Images de page
PDF
ePub

LES GRECS ET LES ROMAINS.

QUI

ui me délivrera des Grecs et des Romains?
Du sein de leurs tombeaux ces peuples inhumains
Feront assurément le malheur de ma vie.
Mes amis, écoutez mon discours, je vous prie:

A peine je fus né qu'un maudit rudiment
Poursuivit mon enfance avec acharnement:
La langue des Césars faisait tout mon supplice;
Hélas! je préférais celle de ma nourrice,
Et je me vis fessé pendant six ans et plus,
Grâces à Cicéron, Tite et Cornélius,
Tous Romains enterrés depuis maintes années,
Dont je maudissais fort les œuvres surannées.
Je fis ma rhétorique, et n'appris que des mots
Qui chargeaient ma mémoire, et troublaient mon repos :
Tous ces mots étaient grecs; c'était la Catachrèse,
La Paronomasie avec la Sindérèse,

L'Epeuthèse, la Crase, et tout ce qui s'ensuit.

Dans le monde savant je me vis introduit:
J'entendis des discours sur toutes les matières,
Jamais sans qu'on citât les Grecs et leurs confrères;
Et le moindre grimaud trouvait toujours moyen
De parler du Scamandre et du peuple troyen.

Ce fut bien pis encor quand je fus au théâtre;
Je n'entendis jamais que Phèdre, Cléopâtre,"
Ariane, Didon; leurs amans, leurs époux,
Tous princes enragés hurlant comme des loups;
Rodogune, Jocaste, et puis les Pélopides,
Et tant d'autres héros noblement parricides...
Et toi, triste famille, à qui Dieu fasse paix,
Race d'Agamemnon qui ne finit jamais,
Dont je voyais partout les querelles antiques
Et les assassinats mis en vers héroques...

J'avais pris en horreur cette société,

Et demandais enfin grâce à l'antiquité;

Je voulais observer des mœurs contemporaines,
Vivre avec des Français, loin de Rome et d'Athènes...
Mais les anciens n'ont pu me laisser respirer;

Tout mon pays s'est mis à se régénérer :

Les Grecs et les Romains, mêlés dans nos querelles,
Sont venus présider à nos œuvres nouvelles;
Bientôt tous nos bandits, à Rome transportés,
Se sont crus des héros pour s'être révoltés;
Bientôt Paris n'a vu que des énergumènes,
De sales Cicérons, de vilains Démosthènes,

Mettant l'assassinat au nombre des vertus,

Egorgeant leurs parens pour faire les Brutus :
Le vol s'ennoblissait et n'était plus un crime;
Car à Lacédémone il était légitime;

Les biens étaient communs, tous les hommes égaux,,
Et Lycurgue enseignait à brûler les châteaux.
Tout faisait une loi du partage des terres;
Chacun dut en jouir, hors les propriétaires,

Qui virent tous leurs biens entre leurs mains suspects,
En proie à des voleurs renouvelés des Grecs...
On sait que ces messieurs, à l'histoire fidèles,
Ont dans tous leurs exploits surpassé leurs modèles;
Les modernes enfin ont dévasté nos biens,
Et nous ont égorgés en citant les anciens.

O vous qui gouvernez notre triste patrie,
Qu'il ne soit plus parlé des Grecs, je vous supplie;
Ils ne peuvent prétendre à de plus longs succès:
Vous serait-il égal de nous parler français?
Votre néologisme effarouche les dames;
Elles n'entendent rien à vos myriagrammes;
La langue que parlaient Racine et Fénélon
Nous suffirait encor si vous le trouviez bon.
En vain monsieur Collot, pour nous plein de tendresse,
Ressuscite partout les fêtes de la Grèce,

Et veut absolument nous faire divertir

Quand il ne nous plaît pas de prendre du plaisir...

Tome X.

Laisse là, mon ami, tes farces olympiques,
Tes déesses de bois, tes guenilles civiques,
Qui ne plairont jamais à de tristes chrétiens,
Privés de leurs parens, dépouillés de leurs biens...
Dis-moi, toi qui sais tout et qui chéris tes frères,
Les Grecs me paieront-ils mes rentes viagères?...
Par l'Auteur de la Gastronomie.

L'OMBRE DE DUCLOS.

DANS l'Elysée il est un lieu charmant,

Séjour divin de ces esprits célèbres
Qui de leur siècle ont été l'ornement;
Qui, du faux goût dissipant les ténèbres,
Ont de l'erreur combattu le poison,
En vers heureux fait parler la raison,
Et parcouru la brillante carrière
Des arts créés pour enchanter la terre.
Après leur mort c'est là qu'ils sont admis:

Tous, dans leurs mains apportant leurs écrits,
Sont éprouvés sur le Léthé tranquille,

Qui de ses eaux entoure cet asile.

De l'onde à peine ils ont touché les bords,
O vérité puissante chez les morts!
Tout froid ouvrage, ou prose ou poésie,
Qui soutient mal l'honneur de leur génie,

« PrécédentContinuer »