il succombe. Tant mieux; ils étaient bons prophètes.
Vainqueur, leur ouvre-t-il le temple de la paix,
Hé bien! tant mieux encor. Ne sont-ils pas Français?
Philosophes, penseurs, publicistes, poètes,
La raison trouve en vous d'éloquens interprètes,
Sur le cœur des humains vous étendez ses droits;
L'auguste Vérité tonne par votre voix.

Mais quel est donc le prix de ce sacré délire?
Vous procurez aux sots le plaisir de vous lire.
Oui, c'est vous que je plains, illustres malheureux:
Vous fécondez le champ; la moisson est pour eux.

Les desirs inquiets, l'espérance indiscrète,
Les doutes, la terreur peuplent votre retraite.

Toutes les passions déchirent votre sein,
Hélas! et le grand homme est son propre assassin.
Aux tragiques fameux disputant la couronne,
Celui-ci d'échafauds, de spectres s'environne;
Sous le couteau sanglant voit le crime abattu
Avec lui dans sa tombe entraîner la vertu;
Aux serpens du remords livre le parricide;
Introduit Alecton dans le palais d'Atride;
Et recule surpris, pâle, les sens glacés,
A l'aspect des tableaux que lui-même a tracés.
Celui-là, tout entier à son pays qu'il aime,
Réforme de ses lois le gothique systême;
Dirige à leur insu les cœurs régénérés;
Oppose l'évidence aux sophismes sacrés:
Par lui de la Raison le règne enfin commence ;
Il marche à sa clarté dans un dédale immense,
Où sa vertu n'obtient, pour prix de ses combats,
Que le stérile honneur de servir des ingrats.
Cet autre de l'Envie éveille les couleuvres:
Il brûlait d'illustrer et son nom et ses œuvres;
Il ignore en mourant, par le monstre vaincu,
Si la postérité saura qu'il a vécu.

D'ailleurs, au vrai talent qu'importe un peu d'estime?
Il cueille ses lauriers sur les bords d'un abyme;
Les honneurs sont pour lui le signal des revers.
Rousseau d'un nouveau jour éclaire l'univers ;
Un arrêt le proscrit. O honte! ô barbarie!
L'ami du genre humain n'a donc plus de patrie !
Tome X.

14

Il fuit

:

il va traînant de cités en cités Son immortel Emile et ses calamités.

Pilâtre, à Mongolfier enviant ses voyages,
Part, s'élève, intrépide, au-dessus des nuages;
C'en est fait. Plus de borne à son ravissement;
Il croit avoir conquis un perfide élément:
Tout à coup avec lui son char ailé succombe;
Du sommet de l'Ether il roule dans la tombe.
Le monde aux yeux de Cook a paru trop borné;
Sous les cieux qu'il découvre il meurt assassiné.
Un inventeur surprend le secret du salpêtre :
Transporté, curieux, ambitieux peut-être,
Il cherche à s'illustrer par des essais nouveaux;
Le salpêtre dans l'air le disperse en lambeaux.

Vous êtes plus prudens, vous que je déifie,
O sots! Enfans gâtés de la philosophie,
Lents à vous affliger, prompts à vous réjouir,
Vous possédez à fond le grand art de jouir;
Nos cités sont à vous. Paris est un domaine
Où la sottise en paix jour et nuit se promène,
Marche d'un pas douteux vers un bonheur certain,
Et reçoit en tribut les faveurs du Destin.
Ses succès au Perron surpassent son attente:
Voyez-la dérouler sa modeste patente,
Arrêter les passans, leur apprendre tout bas
Que la France en un jour a perdu deux combats;
Que la grêle a frappé nos plus riches contrées;
Que la ferme a triplé le prix de ses denrées.

« PrécédentContinuer »