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LA PUCELLE

D'ORLÉANS

CHANT PREMIER.

ARGUMENT.

Amours honnêtes de Charles VII et d'Agnès Sorel. Siége d'Orléans par les Anglais. Apparition de saint Denis, etc.

Je ne suis né pour célébrer les saints1:
Ma voix est faible, et même un peu profane.
Il faut pourtant vous chanter cette Jeanne
Qui fit, dit-on, des prodiges divins.
Elle affermit, de ses pucelles mains
Des fleurs de lis la tige gallicane,
Sauva son roi de la rage anglicane,

Et le fit oindre au maître-autel de Reims.
Jeanne montra sous féminin visage,
Sous le corset et sous le cotillon,
D'un vrai Roland le vigoureux courage.
J'aimerais mieux, le soir, pour mon usage,
Une beauté douce comme un mouton;

1. Plusieurs éditions portent :

Vous m'ordonnez de célébrer des saints.

Cette leçon est correcte; mais nous avons adopté l'autre, comme plus récréative. De plus, elle montre la grande modestie de l'auteur. Il avoue qu'il n'est pas digne de chanter une pucelle. Il donne en cela un démenti aux éditeurs qui, dans une de leurs éditions de ses OEuvres, lui ont attribué une ode A sainte Geneviève, dont assurément il n'est pas l'auteur. (Note de Voltaire, 1773.) — L'ode A sainte Geneviève est incontestablement de Voltaire. (R.)

Mais Jeanne d'Arc eut un cœur de lion:
Vous le verrez, si lisez cet ouvrage.
Vous tremblerez de ses exploits nouveaux;
Ét le plus grand de ses rares travaux
Fut de garder un an son pucelage.
O Chapelain1, toi dont le violon,
De discordante et gothique mémoire,
Sous un archet maudit par Apollon,
D'un ton si dur a raclé son histoire;

Vieux Chapelain, pour l'honneur de ton art,
Tu voudrais bien me prêter ton génie :

Je n'en veux point; c'est pour Lamotte-Houdart2,
Quand l'Iliade est par lui travestie.

Le bon roi Charle, au printemps de ses jours,
Au temps de Pâque, en la cité de Tours,
A certain bal (ce prince aimait la danse)
Avait trouvé, pour le bien de la France,
Une beauté nommée Agnès Sorel3.

1. Tous les doctes savent qu'il y eut, du temps du cardinal de Richelieu, un Chapelain, auteur d'un fameux poëme de la Pucelle, dans lequel, à ce que dit Boileau,

Il fit de méchants vers douze fois douze cents.

Boileau ne savait pas que ce grand homme en fit douze fois vingt-quatre cents, mais que, par discrétion, il n'en fit imprimer que la moitié. La maison de Longueville, qui descendait du beau bâtard Dunois, fit à l'illustre Chapelain une pension de douze mille livres tournois. On pouvait mieux employer son argent. (Note de Voltaire, 1762.) Le manuscrit du poëme de la Pucelle, composé de vingtquatre chants, se trouve à la Bibliothèque royale. (R.)

2. Lamotte-Houdart, auteur d'une traduction en vers de l'Iliade, traduction très-abrégée, et cependant très-mal reçue. Fontenelle, dans l'éloge académique de Lamotte, dit que c'est la faute de l'original. (Note de Voltaire, 1762.) — Fontenelle n'a point composé d'éloge de Lamotte; mais en répondant, au nom de l'Académie française, à l'évêque de Luçon, successeur de Lamotte, il dit que le défaut le plus essentiel qui empêcha sa traduction de réussir, et peut-être le seul, c'est d'être l'Iliade. (R.)

3. Agnès Sorel, dame de Fromenteau, près de Tours. Le roi Charles VII lui donna le château de Beauté-sur-Marne, et on l'appela dame de Beauté. Elle eut deux enfants du roi son amant, quoiqu'il n'eût point de privautés avec elle, suivant les historiographes de Charles VII, gens qui disent toujours la vérité du vivant des rois. (Note de Voltaire, 1762.) Voltaire avait probablement en vue l'historien Jean Chartier, qui parle ainsi (Histoire de Charles VII; Paris, 1661, in-folio, page 191) des relations de Charles VII et de sa maitresse : « Quand le roy alloit voir les dames et damoiselles, mesmement en l'absence de la reyne, ou qu'icelle belle Agnès le venoit voir, il y avoit tousjours grande quantité de gens presens, qui oncques ne la virent toucher par le roy au-dessous du menton; mais s'en retournoit, après les ebattements licites et honestes faits comme à roy appartient, chacun en son logis par chacun soir, et pareillement ladite Agnès au sien. » (R.)

Jamais l'Amour ne forma rien de tel.
Imaginez de Flore la jeunesse,

La taille et l'air de la nymphe des bois,
Et de Vénus la grâce enchanteresse,
Et de l'Amour le séduisant minois,

L'art d'Arachné, le doux chant des sirènes :
Elle avait tout; elle aurait dans ses chaînes
Mis les héros, les sages, et les rois.
La voir, l'aimer, sentir l'ardeur naissante
Des doux désirs, et leur chaleur brûlante,
Lorgner Agnès, soupirer et trembler,
Perdre la voix en voulant lui parler,
Presser ses mains d'une main caressante,
Laisser briller sa flamme impatiente,
Montrer son trouble, en causer à son tour,
Lui plaire enfin, fut l'affaire d'un jour.
Princes et rois vont très-vite en amour.
Agnès voulut, savante en l'art de plaire,
Couvrir le tout des voiles du mystère,
Voiles de gaze, et que les courtisans
Percent toujours de leurs yeux malfaisants.
Pour colorer comme on put cette affaire,
Le roi fit choix du conseiller Bonneau1,
Confident sûr, et très-bon Tourangeau:
Il eut l'emploi qui certes n'est pas mince,
Et qu'à la cour, où tout se peint en beau,
Nous appelons être l'ami du prince,
Mais qu'à la ville, et surtout en province,
Les gens grossiers ont nommé maq.......
Monsieur Bonneau, sur le bord de la Loire,
Était seigneur d'un fort joli château.
Agnès un soir s'y rendit en bateau,
Et le roi Charle y vint à la nuit noire.
On y soupa; Bonneau servit à boire;
Tout fut sans faste, et non pas sans apprêts.
Festins des dieux, vous n'êtes rien auprès!

1. Personnage feint. Quelques curieux prétendent que le discret auteur avait en vue certain gros valet de chambre d'un certain prince; mais nous ne sommes pas de cet avis, et notre remarque subsiste, comme dit Dacier. (Note de Voltaire, 1762.)

Quelques annotateurs prétendent que ce gros valet de chambre est Dangeau, favori de Louis XIV.

Nos deux amants, pleins de trouble et de joie,
Ivres d'amour, à leurs désirs en proie,
Se renvoyaient des regards enchanteurs,
De leurs plaisirs brûlants avant-coureurs.
Les doux propos, libres sans indécence,
Aiguillonnaient leur vive impatience.
Le prince en feu des yeux la dévorait;
Contes d'amour d'un air tendre il faisait,
Et du genou le genou lui serrait.

Le souper fait, on eut une musique
Italienne, en genre chromatique1;
On y mêla trois différentes voix
Aux violons, aux flûtes, aux hautbois.
Elles chantaient l'allégorique histoire
De ces héros qu'Amour avait domptés,
Et qui, pour plaire à de tendres beautés,
Avaient quitté les fureurs de la gloire.
Dans un réduit cette musique était,
Près de la chambre où le bon roi soupait.
La belle Agnès, discrète et retenue,
Entendait tout, et d'aucuns n'était vue.

Déjà la lune est au haut de son cours;
Voilà minuit: c'est l'heure des amours.
Dans une alcôve artistement dorée,

Point trop obscure, et point trop éclairée,
Entre deux draps que la Frise a tissus,
D'Agnès Sorel les charmes sont reçus.
Près de l'alcôve une porte est ouverte,
Que dame Alix, suivante très-experte,
En s'en allant oublia de fermer.

O vous, amants, vous qui savez aimer,
Vous voyez bien l'extrême impatience
Dont petillait notre bon roi de France!
Sur ses cheveux, en tresse retenus,
Parfums exquis sont déjà répandus.
Il vient, il entre au lit de sa maîtresse ;
Moment divin de joie et de tendresse!
Le cœur leur bat; l'amour et la pudeur
Au front d'Agnès font monter la rougeur.

1. Le chromatique procède par plusieurs semi-tons consécutifs, ce qui produit une musique efféminée, très-convenable à l'amour. (Note de Voltaire, 1762.)

La pudeur passe, et l'amour seul demeure,
Son tendre amant l'embrasse tout à l'heure.
Ses yeux ardents, éblouis, enchantés,
Avidement parcourent ses beautés.
Qui n'en serait en effet idolâtre?

Sous un cou blanc qui fait honte à l'albâtre
Sont deux tétons séparés, faits au tour,
Allants, venants, arrondis par l'Amour;
Leur boutonnet a la couleur des roses.
Téton charmant, qui jamais ne reposes,
Vous invitiez les mains à vous presser,
L'œil à vous voir, la bouche à vous baiser.
Pour mes lecteurs tout plein de complaisance,
J'allais montrer à leurs yeux ébaudis
De ce beau corps les contours arrondis;
Mais la vertu qu'on nomme bienséance
Vient arrêter mes pinceaux trop hardis.
Tout est beauté, tout est charme dans elle.
La volupté, dont Agnès a sa part,

Lui donne encore une grâce nouvelle;
Elle l'anime amour est un grand fard,

:

Et le plaisir embellit toute belle.

Trois mois entiers nos deux jeunes amants
Furent livrés à ces ravissements.

Du lit d'amour ils vont droit à la table.
Un déjeuner, restaurant délectable,
Rend à leurs sens leur première vigueur;
Puis, pour la chasse épris de même ardeur,
Ils vont tous deux, sur des chevaux d'Espagne,
Suivre cent chiens jappants dans la campagne.
A leur retour on les conduit aux bains.

Pâtes, parfums, odeurs de l'Arabie,

Qui font la peau douce, fraîche, et polie',

1. Dans une lettre au comte de Tressan (9 décembre 1736), Voltaire se plaint de ce que, dans les copies du Mondain, on ait écrit :

Rendent sa peau douce, fraîche, et polie;

tandis qu'il fallait mettre :

Rendent sa peau plus fraîche et plus polie.

En composant le vers de la Pucelle auquel cette note se rapporte, il n'aperçut pas, à ce qu'il paraît, le pléonasme que semblent offrir les mots douce et polie, et qui l'avait choqué dans le vers du Mondain. (R.)

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