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Pate-pelu dont l'esprit lucratif
Avait vendu ses lentilles en juif'.
Ce vieux Jacob (o sublime mystère!)
Devers l'Euphrate une nuit aperçut
Mille béliers qui grimpèrent en rut
Sur des brebis qui les laissèrent faire.
Le moine vit de plus puissants objets;
Il vit courir à la même aventure
Tous les héros de la race future.

Il observait les différents attraits

De ces beautés qui, dans leur douce guerre,
Donnent des fers aux maîtres de la terre.
Chacune était auprès de son héros,
Et l'enchaînait des chaînes de Paphos.
Tels, au retour de Flore et de Zéphyre,

Quand le printemps reprend son doux empire,
Tous ces oiseaux, peints de mille couleurs,
Par leurs amours agitent les feuillages:
Les papillons se baisent sur les fleurs,
Et les lions courent sous les ombrages
A leurs moitiés qui ne sont plus sauvages.
C'est là qu'il vit le beau François Premier.
Ce brave roi, ce loyal chevalier,
Avec Étampe heureusement oublie
Les autres fers qu'il reçut à Pavie.

Là Charles-Quint joint le myrte au laurier,
Sert à la fois la Flamande et la Maure.
Quels rois, ô ciel! l'un à ce beau métier
Gagne la goutte, et l'autre pis encore.
Près de Diane on voit danser les Ris',
Aux mouvements que l'Amour lui fait faire
Quand dans ses bras tendrement elle serre,
En se pamant, le second des Henris.
De Charles Neuf le successeur volage
Quitte en riant sa Chloris pour un page,

1. Notre auteur entend sans doute l'artifice dont usa Jacob quand il se fit passer pour Ésaü. Pate-pelu signifie les gants de peau et de poil dont il couvrit ses mains. (Note de Voltaire, 1762.) — Pate-pelu, expression rabelaisienne. Voyez Pantagruel, ancien prologue du quart livre. (R.)

2. Anne de Pisseleu, duchesse d'Étampes. (Note de Voltaire, 1762.)
3. Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois. (Id., 1762.)
4. Henri III et ses mignons. (Id., 1762.)

Sans s'alarmer des troubles de Paris.

Mais quels combats le jacobin vit rendre
Par Borgia le Sixième Alexandre!
En cent tableaux il est représenté :
Là sans tiare, et d'amour transporté :
Avec Vanoze il se fait sa famille';
Un peu plus bas on voit Sa Sainteté
Qui s'attendrit pour Lucrèce sa fille.
O Léon Dix! ô sublime Paul Trois!
A ce beau jeu vous passiez tous les rois;
Mais vous cédez à mon grand Béarnois,
A ce vainqueur de la Ligue rebelle,
A mon héros plus connu mille fois
Par les plaisirs que goûta Gabrielle
Que par vingt ans de travaux et d'exploits.
Bientôt on voit le plus beau des spectacles,
Ce siècle heureux, ce siècle des miracles,
Ce grand Louis, cette superbe cour

2

Où tous les arts sont instruits par l'Amour.
L'Amour bâtit le superbe Versailles;
L'Amour aux yeux des peuples éblouis,
D'un lit de fleurs fait un trône à Louis :
Malgré les cris du fier dieu des batailles,
L'Amour amène au plus beau des humains
De cette cour les rivales charmantes,
Toutes en feu, toutes impatientes:
De Mazarin la nièce aux yeux divins3,
La généreuse et tendre La Vallière,
La Montespan plus ardente et plus fière.
L'une se livre au moment de jouir,
Et l'autre attend le moment du plaisir.
Voici le temps de l'aimable Régence,
Temps fortuné, marqué par la licence,
Où la Folie, agitant son grelot,

1. Alexandre VI, pape, eut trois enfants de Vanoza. Lucrèce, sa fille, passa pour être sa maîtresse et celle de son frère : « Alexandri filia, sponsa, nurus. » (Note de Voltaire, 1762.)- Ces mots terminent l'épitaphe épigrammatique que Pontanus fit pour Lucrèce Borgia :

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2. La fameuse Gabrielle d'Estrées, duchesse de Beaufort. (Note de Voltaire, 1762.) 3. Celle qui depuis fut la connétable Colonne. (Id., 1762.)

D'un pied léger parcourt toute la France,
Où nul mortel ne daigne être dévot,
Où l'on fait tout, excepté pénitence.
Le bon Régent, de son palais royal,
Des voluptés donne à tous le signal.
Vous répondez à ce signal aimable,
Jeune Daphné1, bel astre de la cour;
Vous répondez du sein du Luxembourg,
Vous que Bacchus et le dieu de la table
Mènent au lit, escortés par l'Amour.
Mais je m'arrête, et de ce dernier âge
Je n'ose en vers tracer la vive image :
Trop de péril suit ce charme flatteur.
Le temps présent est l'arche du Seigneur :
Qui la touchait d'une main trop hardie,
Puni du ciel, tombait en léthargie.
Je me tairai; mais si j'osais pourtant,
O des beautés aujourd'hui la plus belle!
O tendre objet, noble, simple, touchant,
Et plus qu'Agnès généreuse et fidèle !
Si j'osais mettre à vos genoux charnus
Ce grain d'encens que l'on doit à Vénus;
Si de l'Amour je déployais les armes;
Si je chantais ce tendre et doux lien;
Si je disais... Non, je ne dirai rien :
Je serais trop au-dessous de vos charmes.
Dans son extase enfin le moine noir
Vit à plaisir ce que je n'ose voir.
D'un œil avide, et toujours très-modeste,
Il contemplait le spectacle céleste
De ces beautés, de ces nobles amants,
De ces plaisirs défendus et charmants.
«Hélas! dit-il, si les grands de la terre
Font deux à deux cette éternelle guerre;
Si l'univers doit en passer par là,

Dois-je gémir que Jean Chandos se mette
A deux genoux auprès de sa brunette?
Du Seigneur Dieu la volonté soit faite :
Amen, amen. » Il dit, et se pâma,
Croyant jouir de tout ce qu'il voit là.

1. Duchesse de Berry. (G. A.)

Mais saint Denis était loin de permettre

Qu'aux yeux du ciel Jean Chandos allât mettre
Et la Pucelle et la France aux abois.
Ami lecteur, vous avez quelquefois
Ouï conter qu'on nouait l'aiguillette1.
C'est une étrange et terrible recette,
Et dont un saint ne doit jamais user
Que quand d'une autre il ne peut s'aviser.
D'un pauvre amant le feu se tourne en glace,
Vif et perclus sans rien faire il se lasse;
Dans ses efforts étonné de languir,
Et consumé sur le bord du plaisir.
Telle une fleur, des feux du jour séchée,
La tête basse et la tige penchée,
Demande en vain les humides vapeurs
Qui lui rendaient la vie et les couleurs.
Voilà comment le bon Denis arrête

Le fier Anglais dans ses droits de conquête.
Jeanne, échappant à son vainqueur confus,
Reprend ses sens quand il les a perdus;
Puis d'une voix imposante et terrible,
Elle lui dit : « Tu n'es pas invincible :
Tu vois qu'ici, dans le plus grand combat,
Dieu t'abandonne, et ton cheval s'abat;
Dans l'autre un jour je vengerai la France,
Denis le veut, et j'en ai l'assurance;'
Et je te donne, avec tes combattants,
Un rendez-vous sous les murs d'Orléans. >>
Le grand Chandos lui repartit : « Ma belle,
Vous m'y verrez; pucelle ou non pucelle,
J'aurai pour moi saint George le très-fort,
Et je promets de réparer mon tort. »

1. On portait autrefois des hauts-de-chausses attachés avec une aiguillette; et on disait d'un homme qui n'avait pu s'acquitter de son devoir que son aiguillette était nouée. Les sorciers ont de tout temps passé pour avoir le pouvoir d'empêcher la consommation du mariage: cela s'appelait nouer l'aiguillette. La mode des aiguillettes passa sous Louis XIV, quand on mit des boutons aux braguettes. (Note de Voltaire, 1762.)

FIN DU CHANT TREIZIÈME.

VARIANTES

DU CHANT TREIZIÈME.

Vers 52-54.

- Édition de 1756, au lieu de ces trois vers on lisait :

Témoin Ajax et certain général,

Duc, bel esprit, ministre, maréchal;

L'un sur le Rhin, l'autre aux bords du Scamandre,

Un beau matin s'avisèrent de prendre

Des moutons blancs pour autant d'ennemis,

Sans que l'honneur fût en rien compromis.

*Ce n'étaient point...

M. de Voltaire a pris constamment contre La Beaumelle la défense de ce général (le maréchal de Noailles) et de sa famille; ainsi l'on peut facilement juger auquel des deux appartiennent ces vers. (K.)

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